Bangladesh : la justice réduit les quotas controversés, mais les manifestations continuent
La décision de la plus haute juridiction suffira-t-elle à apaiser la colère des Bangladais ? Alors que le pays de 170 millions d’habitants connaît une escalade de violence, les manifestants ont affiché, dimanche 21 juillet, leur intention de poursuivre le mouvement de contestation, malgré une décision très attendue de la Cour suprême.
La haute juridiction devait se prononcer en août sur la légalité d'un programme récemment réintroduit qui réserve plus de la moitié des emplois publics à des candidats sélectionnés (enfants de certains anciens combattants), mais au vu de l’intensification des violences entre étudiants et forces de l’ordre, elle a avancé son verdict. La Cour suprême a ainsi jugé "illégale" l’ordonnance rendue en juin par une juridiction inférieure réintroduisant le système des quotas d’embauche dans le secteur public, a rapporté à l’AFP le procureur général du Bangladesh, A.M. Amin Uddin.
Dans sa décision, la Cour suprême a fortement réduit le nombre d’emplois réservés, qui est passé de 56 % à 7 % de l’ensemble des postes. Elle réserve 5 % de tous les emplois publics aux enfants des "combattants de la liberté" de la guerre de libération du Bangladesh contre le Pakistan en 1971. A titre de comparaison, ces derniers en avaient 30 % auparavant. De plus, 1 % des postes est attribué aux communautés tribales et 1 % aux personnes handicapées ou s’identifiant à un troisième sexe en vertu de la loi bangladaise. Les 93 % de postes restants seront désormais attribués au mérite, a tranché la Cour.
Les protestataires réclament la fin du mandat de Sheikh Hasina
Derrière le rétablissement des quotas de recrutement dans la fonction publique, en juin dernier, les jeunes Bangladais ont vu une façon de réserver plus de la moitié des emplois du secteur public, très recherchés, à des groupes spécifiques proches du pouvoir. Une préoccupation d’autant plus importante dans un pays où 12 % des 15-24 ans sont au chômage.
La catégorie des "combattants de la liberté", en particulier, suscite le mécontentement des jeunes diplômés, les critiques affirmant qu’elle est utilisée pour attribuer des emplois publics à des loyalistes de la Ligue Awami, le parti au pouvoir. La Première ministre Sheikh Hasina, dont le gouvernement est accusé par ses opposants de faire plier les instances judiciaires, avait déjà laissé entendre, en début de semaine, que le tribunal rendrait une décision favorable aux demandes des étudiants. Par ailleurs, Shah Monjurul Hoque, un avocat impliqué dans l’affaire, a indiqué à l’AFP que la Cour avait également demandé aux étudiants protestataires "de retourner en classe", après avoir rendu son verdict.
Et après ? "La situation dans le pays reste très tendue et instable", assure un journaliste d’Al Jazeera, chaîne d’information en continu basée au Qatar. La répression des manifestations - la police a tiré à balles réelles samedi 20 juillet dans la capitale Dacca et au moins 130 personnes seraient mortes cette semaine selon un décompte de l’AFP - a poussé des dizaines de milliers de jeunes Bangladais à réclamer la fin du mandat de Sheikh Hasina, 76 ans, au pouvoir depuis 2009.
"Nous n’arrêterons pas nos manifestations tant que le gouvernement n’aura pas pris une décision prenant en compte nos demandes", a déclaré à l’AFP un porte-parole de l’association "Students Against Discrimination", sous couvert d’anonymat. Par ailleurs, le mouvement étudiant réclame également la libération des personnes emprisonnées.
La tournée diplomatique de Sheikh Hasina annulée
Le gouvernement de Sheikh Hasina est accusé par les défenseurs des droits humains d’user abusivement des institutions de l’Etat pour asseoir son emprise et éradiquer la dissidence, en particulier par l’assassinat extrajudiciaire d’opposants. La Première ministre bangladaise devait quitter le pays, dimanche 21 juillet, pour une tournée diplomatique en Espagne et au Brésil, mais elle a renoncé à son projet en raison des violences en cours. De son côté, la police a arrêté plusieurs membres du parti nationaliste du Bangladesh (BNP), première formation d’opposition, et de Students Against Discrimination, le principal groupe organisateur des manifestations. L’association de défense des droits Amnesty International a elle dénoncé la coupure des communications.
Et sur le plan sécuritaire ? Le ministre bangladais de l’Intérieur, Asaduzzaman Khan, a indiqué à l’AFP que le couvre-feu imposé samedi 20 juillet serait maintenu "jusqu’à ce que la situation s’améliore". En plus des incendies de bâtiments gouvernementaux et de postes de police par les manifestants, des incendies criminels ont rendu le réseau ferroviaire métropolitain de Dacca inexploitable, a-t-il fait savoir. Le département d’Etat américain a déconseillé samedi aux Américains de se rendre au Bangladesh et annoncé qu’il commencerait à rapatrier certains diplomates et leurs familles.