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Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Benoit Malbranque

Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Benoit Malbranque est directeur des éditions de l’Institut Coppet et contributeur régulier pour Contrepoints. 

 

Comment définissez-vous le libéralisme ?

Pour moi, au premier degré, le libéralisme, c’est la justice. Quand on m’empêche de faire de mes forces et de mes biens un usage qui ne blesse pas autrui, peu importe les prétextes que l’on donne, on commet une véritable injustice.

Le libéralisme a, de ce point de vue, une beauté esthétique sur laquelle on n’insiste pas assez, et qui pourtant est reconnue universellement. Il n’y a qu’à voir, dans la littérature et le cinéma, comment les personnages finissent toujours par retrouver leur liberté, leurs biens. Quand la justice triomphe, ce n’est pas dans l’assujettissement des héros ; eux sont toujours libres et tranquilles. Un individu sous la coupe d’un fonctionnaire, et qui exécute les petits règlements d’une bureaucratie, n’est l’idéal élevé d’aucune forme d’art.

Mais à un deuxième niveau, le libéralisme, c’est aussi le respect des faits. L’inviolabilité de la conscience est un fait, et par conséquent la liberté de la conscience est naturelle. Ceux qui combattent la liberté d’expression sont des fous, car ils n’ont pas de prise sur elle, et leurs efforts sont vains. De même, la propriété privée se fonde sur des faits : la propriété de soi, l’occupation naturelle. L’Homme n’est pas qu’un esprit, c’est un corps, il occupe de l’espace dans le monde : et par conséquent l’occupation, la propriété est naturelle. C’est encore un fait que je sente la douleur et le plaisir en moi-même, et non chez les autres ; et par conséquent l’intérêt personnel est un mobile naturel, indestructible. Ainsi de suite.

Le libéralisme, par conséquent, n’est pas une métaphysique. Au point de vue philosophique, c’est la justice. Au point de vue matériel, c’est la seule pratique qui soit en accord avec les faits de l’existence humaine.

 

Vous considérez-vous comme un libéral, et pourquoi ?

Je suis libéral parce qu’à chaque question que je me pose j’en reviens toujours à reconnaître que la liberté est la solution.

Par exemple, j’entendais récemment des mesures proposées pour remédier au problème des déserts médicaux (ou du moins pour paraître y répondre, dans l’ardeur d’une lutte électorale où il faut bien passer pour avoir des solutions). Pour moi, il est bien clair que la liberté de la médecine et de la pharmacie est, dans l’absolu, le seul remède qui vaille. Si chacun pouvait ouvrir une officine de médecine ou de pharmacie, et devait acquérir et conserver la clientèle par les services rendus, les besoins seraient partout couverts, naturellement, sans efforts. Peut-être qu’en zones touristiques un médecin vendrait aussi des articles de plage à côté de ses crèmes solaires, et que dans des bourgades reculées le pharmacien, le médecin, le vétérinaire, peut-être même le boulanger, seraient une seule et même personne. Ceux qui veulent la spécialisation et la modernité uniformément, sont ceux qui font de l’État tout aussi bien pédagogue, gendarme, qu’entrepreneur de spectacle, autrement dit leur répulsion est de parti pris.

Dans toutes les questions, on peut partir soit en quête du juste, soit en quête de l’utile, et retrouver invariablement que la liberté est la solution.

 

Quels sont vos auteurs libéraux de référence ?

C’est devenu, au fil des ans, une question de plus en plus difficile pour moi. Les libéraux classiques, surtout français, sont devenus comme mes amis ; je les fréquente quotidiennement. Intellectuellement, ma sensibilité est celle de Turgot et de Bastiat, c’est-à-dire un libéralisme complet et volontiers radical, fondé sur une éthique humaniste. Souvent les libéraux du XIXe siècle ont poussé plus loin dans la radicalité, mais ceux du XVIIIesiècle étaient plus humanistes. Gustave de Molinari songe à privatiser les rivières et les fleuves, mais il applaudit le mouvement colonial européen ; les physiocrates sont anti-esclavagistes, anti-colonialistes, mais ils voudraient fonder l’éducation nationale par l’État. Je crois beaucoup à l’intérêt de puiser dans notre grande tradition passée pour revitaliser le libéralisme contemporain. C’est ce dont, sous la direction de Mathieu Laine, l’Institut Coppet s’occupe depuis plusieurs années déjà.

