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Quels sont ces crustacés uniques au monde découverts dans les eaux souterraines du Limousin ?

Quels sont ces crustacés uniques au monde découverts dans les eaux souterraines du Limousin ?

Sous le plancher des vaches se cache un sixième océan, un « océan continental » formé par les multiples eaux souterraines qui circulent sous la surface. Un milieu mystérieux où vit une myriade d’espèces animales qui se sont adaptées à des conditions extrêmes et qui font l’objet de plus en plus d’études. Deux de ces espèces, uniques au monde, viennent d’être découvertes en Limousin.

Dans ce puits qu’on devine à peine dans le fouillis d’une prairie de fauche, rien qui bouge. Et pourtant, sous sa surface, le fond de la colonne d’eau grouille de vie. D’une vie microscopique, impossible à déceler à l’œil nu et dont on ignorait jusqu’à l’existence.

Au-dessus de la bouche, François Lefebvre fait descendre et remonter son filet phréatobiologique avec des gestes qu’il maîtrise par cœur. « Le but, c’est de brasser la colonne d’eau pour décoller tout ce qui est accroché sur les parois ou au fond. Une fois que c’est bien brassé, que tout est en suspension, on remonte dix fois le filet. » Même les micro-organismes les plus petits ne peuvent réchapper à ses mailles de 250 microns.

Un écosystème à part entière dans les profondeurs des eaux souterraines

L’objectif de ce chercheur est d’atteindre les eaux les plus profondes de ce puits qui descend à environ cinq mètres et de recenser ce qu’on appelle la stygofaune, c’est-à-dire les espèces qui vivent dans ce milieu aquatique souterrain. Un monde inconnu de la plupart mais qui intéresse de plus en plus les scientifiques. @ Julie Ho Hoa

« C’est vraiment un écosystème à part entière qui est sous nos pieds, avec toute une faune qui s’est spécialisée et qui n’est pas là par hasard », explique le chargé de mission eau et biodiversité de la Sepanso, la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (*).

« On retrouve tous les maillons de la chaîne alimentaire, on a des brouteurs, des prédateurs, des top prédateurs, des parasites, des bactéries » soit à peu près 500 espèces recensées dans la littérature, « rien qu’en France ». @ Julie Ho Hoa

Un bestiaire mystérieux de l’ordre du micromillimètre à guère plus que quelques centimètres, « qu’on connaît très, très peu » et qui promet de plus vastes et incroyables découvertes. 

« On suppose que ces animaux sont venus chercher sous terre certaines conditions qu’ils ne trouvaient plus en surface et ont fini par s’adapter à ces milieux. »

Les eaux souterraines recoupent bien des milieux, ce sont aussi bien les nappes phréatiques que les rivières souterraines creusées dans le karst comme en Dordogne ou dans le Lot ou encore des rivières souterraines qui se situent sous le lit des rivières de surface, des sous-écoulements, des puits, des mines inondées, des failles où l'eau s'est infiltrée. « C’est un immense milieu qu’on connaît très peu, parce qu’il n’est pas facile d’y accéder », souligne François Lefebvre.@ Julie Ho Hoa Depuis une dizaine d’années, la Sepanso mène un programme de recherche autour de la faune aquatique souterraine. C’est un petit crustacé d’à peine 5 mm, baptisé la gallaselle (Gallasellus), qui a accru cette préoccupation pour ces espèces stygobies. « On ne la trouvait à l’époque que dans le Poitou-Charentes », explique François Lefebvre. Sa rareté a poussé l’État a diligenté une étude « pour qu’on la connaisse mieux, pour essayer de construire un plan de protection et de sauvegarde parce que c’est une espèce endémique, une espèce patrimoniale », classée vulnérable sur la Liste rouge des espèces menacées.Mené depuis 2012 par l’Association Poitou-Charentes Nature, le programme d’études consacré à la gallaselle a permis de découvrir d’autres espèces. « Pour mieux connaître l’animal et son écologie, on s’est intéressé aux autres bestioles qui vivaient autour. Et c’est comme ça, petit à petit, que l’idée d’un inventaire de ces animaux inféodés aux eaux souterraines a fait son chemin », confie le scientifique qui a fait de la stygofaune, son principal champ de recherche.

Deux très belles surprises en Limousin

Les premières données ont été rapportées par les spéléologues partis à l’assaut des rivières souterraines. En Limousin, la nature granitique du sol n’offrant pas le même terrain d’exploration que les sous-sols karstiques du Périgord, « personne ne s’y était vraiment intéressé » et les connaissances sur la stygofaune sont restées très lacunaires. @ Julie Ho Hoa 

Une carence que compte bien combler la Sepanso, qui étudie la zone depuis 2021. Un peu moins d’une centaine de sites ont été prospectés et déjà, l’émerveillement est au rendez-vous.

