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Indexer les salaires sur l’inflation : pourquoi le NFP fait fausse route

Indexer les salaires sur l’inflation : pourquoi le NFP fait fausse route

Le 23 mars 1983, à 20 heures, François Mitterrand apparaît dans les tubes cathodiques de tout l'Hexagone pour une allocution qui marquera l’histoire. Après avoir dressé un tableau peu reluisant de la situation économique du pays, le chef de l’Etat lance : "Il est temps, grand temps, d’arrêter la machine infernale". Ce mal dont le président parle, c’est l’inflation galopante qui étreint avec force le pouvoir d’achat des Français depuis maintenant plusieurs mois. Deux ans après son élection, le dirigeant socialiste doit se résoudre à prendre un virage qu’il n’avait pas prévu dans son programme : celui de la rigueur. L’économie souffre encore des conséquences du choc pétrolier de 1973, le franc a été dévalué à trois reprises, le chômage poursuit sa hausse… Tous les signaux sont au rouge.

François Mitterrand annonce alors qu’il a chargé le Premier ministre, Pierre Mauroy, de mettre en place une série de mesures pour atteindre un certain nombre d’objectifs comme "ramener l’inflation à un niveau comparable à celui de nos concurrents", "rétablir en deux ans l’équilibre de notre commerce extérieur" ou encore "respecter les équilibres financiers de la Sécurité sociale et contenir le budget de l’Etat dans ses limites actuelles". Le locataire de Matignon a en réalité déjà amorcé un premier tour de vis, quelques mois plus tôt, en signant une circulaire qui mettra fin progressivement, à partir de 1983, à l’indexation des salaires sur les prix, en place depuis 1952.

Une stratégie payante sur le long terme. En 1986, l’inflation repasse sous la barre des 3 %, après avoir flirté avec les 14 % cinq ans plus tôt. Ce mécanisme, abandonné par la suite par la plupart des pays européens - à l’exception de la Belgique, de Chypre, de Malte et du Luxembourg -, revient aujourd’hui sous les feux de l’actualité à la faveur de la victoire du Nouveau Front populaire aux législatives anticipées. Dans son programme, l’alliance des partis de gauche souhaite de nouveau indexer les salaires, dans le cadre d’une "grande loi pour le pouvoir d’achat".

Le cas pratique de la Belgique

Lors du tournant de la rigueur du début des années 1980, ce dispositif avait été abandonné car il provoquait une boucle prix salaire, autrement dit un phénomène macroéconomique où les hausses des prix et de salaires s’auto-entretiennent. "Ce mécanisme nous a vraiment beaucoup nui, il a entraîné de gros dommages sur l’économie réelle", rappelle Agnès Bénassy-Quéré, sous-gouverneure à la Banque de France.

Les défenseurs de son retour invoquent souvent le cas de la Belgique qui applique toujours une indexation des salaires sur l’inflation. Hormis pour les allocations sociales et les salaires du secteur public, elle ne repose pas sur une loi, mais sur les conventions collectives. "Ce système n’a survécu jusqu’à aujourd’hui que parce qu’il y a une contrepartie : la loi sur la modération salariale qui prévoit que nos salaires doivent augmenter au même rythme que ceux de nos principaux concurrents, à savoir l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Quand ils ont tendance à augmenter trop fortement, ils sont automatiquement bloqués", détaille l’économiste belge Philippe Defeyt.

Dans le plat pays, l’indexation reste très populaire, même si elle est contestée par les entreprises. Pour autant, malgré son maintien, elle n’a pas eu les effets escomptés. "Elle n’est pas parvenue à préserver le pouvoir d’achat. Les gens se font une mauvaise idée de l’inflation, en se basant sur ce qu’ils achètent régulièrement, mais il peut y avoir des biais dans la mesure. Quand vous indexez, vous le faites sur la consommation du Belge moyen. Or, cela ne colle pas au profil de tout un chacun", souligne Etienne de Callataÿ, professeur d’économie à l’université de Namur. A cela s’ajoute une perte de compétitivité en période d’inflation liée à un ajustement des salaires plus rapide qu’ailleurs en Europe. Enfin, la Belgique n’échappe pas au spectre de la boucle prix salaire. "Nous sommes confrontés à une inflation sous-jacente plus marquée", confirme Etienne de Callatay.

Le tassement des bas salaires, le vrai problème

La situation serait-elle vraiment différente en France ? Le Nouveau Front populaire n’a pour l’instant pas évoqué de garde-fou similaire à celui que l’on trouve outre-Quiévrain. Pour l’économiste Christine Sinapi, "indexer les salaires sur les prix reviendrait à mettre de l’huile sur le feu. Sur le plan économique, on sait globalement que c’est inefficace, voire que cela alimente le phénomène d’inflation". Le contexte économique n’appelle en tout cas à aucune urgence. En juin, l’inflation a poursuivi son ralentissement : elle se situait à 2,2 % sur un an, contre 6,2 % en octobre 2022. "Il y a six mois, on se posait la question sur la manière d’accompagner la baisse de pouvoir d’achat. Aujourd’hui, l’inflation est maîtrisée, ce n’est pas du tout une priorité que de s’attaquer à ce sujet-là", ajoute l’experte.

Jonathan Marie, maître de conférences en économie à l’université Sorbonne Paris Nord, défend, à l’inverse, cette mesure. Il estime qu’elle permettrait "d’éviter la smicardisation de la population". Aujourd’hui, seul le Smic est indexé sur l’inflation, ce qui a provoqué depuis 2022 un rattrapage des bas salaires. En outre, poursuit Jonathan Marie, si l’indexation était de nouveau adoptée par les pays de la zone euro, elle donnerait plus de latitude à la Banque centrale européenne qui n’aurait plus comme mission principale de stabiliser les prix et pourrait se concentrer sur l’objectif primordial de la transition écologique. Mais doit-on placer tous les salariés dans le même panier ? "Indexer le salaire des cadres paraîtrait un peu curieux", juge Agnès Bénassy-Quéré.

En réalité, à travers cette mesure, le Nouveau Front populaire évite de parler du sujet qui fâche : le tassement des salaires vers le bas. Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyses et Prévisions de l’OFCE, milite pour la mise en place d’un mécanisme "d’indexation partielle, voire progressive". "L’enjeu est de maintenir le pouvoir d’achat des plus modestes sans déclencher une boucle prix salaire. Il faut trouver le bon compromis là-dessus", avance l’économiste. Un compromis qui paraît indispensable à Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne : "Il suffit d’être aujourd'hui un petit peu au-dessus du Smic pour pâtir énormément du système actuel. Il y a un niveau à définir pour déterminer quels seraient les salaires concernés par une indexation partielle". Une problématique que le NFP ne semble pas avoir prise en compte.

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