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"Faire d’Emily in Paris une réalité" : les JO de Paris, une opportunité pour le "soft power" français

Des joueuses brésiliennes qui s’échangent la balle sur un terrain de beach-volley flambant neuf, au milieu des champs qui entoure le petit bourg de Verny, en Moselle, peuplé de 2 000 habitants. Une vision devenue de plus en plus courante depuis que le département a signé un partenariat avec la Confédération nationale de volley-ball brésilienne, la troisième mondiale. Sur le site flambant neuf d’Academos, un complexe sportif entièrement rénové pour les Jeux, les équipes brésiliennes de volley-ball et de beach-volley se sont acclimatées en vue de Paris 2024. Un partenariat qui n’est pas près de s’arrêter puisque début juin, il a été prolongé jusqu’en 2028. "C’est une fierté parce que nous étions en compétition avec d’autres départements français et européens. On a parlé de l’Italie, de la Turquie… et c’est la France et la Moselle qui l’ont obtenu", se gargarisait récemment Patrick Weiten, président du département, sur une chaîne de télévision locale.

Un type de partenariat inattendu et rendu possible par l’accueil de grandes compétitions. Et qui jette un coup de projecteur sur l’intérêt de la "diplomatie sportive". "En voyant Londres en 2012, on a perçu le manque à gagner", confie Samuel Ducroquet, ambassadeur pour le sport au Quai d’Orsay. Une fonction créée il y a une dizaine d’années, après une prise de conscience d’une fragmentation de cette "diplomatie du sport", laissée principalement aux fédérations sportives. Aujourd’hui, l’ambition est d’en faire un véritable outil du soft power français. "A l’heure où on s’inquiète parfois de la richesse des liens qui nous unissent à certains pays d’Afrique, le sport est devenu un complément extrêmement précieux pour maintenir ce lien entre nos peuples", note l’ex-conseiller diplomatique sport au Qatar, évoquant par exemple l’Alliance Dioko, un partage d’expertise entre la France et le Sénégal autour de l’organisation des Jeux olympiques de la jeunesse à Dakar en 2026. Ou encore au Maroc, où l’Insep français (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) a signé un accord avec l’université Mohammed VI pour développer un centre d’excellence et de performance physique.

Si les Jeux constituent une forme d’apogée, l’idée est de réussir à en tirer des dividendes sur le long terme. A la fois par des contrats économiques, mais aussi par le rayonnement qui en découle, plus difficilement quantifiable mais indispensable. "Les Etats-Unis, la Chine, sont des superpuissances incontestables, la France, elle, cherche à le rester" : pour Paris, organiser les Jeux olympiques revient ainsi à confirmer sa place de choix parmi le concert des nations, en affirmant un indéniable soft power culturel, met en avant Olivier Guyottot, enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques à l’Inseec Grande Ecole. "A Sotchi, en Russie, ou à Pékin, en Chine, il s’agit de dire 'regardez comme on est forts'. Pour la France, il s’agit moins de faire une démonstration de puissance que de faire référence à nos valeurs, notre histoire, notre culture", poursuit le spécialiste en stratégie des Etats.

Si les retombées économiques quantifiables ne durent souvent que trois ans, "le véritable atout, c’est la dimension réputationnelle, comment on réussit à changer la réputation de son pays par le biais du sport" résume le chercheur Jean-Yves Guégan, auteur de Géopolitique du sport (Bréal, 2022) et coauteur avec Lukas Aubin de La Guerre du sport (Tallandier, 2024). C’est ce qu’a fait avec succès le Qatar lors de la Coupe du monde, et comme le note le spécialiste, une fois la compétition lancée, les appels au boycott avaient été oubliés, seule a compté l’organisation réussie. "Il y a encore quelques années, le Qatar n’existait pas sur la scène mondiale. Le Mondial lui a permis de faire entrer de nouvelles représentations dans la tête des gens. Paris 2024 peut avoir un impact fort sur les dix prochaines années."

"Paris 2024 ouvre une décennie pour l’olympisme et pour le sport

En témoigne l’expérience londonienne, qui a laissé ses marques à long terme. L’image de la reine d’Angleterre "sautant" d’un hélicoptère avec James Bond a combiné avec succès tous les clichés sur le pays, les saupoudrant d’une bonne dose d’humour britannique. S’ensuivront des Jeux exemplaires, où l’organisation huilée n’a jamais fait défaut et où les athlètes britanniques ont particulièrement brillé par leurs performances. Quatorze ans plus tard, la ville en touche encore les dividendes en termes d’image, sans parler de la réhabilitation de pans entiers de la ville. "Londres 2012, cela a permis à la ville de devenir trois fois de suite la première capitale mondiale du tourisme, rappelle Jean-Baptiste Guégan. Paris l’est déjà. Sauf que Paris, malheureusement, souffre de la question sécuritaire, des images laissées par les gilets jaunes, les émeutes urbaines…" Les Jeux offrent une occasion en or d’effacer toute cette publicité négative.

Au centre de ce rayonnement culturel, notre capacité à projeter des images qui resteront. "Faire d’Emily in Paris une réalité", résume le spécialiste de géopolitique. Parmi ces nouvelles images, celles, sans doute spectaculaires, de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, la première à se faire en dehors d’un stade, mais aussi celles des compétitions sportives dans des lieux iconiques de la capitale. Les athlètes sur la Seine, le triathlon aux Invalides, l’équitation dans le décor somptueux de Versailles, les sports urbains sur la place de la Concorde, le volley-ball sous la tour Eiffel… "On va décupler les émotions du sport grâce au patrimoine français, avec un effet multiplicateur formidable", renchérit Samuel Ducroquet.

Reste qu’en accueillant ces Jeux cent ans après les premiers, l’ambition de la France va au-delà d’un simple prestige sportif et patrimonial. Il s’agit de réconcilier le monde avec l’olympisme, de lui redonner un nouveau souffle. "Nous voulons prouver au monde que l’on peut réaliser des Jeux audacieux, spectaculaires, mais également responsables et solidaires, sous un nouveau modèle", avance l’ambassadeur du sport. Plus inclusive, plus sobre, moins chère, cette "olympiade" peut-elle ouvrir une nouvelle page, incitant des pays dits "du Sud" à concourir à nouveau pour les accueillir ? Il y a une volonté de faire des JO exemplaires, qui peuvent "devenir une sorte de mètre étalon en la matière", insiste Olivier Guyottot. "Paris 2024 ouvre une décennie pour l’olympisme et pour le sport, favorable aux démocraties et notamment aux Occidentaux : Los Angeles 2028, l’Australie en 2032 ou encore la Coupe du monde de foot en 2026 aux Etats-Unis, Canada, Mexique et en 2030 Espagne, Portugal, Maroc", note de son côté Jean-Yves Guégan. Quelles que soient les ambitions diplomatiques de plus ou moins long terme, reste que "dès que les épreuves commencent, on oublie tout", rappelle le chercheur. Seules comptent alors les performances sportives, capables de projeter pour longtemps la puissance d’une nation.

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