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Pourquoi l'avenir de la voiture électrique ressemblera davantage à la Dacia Spring qu'à la Tesla Model Y

Pourquoi l'avenir de la voiture électrique ressemblera davantage à la Dacia Spring qu'à la Tesla Model Y

Alors que les ventes de voitures électriques, jugées encore trop chères par de très nombreux automobilistes, s’essoufflent partout en Europe, le patron de Renault a lancé un pavé dans la mare en demandant le report de la fin des moteurs thermiques après 2035.

Dans une interview aux Échos, le patron de Renault, Luca de Meo, a remis en cause l’échéance 2035 pour la fin des moteurs thermiques. Une sortie qui s’explique, selon Bernard Jullien, économiste, spécialiste du secteur automobile à l'Université de Bordeaux, par la crise de croissance du marché du véhicule électrique dans l’UE, avec en particulier la fin des aides en Allemagne, et des prix encore trop élevés.

1. Comment se porte le marché de la voiture électrique dans l’UE??

« Un cataclysme s’est produit fin 2023. La très sourcilleuse cour constitutionnelle allemande a jugé peu recevable le camouflage des aides du plan de relance post-covid en subventions pour l’achat de voitures électriques et de fait en plan de décarbonation. Cette décision a contribué à casser une dynamique qui était peu questionnée et qui consistait à dire : “on va y aller et en gros, on est dans les clous pour atteindre l’objectif de 100 % de voitures électriques neuves en 2035”. Conséquence directe, le chancelier allemand Olaf Scholz n’a eu d’autre choix que de couper ces aides-là. Or, nous étions sur un volume de 450.000 voitures dont l’achat était subventionné à hauteur de 4 à 5.000 euros, soit une enveloppe de 3 milliards. C’est de là qu’est venue la brisure dans la fragile dynamique de progression des parts de marché de l’électrique en Europe, observable en partie grâce à l’Allemagne et à la France. Nous ne sommes plus dans les clous des objectifs depuis début 2024. Nous allons terminer l’année au mieux avec une stagnation et cela justifie toutes les inquiétudes. En France, nous serons autour de 18 % de parts de marché alors qu’à l’échelle de l’UE, nous aurons du mal à tenir les 15 %. »

2. Pourquoi Luca de Meo tire la sonnette d’alarme maintenant??

« Ce que dit De Meo, c’est qu’avant 2035, nous avons deux étapes intermédiaires, 2025 et 2030. Pour 2025, le texte prévoit que les constructeurs soient en moyenne à moins 15 % d’émission par voiture vendue et 25 % des immatriculations en voitures électriques ou électrifiées. Évidemment, cette échéance, qui se profilait finalement assez bien à l’automne 2023, apparaît plus que problématique. Et dans son interview aux Échos, de Meo affirme que faute de rétablissement dans les mois à venir, les constructeurs feront face à des amendes très lourdes pour ne pas avoir tenu leurs engagements. On parle de près de 1.000 euros en moyenne par véhicule immatriculé, ce qui correspond peu ou prou à la marge dégagée. Pour les éviter, les constructeurs pourraient être tentés de limiter les immatriculations de véhicules thermiques et favoriser ainsi les électriques, au risque d’assécher le marché, de fermer des usines ou de les mettre en chômage partiel. Ce serait la politique du pire. Ce que je détecte derrière les propos du patron de Renault, c’est une peur panique, d’où sa demande : soit d’enlever les amendes, soit de modifier les objectifs. »

3. Et maintenant??

« Les objectifs avaient été fixés en partant du principe que les aides à l’achat seraient maintenues. Ce qui s’est passé en Allemagne a tout changé. On voit bien dans ses propos que même de Meo hésite sur la conduite à suivre en disant en gros :”il faudrait tenir l’échéance 2035 mais cela va être difficile. Il ne faut pas tout remettre en cause mais quand même”. Le patron de Renault, qui est également le président de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), profite de ce moment un peu particulier avec l’installation à la fois du nouveau Parlement européen et de la Commission européenne pour demander de reconsidérer les échéances. Jusqu’à présent, Luca de Meo et Carlos Tavarès, le patron de Stellantis, étaient sur la ligne de tenir le cap de 2035 et même de parvenir aux 100% voitures électriques dès 2030 en raison des investissements réalisés. Du coup, le camp pro-électriques se dégonfle au profit des anti-électriques : les opinions publiques, les populistes (Bellamy, Bardella, Meloni, etc.). Le fait que des constructeurs pro-électriques comme Renault sortent du bois sur ce thème met de l’eau au moulin de l’électro-scepticisme. Dans ce contexte, il risque d’y avoir une temporisation et une révision du calendrier. 2025 pourrait devenir 2027, 2030 2032 et 2035 2037. Cela donnera de l’air aux constructeurs et l’impression aux populistes d’avoir gagné. »

4. La concurrence chinoise

« Ce changement de position de Luca de Meo n’a rien à voir, à mon sens, avec la crainte de la concurrence chinoise. Car l’Union européenne a eu pour le coup une vraie réaction protectionniste. La Commission européenne a diligenté une enquête qui a donné lieu il y a quelques jours à la publication d’un très long rapport décortiquant les aides reçues par les différents constructeurs chinois. Ce rapport, qui met en lumière à quel point l’éco-système de la voiture électrique en Chine est tronqué par les politiques publiquese _en particulier sur l’accès au système bancaire et à l’industrie de la batterie_ justifie pleinement une augmentation significative des droits de douane. Celle-ci permet de se prémunir face à la concurrence déloyale des véhicules chinois importés. Avec des droits de douane qui grimpent jusqu’à 48%, dire aujourd’hui, la Chine nous menace, c’est beaucoup moins vrai. Après, vous avez le problème des Chinois qui s’installent en Europe. Aujourd’hui, vous avez BYD qui va s’installer en Hongrie et en Turquie, SAIC qui mise sur l’Espagne. Il y aura donc des usines dans l’UE. Mais elles ouvriront en 2026, 2027 et 2028. La capacité des constructeurs européens à occuper le segment des voitures électriques abordables est plutôt garantie par les politiques de l’UE. Même si ces constructeurs peuvent demander à être davantage soutenus afin d’avancer plus vite vers la décarbonation.

5. L’alternative du e-fuel

« Je ne vois pas ce que va chercher le patron de Renault dans la réanimation du dossier e-fuel. Quand on fait des Ferrari ou des Porsche et que l’on veut absolument répondre à la demande d’une élite désireuse de rouler dans des voitures thermiques tout en feignant d’être décarboné, peut-être. Mais il ne va pas trouver une solution décarbonée pour le commun des mortels. Il n’y a pas d’alternative crédible à l’électrique à batterie aujourd’hui. C’est vrai que c’est compliqué et vertigineux. Typiquement, Renault s’est trompé en partant sur des chimies de batterie NMC (nickel-manganèse-cobalt) alors que l’on ne peut être compétitif en termes de prix qu’avec des LFP (lithium-fer-phosphate). Ils sont donc obligés d’aller toquer à la porte du Coréen LG ou du Chinois CATL.

Mais tous ces problèmes techniques, comme l’arrêt des aides publiques, étaient anticipables. Le problème numéro 1, c’est le prix des voitures électriques qu’il faut absolument baisser en changeant la nature de l’offre et en arrêtant d’offrir des Tesla Model Y au profit de véhicules qui ressemblent davantage à des Dacia Spring. »

Propos recueillis par Dominique Diogon

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