Manifestations anti-bassines dans le Poitou : "Gérald Darmanin veut se venger, c’est son match retour"
Force doit rester à la loi. Dans le cas de la contestation des mégabassines, cause qui pourrait réunir à nouveau 10.000 manifestants ce week-end dans le Poitou et en Chatente-Maritime, il faudra veiller à employer la force publique du bon côté, tant sur ce dossier très technique et très politique, le curseur du droit n’est pas figé.Aucun doute n’assaille le ministre de l’Intérieur-démissionnaire Gérald Darmanin, qui a mobilisé près de 4.000 gendarmes et policiers en anticipant la présence de « personnes qu’on pourrait qualifier de dangereuses, de violentes ou de radicalisées ». Gérald Darmanin dit redouter le débarquement d’« un millier de radicaux » et a indiqué cette semaine que « plus d’une centaine de militants d’ultragauche », venant de pays européens, se sont vus prononcer une interdiction d’entrée sur le territoire.
Les écologistes affirment vouloir éviter les affrontementsAlors que le pays navigue depuis plus d’un mois dans le brouillard institutionnel et politique, ce qui pourrait inciter un gouvernement de transition à temporiser, le ministre de l’Interieur semble vouloir poursuivre sa guerre personnelle contre les écologistes. « Gérald Darmanin vise une réconciliation de la droite macroniste et des LR. Même s’il n’osera peut-être plus utiliser le terme d’éco-terroristes, il pourrait être tenté d’instrumentaliser d’éventuels affrontements dans le Poitou pour renforcer sa position, notamment vis-à-vis de Gabriel Attal avec lequel il est en concurrence », analyse Philippe Subra, professeur émérite de l’Institut français de géopolitique (Paris VIII).Depuis le milieu de la semaine, la petite ville de Melle (Deux-Sèvres), centre de gravité de la « zone des bassines » du Poitou, accueille un forum festif et politique baptisé « Village de l’eau ».Avant les deux jours de manifestation, aujourd’hui et demain, cet « espace de discussion, et de compréhension scientifique des enjeux relance le débat en lien avec le moratoire sur les bassines proposé par le Nouveau front populaire », expose Benoît Biteau, qui est depuis le 7 juillet député écologiste de Charente-Maritime.
Benoît Biteau en novembre 2022 à Sainte-Soline. Il était alors député européen. Il aété élu le 7 juillet député ede la Charente-Maritime. photo AFPEn mai, le rassemblement anti-bassines du Puy-de-Dôme, qui avait une dimension nationale et a été épargné par la castagne, semble avoir donné le ton. « Il n’est pas question pour nous de reproduire des modes opératoires qui vont favoriser des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Cela avait été décidé dès le lendemain de Sainte-Soline », rappelle Benoît Biteau. Cet agriculteur de profession, ex-député européen, soutient l’action du collectif Bassines non merci.
Pourquoi une manifestation dans le port de La Rochelle-La Pallice ?La préfecture de la Vienne a interdit « toute manifestation » vendredi sur la commune de Saint-Sauvant, concernée par un projet de bassine. Une « manif’action » est prévue ce vendredi au départ de la ville voisine de Melle (Deux-Sèvres). Objectif de la marche : « obtenir un moratoire sur les projets de mégabassines ».
La coordination anti-bassine précise qu’elle n’a « pas pour intention de s’en prendre ni à des agriculteurs, ni à leurs fermes ». Samedi, la contestation se déplacera vers le port de La Rochelle-La Pallice (Charente-Maritime). Le deuxième port céréalier de France représente pour le député écologiste Benoît Biteau l’un des symboles du lobbying agro-industriel.
« Le port de La Rochelle appartient à des coopératives céréalières qui ont justifié son extension par l’amplification de l’exportation ».
Avec des implications en amont : « le développement de cultures céréalières intensives au détriment du Marais poitevin, des zones humides et qui vont nécessiter l’utilisation de beaucoup de pesticides, d’engrais de synthèse et d’irrigation ».
Le député écologiste prête lui aussi des motivations n’ayant pas grand-chose à voir avec le respect de l’État de droit à Gérald Darmanin : « Il n’a pas supporté d’être débouté par le Conseil d’État (NDLR : son décret de dissolution des Soulèvements de la Terre a été annulé). C’est son match retour. Il veut se venger. Montrer par cette mobilisation de la force publique qu’il avait raison ».De son côté, le ministre de l’Intérieur a affirmé cette semaine que « le droit a toujours donné raison aux agriculteurs. Le rôle du policier ou du gendarme, c’est de faire respecter ces décisions de justice ».Le 9 juillet 2024, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l’autorisation pluriannuelle délivrée par les services de l’État pour l’ensemble des prélèvements à usage d’irrigation sur les bassins-versants du Marais poitevin. Une décision qui succède à beaucoup d’autres qui se sont appuyées sur des avis scientifiques pour stopper les projets de pompage d’eau des nappes.« Pour les seize projets en construction du Marais Poitevin, tous les recours déposés par les associations de protection de l’environnement ont été gagnés », assure Benoît Biteau.Et le député écologiste déroule : « Ces projets de stockage sont de fait illégaux. Le gouvernement devrait dire : “Ce n’est pas conforme aux réglementations en vigueur, on a perdu les recours, on arrête les conneries, on arrête de mettre de l’argent public sur ces projets-là et de mobiliser des forces de l’ordre” ».
La Coordination rurale en mode autodéfenseOr, le gouvernement-démissionnaire est bien dans l’état d’esprit opposé. Cet hiver, la colère des agriculteurs a enclenché le déploiement d’un arsenal législatif et réglementaire, placé sous l’égide de la « souveraineté agricole », qui restreint les possibilités de recours contre les stockages hydrauliques.Ce soutien sans réserve du pouvoir macroniste et des forces politiques de droite libère certains agriculteurs. La Coordination rurale, syndicat minoritaire et virulent, a lancé cette semaine un appel à « l’autodéfense » dans le Poitou, soit à une confrontation directe avec les militants anti-bassines. Pour certains observateurs, cet appel « est celui qui inquiète le plus les Renseignements généraux ».
Les précédents de Sivens et de CaussadeDans un article à paraître dans la revue de géopolitique Hérodote, Philippe Subra décrypte les « rapports de force et stratégies des acteurs face à la crise de l’eau ». Il revient notamment sur les retenues d’irrigation de Sivens et de Caussade, en Occitanie. Les enjeux sont précisément les mêmes que pour les mégabassines. Ces deux « stockages d’eau » du Sud-Ouest ont été construits dans l’illégalité par des agriculteurs irriguants.Le chantier de Sivens a été stoppé en 2014 après la mort du jeune militant écolo Rémi Fraisse, qui a frappé l’opinion. Le barrage de Caussade a été mis en eau en 2019 sans autorisation par des syndicalistes de la Coordination rurale. Force ne reste pas toujours à la loi.
Julien Rapegno