« On a pas mal d’espèces nouvelles. Des espèces qui étaient passées sous les radars ou qui n’étaient tout simplement pas connues pour la science. »

Dont deux qui « n’ont jamais été trouvées ailleurs » et s’avèrent uniques au monde ! C’est l’une d’elles, l’ostracode Pseudocandona sp. B, que le chercheur espère repêcher dans ce puits de Peyrat-la-Nonière. « La petite bête qu’on recherche, c’est un crustacé microscopique qui vit enveloppé dans une sorte de carapace, un peu comme les mollusques bivalves. Il a de petites pattes qui lui permettent de brasser la colonne d’eau et de s’alimenter d’organismes plus petits que lui », décrit François Lefebvre.L'Ostracode Pseudocandona sp. B observé dans le puits des Courteix @ J.-F. CART

Du plancton d’eau douce souterraine qui a été découvert dans seulement trois sites en Creuse : ce puits des Courteix à Peyrat-la-Nonière, dans le sous-écoulement du Thaurion à Saint-Hilaire-le-Château et dans un aqueduc souterrain à Châtelus-le-Marcheix.

La petite bête a voyagé jusqu’à l’unique laboratoire européen spécialisé en stygofaune, en Pologne, pour être identifiée en début d’année. « Elle a donc un nom de genre mais il faudra lui trouver un nom d’espèce. Je vais essayer de pousser pour que ce soit “Creusensis” (de Creuse) ou quelque chose comme ça », sourit le chercheur. Plus que quelques mois à patienter puisqu’en septembre, cette nouvelle espèce sera présentée lors d’un congrès au Portugal.

Stygofaune ?Le mot désigne l’ensemble des espèces qui vivent dans les milieux aquatiques souterrains, les espèces stygobies. En France, ce sont essentiellement des invertébrés (crustacés, insectes, araignées, mille-pattes, mollusques, vers, etc.) et des bactéries. « Ce qu’on va avoir au sommet de la chaîne alimentaire, c’est le Niphargus, un crustacé avec des pinces préhensibles qui peut atteindre 2-3 centimètres », détaille François Lefebvre.Le Niphargus, le top prédateur a été découvert en Creuse, notamment à Peyrat-la-Nonière @ J.-F. CART/SEPANSOEn Creuse, on trouve aussi un autre crustacé qui ressemble à un cloporte, le Caecosphaeroma, un acarien, le Soldanellonyx chappuisi ou des vers comme le nématode, observés à Châtelus-le-Marcheix.Le Caecosphaeroma burgundum rupisfucaldi @ J.F. CART/SEPANSOL'acarien Soldanellonyx chappuisi trouvé à Chatelus-le-Marcheix @ J.F. CART/SEPANSOPas de trace de mollusque en Creuse, l’acidité de l’eau causerait trop de dégâts sur leurs coquilles.« Toutes ces espèces sont caractérisées par un corps sans coloration, sans pigmentation et des yeux qui ont soit régressés, soit sont absents », décrit le chercheur. Là où ils vivent, nul besoin de mélatonine pour se protéger du soleil et nul besoin de voir puisqu’aucune lumière ne perce. Des adaptations qui leur permettent de vivre dans des conditions extrêmes mais qui les rend hautement vulnérables en surface. « Exposés à la lumière, leur espérance de vie ne dépasse pas une dizaine de minutes », prévient François Lefebvre.

La découverte inédite pour le territoire limousin a été doublé d’une autre côté Corrèze où la Sepanso a, là aussi, débusqué une nouvelle espèce endémique baptisée Candonopsis sp. nov. (Correzensis ?), observée seulement dans le sous-écoulement du Vianon, à Saint-Pantaléon-de-Lapleau et dans celui de la Vézère à Affieux. « L’idée aujourd’hui, c’est de recollecter un peu plus de spécimens, notamment des mâles adultes, pour faire une étude plus approfondie, avoir des mensurations moyennes, etc. »

Dans ce puits des Courteix, Stéphane Lefebvre a également trouvé « le fameux top prédateur », le Niphargus aquilex ou encore des vers annélides.

« Pas forcément besoin d’aller en Amazonie ou au fond des océans pour trouver des choses incroyables. Il y a de quoi faire juste dans un puits en Creuse ! »

Des prospections prometteuses

L’aventure scientifique autour de la faune aquatique souterraine du Limousin débute donc sur de précieuses découvertes et en promet bien d’autres. La Sepanso poursuit ses prospections pour faire avancer les connaissances localement et sur le reste de la Nouvelle-Aquitaine.