 

Pourquoi le libéralisme est-il si mal compris en France ?

L’étatisme et le collectivisme ne sont pas fondés sur les faits, mais sur le sentiment et les préjugés. Or s’il faut un effort de réflexion pour parvenir aux faits, il n’en faut pas, ou très peu, pour adopter des préjugés et crier avec la foule. Il n’en faut pas beaucoup pour dire, devant chaque problème : « Il faut faire quelque chose », et pour pousser à des mesures qui empirent la situation.

Aujourd’hui, les idées courantes, véhiculées dans tous les milieux, sont hostiles à la liberté, et il faut une grande indépendance et une grande supériorité d’esprit pour penser autrement. Or, l’individualité se cultive par la liberté, par le respect voué à la personne humaine. À l’inverse, le collectivisme produit la prudence et le conformisme, car il en fait des vertus payantes.

Mais pour répondre brièvement, je crois qu’il y a une superficialité trop générale en France. Il y a un Parti socialiste, un Parti communiste en France, mais qui sait ce que socialisme ou communisme veulent dire ? Qui s’en préoccupe ? L’Éducation nationale, qui est le contraire de l’éducation, en est aussi le plus dangereux ennemi. C’est d’elle, plus que de n’importe quel grand conquérant, qu’on peut dire que là où elle est passée, l’herbe ne repousse jamais.

 

Quels seraient les bienfaits de réformes libérales en France ?

Évidemment, le libéralisme est d’abord et avant tout « utile ». Il produit plus de bien-être, des individus non seulement plus riches, mais meilleurs, moralement, intellectuellement. Ils le sont car ils doivent l’être, sous peine de souffrances, car la concurrence met le succès à ce prix. La nation devient plus alerte, moins apathique qu’elle est dans l’étatisme ; il y a davantage de progrès.

Mais, je l’ai dit, la liberté c’est aussi la justice. Or, je pense qu’une société injuste est affreuse à regarder en face : voyez l’Amérique esclavagiste, par exemple. Quand l’effort est récompensé, quand chacun dans l’échelle sociale se trouve exactement à sa place, il n’y a pas d’injustice qui blesse les yeux, il n’y a que des misères involontaires, dont on prend pitié et qu’on guérit par charité, parce qu’on est homme.

 

Deux réformes libérales prioritaires à mettre en place ?

Je ne crois pas aux réformes qui n’ont pas l’assentiment de la masse, et par conséquent, suggérer deux mesures détachées d’un tout, pour un pays qui n’est convaincu de rien, c’est un exercice intellectuel qui n’est pas pertinent à mon avis.
Mais je réponds tout de même à votre question.

La première mesure cruciale, à mon avis, est la sécurité. Évidemment, un État qui s’occupe de mille choses à la fois, n’est pas le plus à même de bien protéger les biens et les personnes, et la vraie mesure pour accroître la sécurité, c’est la réduction drastique des fonctions de l’État. Mais en soi, la sécurité est le premier des biens, c’est la condition de tous les autres. Thucydide dit quelque part que lorsque les agriculteurs se mettent à douter si les produits de la terre ne leur seront pas subtilisés après la récolte, ils ne font point de plantation : il en va de même aujourd’hui.

La deuxième mesure que je citerai, c’est l’interdiction du déficit budgétaire, hors circonstances d’urgence tels que guerre, etc. Car la dette publique est d’abord, je pense, une grande immoralité. Chacun de nous, nous tâchons de léguer un avoir à nos enfants, nous leur préparons un sort agréable. Celui qui non seulement n’épargnerait pas pour ses enfants, mais leur laisserait des dettes, nous paraîtrait être un individu fort médiocre, méprisable même. Mais en masse nous pillons l’avenir sans aucune honte, pour satisfaire nos satisfactions présentes. C’est d’ailleurs une mesure qui a de l’importance aussi comme moyen, car la dette est la planche de salut du socialisme, après la faillite de ses recettes. C’est l’outil qu’il emploie pour faire croire à sa viabilité.

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