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Touché à l'oreille, Trump l'a-t-il été aussi au cerveau ? Les explications de psychiatres

Touché à l'oreille, Trump l'a-t-il été aussi au cerveau ? Les explications de psychiatres

Le 13 juillet dernier, la vie de Donald Trump s’est jouée à quelques centimètres. Des dizaines de photographies et de reproductions 3D d'une précision rarement vue ont permis de s’en rendre compte. Si le candidat républicain à l’élection président n’avait pas tourné la tête une petite seconde avant les tirs, il serait probablement mort lors de son meeting de Pennsylvanie. Au lieu de quoi il s’en est sorti avec une blessure légère à l’oreille. Un miracle, une "intervention divine", assurent même l’intéressé et ses supporters. Mais si les balles l’ont effleuré physiquement, l’ont-elles pour autant épargné psychologiquement ?

"Lorsque j’ai vu les images, je me suis posé la même question", confie le Dr Wayne Guillaume, psychiatre responsable du service du Cap Bastille, à Paris. Le spécialiste tient néanmoins à rappeler la "règle Goldwater", adoptée en 1973 par l’Association des psychiatres américains, qui estime que porter un diagnostic à distance, sans consultation, est contraire à l’éthique médicale. "Il faut se contenter de décrire ce qu’il se passe chez les personnes qui se trouvent confrontées à des évènements similaires, puis poser des hypothèses", insiste-t-il.

Fuite, lutte ou sidération

Il est néanmoins possible de savoir ce qu’il s’est passé dans le cerveau de Donald Trump immédiatement après les tirs. Car la règle est la même pour tout le monde : lorsque le cerveau détecte une situation de danger, notamment lorsque l'intégrité ou la vie de la personne est menacée, il déclenche une cascade de mécanismes. Parmi eux, l’hyperactivation de l’amygdale cérébrale, une structure essentielle au décodage des émotions et des menaces. "Il s’agit d’une réponse que l’on retrouve chez de nombreuses espèces animales, indique Patrick Lemoine, psychiatre, clinicien et auteur de l'ouvrage La santé psychique de ceux qui ont fait le monde (Odile Jacob). Elle peut se résumer par la règle des trois F : fight, flight or freeze (combat, fuite ou immobilisation)".

Ces trois "états d’urgence de l’instinct" servent à préparer l’organisme à la survie, soit par l’affrontement physique, la fuite, ou l’immobilisation. Le système nerveux sympathique modifie alors l’afflux sanguin vers les muscles et le cerveau, accélère le rythme cardiaque, augmente la transpiration, dilate les veines, etc. Selon Patrick Lemoine, la réaction de Donald Trump, qui est resté au sol 25 secondes (immobilisation), puis s’est relevé en demandant où se trouvaient ses chaussures (fuite) avant de lever le poing au ciel en criant : "Fight !" (combat), illustre parfaitement le mécanisme. Le psychiatre, qui anime depuis près de dix ans "les dissociés anonymes", des groupes de parole de femmes victimes de violences, a recueilli de nombreux témoignages qui en rendent également compte. "Des patientes agressées se sont retrouvées par terre, paralysées, certaines pendant trois minutes et jusqu’à trois heures, d’autres sont entrées dans un état dissociatif et ne se sont même pas rendu compte qu’elles avaient violemment frappé leur agresseur", assure-t-il.

Ces réponses peuvent d’ailleurs alterner indépendamment de la volonté de l’individu. "On ne choisit pas sa réaction, c’est complètement instinctif. Et c’est souvent mal compris ou mal accepté, notamment chez les personnes qui se figent lors d’une agression", précise le Dr. David Masson. Les soutiens de Donald Trump qui voient en son poing levé un signe de combativité et de courage se méprennent-ils donc ? "S’il avait pris la fuite, cela aurait été pareil, confirme-t-il. Sa réaction ne dit rien de lui, pas plus qu’elle renseigne sur un éventuel trauma psychologique en cours ou à venir".

Stress aigu et trouble du stress post-traumatique

Il existe néanmoins une littérature scientifique conséquente sur les effets des armes à feu aux Etats-Unis, où les fusillades sont monnaie courante : Donald Trump a d’ailleurs rejoint la liste des près de 100 000 Américains blessés par balles chaque année, selon les chiffres d’une enquête publiée en 2022 dans la revue Jama. Ainsi, une étude parue dans SSM - Mental Health indique que les survivants de fusillades sont confrontés à des risques accrus de trouble du stress post-traumatique, de dépression, d’anxiété et de toxicomanie. Des travaux présentés dans la revue de l’Association américaine de psychologie avancent que de telles expériences peuvent altérer la vision du monde des victimes, qui ne leur paraît ni sûr ni compréhensible.

Plus généralement, toutes les formes de menace pour l’intégrité physique peuvent provoquer un état de stress aigu chez les victimes. "Il se définit par une hypervigilance, un syndrome de répétition (flash-back) et des conduites d’évitement, en refusant de se confronter de nouveau à des situations similaires à l’événement traumatique, 45 à 50 % des personnes qui font face à des agressions en souffrent", explique le Dr. Guillaume.

Si cet état persiste plus d’un mois, il s’agit alors du trouble du stress post-traumatique, qui se caractérise par le prolongement voire l’aggravation des symptômes, ainsi que par des difficultés à mener une vie normale (refuser de sortir de son logement, insomnies…). "L'évolution vers un trouble de stress post-traumatique après un épisode traumatisant est moins fréquent, de l’ordre de 10 à 15 % des victimes", précise le Dr. Guillaume.

Impossible de savoir si Donald Trump souffre ou souffrira d’un de ces troubles. Et si tel est le cas, il y a fort à parier que ni lui ni ses équipes ne communiqueront à ce sujet. Trop incompatible avec son image publique construite autour de sa santé, sa force et sa virilité supposées. "Si cela l’empêche de verbaliser une souffrance et de parler du trauma, s’il y en a un, alors ses chances d'obtenir un support social adapté peuvent être diminuées", estime le Dr. Guillaume.

La poursuite de la campagne et des meetings pourrait constituer un autre facteur de risque. En cas de stress aigu, l’exposition précoce à des situations similaires peut en effet renforcer les symptômes, assurent les spécialistes. La qualité du soutien social sera, en tout cas, essentielle. En effet, plus les victimes sont entourées et épaulées, plus les risques sont limités. Sur ce point, le candidat républicain peut compter sur un soutien massif de ses supporters et des nombreux professionnels qui l’accompagnent. Mais un soutien émotionnel - proches, famille - est également nécessaire.

Il se pourrait, aussi, que Donald Trump parvienne à tirer des bénéfices de cet évènement. Une étude parue dans Aggression and Violent Behavior montre en effet que certaines personnes ayant survécu à un traumatisme peuvent gagner en empathie, mais aussi développer des relations plus solides avec leurs proches. Les supporters de Donald Trump, eux, en sont convaincus : leur candidat en sort plus fort que jamais.

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