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L’anthropologue anarchiste James C. Scott est mort

Sa critique de l’État, développée dans deux essais majeurs – “Zomia” et “Homo domesticus” –, a marqué la pensée politique contemporaine.

Idée politique encore souvent considérée comme une utopie irréaliste ou inefficace, l’anarchisme demeure pourtant une tradition de pensée féconde dans le champ intellectuel. L’une de ses plus grandes figures, l’anthropologue James C. Scott, vient de mourir, quatre ans après l’autre grand anarchiste anthropologue David Graeber, confirmant d’ailleurs combien cette discipline spécifique des sciences sociales abrite, plus qu’ailleurs, une pensée critique des formes de l’État.

Né dans le New Jersey en 1936, James C. Scott est l’auteur d’une œuvre décisive sur les rapports de domination et les stratégies mises en œuvre par les populations rurales ou montagnardes pour échapper au pouvoir de l’État. Ses deux livres majeurs, découverts en France ces dix dernières années (Zomia ou l’Art de ne pas être gouverné, chez Seuil, et Homo domesticus : Une histoire profonde des premiers États chez La Découverte), développent une pensée critique subtile et approfondie du grand récit du progrès de la civilisation et de l’ordre public.

Déconstruire la forme-État

La grande idée de Scott, qui traverse toute son œuvre, s’attache à la déconstruction de la forme État, qui n’a “rien de naturel ou d’évident”. Des modes alternatifs d’organisation de la société auraient pu être tout aussi bons, voire meilleurs, n’a-t-il jamais cessé d’affirmer. Car si l’État “semble être une constante incontournable de notre condition”, l’anthropologue rappelle que “la forme État n’aura dominé que les deux derniers dixièmes du dernier pour cent de la vie politique de notre espèce”. Et qu’avant son apparition comme forme d’organisation de la vie collective, l’existence des humain·es était celle de “petites bandes de chasseurs-cueilleurs, mobiles, dispersés et relativement égalitaires”.

La construction de l’État, en Mésopotamie à l’origine, a été douloureuse et chaotique, en imposant sa domination via la culture céréalière (débuts du cadastre, de l’administration fiscale…). Défendant ainsi une contre-histoire de la modernité et de l’idée de progrès, l’universitaire américain s’était d’abord intéressé aux communautés de paysan·es en Malaisie. Avant d’élargir ses connaissances et ses analyses à l’ensemble des pratiques souterraines de résistances à l’État, ce qu’il appelle “l’infrapolitique. Souvent invité en France, comme lors de la Manufacture des idées, à Hurigny, en 2019, James C. Scott invitait ses lecteur·rices à ne pas hésiter d’enfreindre la loi ou des règlements mineurs, “ne serait-ce qu’en traversant la rue hors du passage piéton.

Proche des travaux de l’ethnologue américain Marshall Sahlins, autre grande figure de l’anthropologie anarchiste, Scott fait de l’histoire de l’État celle d’une dépossession et d’une domestication, qui innerve encore toute la pensée politique contemporaine, y compris celle qui s’attache à ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelait “la main gauche de l’État”, la seule à pouvoir nous redonner confiance dans cette machinerie rejetée par les anarchistes.

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