« L’objectif, c’est de couvrir tous les habitats potentiels à stygofaune », détaille François Lefebvre. Certains sites déjà connus font l’objet de nouvelles prospections comparatives, des recherches sont également menées sur des captages d’eau potable. @ Julie Ho Hoa

Pour dénicher d’autres sites invisibles de la surface, les scientifiques fouillent notamment dans la base de données du BRGM, le Bureau de recherches géologiques et minières. « Dans les années 1980, ils ont référencé l’ensemble des ouvrages, notamment des puits. C’est comme ça que l’on a trouvé ce site à Peyrat-la-Nonière », précise François Lefebvre. Puits, sous-écoulements, anciennes mines inondées, en Creuse, environ 25 sites ont déjà été prospectés (une trentaine en Corrèze et une vingtaine en Haute-Vienne), autant de « petites fenêtres sur l’immensité des masses d’eau souterraines » et leurs mystérieux habitants.

Pour atteindre les espèces qui vivent dans les eaux des nappes phréatiques ou les failles, les chercheurs prélèvent dans des puits qui les relient à la surface, comme à Peyrat-la-Nonière. Avec un filet phréatobiologique et selon un protocole très précis, ils remontent des échantillons des profondeurs où sont contenus des invertébrés stygobies. @ Julie Ho HoaLe reste du travail se fait sous binoculaires, pour isoler les espèces découvertes qui sont ensuite envoyées à un laboratoire, en Pologne, pour confirmer la détermination. Dans le cas de prospections dans les rivières souterraines, « où on accède directement au milieu de vie des espèces », les scientifiques font parfois intervenir des plongeurs, voire des spéléo-plongeurs selon le site.Lors de ses prélèvements, comme ici dans le puits de Courteix, François Lefebvre relève un certain nombre de données, température de l’eau, pH, conductivité, turbidité, profondeur mais aussi faune et flore environnantes pour photographier les conditions de vie des espèces prélevées.Les chercheurs explorent aussi les rivières souterraines inaccessibles, qui se situent sous le cours d’eau principal des rivières de surface. « Ça implique un système de pompage avec une sorte de sonde crépinée qu’on enfonce à la masse. Avec une pompe, on aspire ensuite le sédiment et les bestioles », détaille le François Lefebvre.@ Julie Ho Hoa

Des espèces bio-indicatrices précieuses 

Inventorier un pan de biodiversité quasi-invisible, découvrir de nouvelles espèces mais aussi protéger leur milieu, qui est aussi une ressource qui nous est indispensable, c’est tout l’intérêt de cette campagne de recherche autour de la stygofaune. 

Mieux connaître les espèces qui habitent nos eaux souterraines, leur répartition, leurs habitats, les menaces potentielles qui pèsent sur elles, permet dans un second temps de mettre en place des mesures de protection concrètes et adaptées. François Lefebvre est chercheur et chargé de mission eau et biodiversité à la Sepanso, pour laquelle il mène des recherches autour de la stygofaune @ Julie Ho Hoa 

« Quand on a des puits comme ça où on a une espèce nouvelle, qui est endémique à la Creuse par exemple, ça mérite d’être protégé. Quand on aura bien identifié les “hot spots” de biodiversité autour d’espèces intéressantes, uniques pour le département, on pourra proposer des mesures de gestion pour les préserver. Ça peut être d’éviter de pomper de l’eau à certaines périodes ou d’établir un périmètre de protection qui englobe le site. »

Les données recueillies par la Sepanso devraient ainsi rejoindre un laboratoire bordelais de l’INRA spécialisé dans la bio-indication. Connaître et protéger ces espèces, c’est aussi protéger la ressource en eau car elles nous donnent une indication sur la qualité des eaux dans laquelle elles évoluent et qu’elles contribuent à épurer, en recyclant la matière organique. @ Julie Ho Hoa

« À l’heure actuelle, on se base uniquement sur des paramètres physico-chimiques relevés à intervalles réguliers. Mais il peut y avoir des pollutions ponctuelles qui passent sous les radars. L’idée, comme sur les eaux de surface, ce serait de se servir de ce cortège d’espèces pour en savoir plus sur la qualité des eaux souterraines. Il y a des laboratoires qui étudient les espèces polluo-sensibles ou polluo-resistantes, mais prendre en compte l’ensemble du cortège d’espèces possibles dans un point d’eau, ça n’a pas encore été investi », explique François Lefebvre, qui voit là « un outil puissant » d’étude de la qualité des eaux.

 

(*) La Sepanso, membre de France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine, regroupe et fédère des associations des cinq départements de l’ex-Aquitaine.

 

Texte: Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.comPhotos : Julie Ho Hoa & Jean-François Cart/Sepanso

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