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"J'ai perdu mon emploi, j'ai des douleurs chroniques..." : après la pose d'implants vaginaux, l'enfer des femmes victimes de complications

Depuis 2020, 113 femmes ont porté plainte contre X pour "tromperie" et "blessures involontaires" après la pose d'un implant vaginal. Karine Prou et Sabine Nuyts en font partie. Elles racontent comment ces graves complications leur gâchent la vie depuis des années.

Comme des centaines d’autres victimes de lésions irréversibles, Karine et Sabine ne savaient pas. Se faire poser dans le corps un implant vaginal ? C'était pour enrayer l’incontinence post-accouchement ou la descente d’organes. Chaque année, plus de 15.000 de ces prothèses sont posées en France. Sauf que ces bandelettes, sorte de hamac sous l’urètre, peuvent provoquer de graves complications. Aujourd'hui, beaucoup de ces femmes ne peuvent plus marcher, fonctionner, uriner, vivre. Au fil des années, les plaintes se sont multipliées en France : 114 ont été déposées à ce jour. 

"Je ne pouvais plus emmener mes enfants à l'école"

Karine Prou, 45 ans, vit un cauchemar. L'ancienne gérante d'une société d'ambulances installée au Mans décide en 2018 de se faire poser une bandelette sous-urétrale pour traiter ses fuites urinaires. "Dès que je suis sortie, j'ai dit au chirurgien : il y a un problème… ça me serrait", se souvient-elle. La bandelette se révèlera trop tendue. "Je sais aujourd'hui qu'elle est à 1 mm de mon urètre. C'est-à-dire qu'elle peut gentiment me cisailler l'urètre si je ne fais rien." Incapable d'uriner ou d'aller à la selle, Karine Prou doit être réhospitalisée en urgence. Le chirurgien lui annonce l'impossibilité de retirer la bandelette. Suivent dix-huit mois d'immobilité. "Je ne pouvais plus emmener mes enfants à l'école, je ne pouvais plus prendre ma voiture."

"Je dois être réparé en France"

Les conséquences sur sa vie quotidienne s'enchainent, désastreuses. "J'ai dû arrêter de travailler... J'avais tenté de reprendre des études d'infirmières, mais je ne tenais pas assise sur les bancs de l'école." Sans compter les répercussions sur l'intimité. "À chaque rapport avec mon mari, je saignais."

Une fois implanté, le tissu de plastique se mêle aux chairs en une quinzaine de jours seulement. Il devient alors très difficile à retirer. Ce qu’ignorent une grande partie des patientes, qui ne l’apprennent qu’au moment où elles cherchent à le faire enlever. "Les chirurgiens m'ont expliqué il y a six ans qu'en retirant la bandelette, je risquais d'être encore un peu plus handicapée. J'ai toujours ces douleurs. Aujourd'hui, j'envisage le retrait des bandelettes TOT (par voie transobturatrice) par le professeur Peyronnet, à Rennes. Ça reste une décision difficile à prendre. Mais des chirurgiens, des professeurs urologues pratiquent le retrait de ces implants en France. Nous avons des réunions avec eux. Notre collectif implant vaginal, via notre groupe Facebook, essaie d'aider et d'orienter les femmes. Ensuite, à elles de consulter et de voir ce qui est possible dans chaque cas."

Karine Prou déplore le manque de spécialistes capables de réaliser des retraits complets dans l'hexagone. "On n'a que trois chirurgiens en France qui font des retraits complets. Un chirurgien aux États-Unis s'est spécialisé là-dedans. Mais moi, j'estime que je dois être réparé en France." Une situation dramatique qui pousse à l'errance médicale et conduit parfois au pire, comme lorsqu'une femme de 41 ans a décidé de recourir au suicide assisté en août en Belgique, après quatre ans d'agonie.

Errance médicale

Sabine Nuyts, 54 ans, a, elle aussi, vu sa vie basculer après avoir été opérée en 2012 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) par un gynécologue. "J'étais très sportive et j'étais gênée par des fuites urinaires quand je faisais du sport. C'est ce qui m'a décidé à poser cet implant. On m'a présenté cette intervention comme étant tellement légère et tellement facile sans me dire les inconvénients et j'ai fait confiance... "

Mais l'Auvergnate ressent dès le réveil dans la chambre d'hôpital des douleurs "auxquelles on n'a pas été attentifs et qui se sont aggravées jusqu'à ce que je ne tienne plus et que j'obtienne un rendez-vous," raconte-t-elle. De 2012 à 2015, l'infirmière au centre Jean-Perrin vit une errance médicale. "Je n'ai pas eu de solution et je ne savais même pas que les douleurs étaient dues à l'implant parce que quand je revoyais le gynéco, il disait que ce n'était pas possible que ce soit dû à ça."

En 2015, lors d'une consultation au CHU Estaing, on lui annonce que ses douleurs sont dues à l'implant... mais qu'il n'y a pas de solution chirurgicale, seulement une méthode médicamenteuse. "J'ai eu un traitement pour les douleurs... J'ai continué à travailler comme je pouvais jusqu'à la fin de 2016. Après, j'ai dû arrêter de travailler et je vis avec une pension d'invalidité désormais."

"Construire des solutions"

Finalement, en janvier 2019, Sabine Nuyts trouve une chirurgienne spécialisée dans les ablations d'implants, à Nîmes. "Elle a vu que tous mes problèmes étaient dus à cet implant. En mai 2019, on a fait un retrait seulement partiel de l'implant, donc il reste un morceau de l'implant qui va dans la cuisse. J'ai mis deux ans de convalescence très compliquée, à ne presque pas pouvoir me lever, avec un gros suivi anti-douleur à Clermont. J'ai 50?% des douleurs en moins, mais je garde de grosses séquelles."

J'ai perdu mon emploi, je suis une patiente avec des douleurs chroniques, j'ai deux séances de kiné par semaine, je suis incapable de tenir une journée debout, je ne peux pas rester longtemps assise, je ne peux pas faire de voiture. Ma vie sociale et personnelle a été très impactée.

Avec Karine Prou, la Puydômoise se dit "en colère" et se bat pour "construire des solutions en France parce que tout le monde n'a pas 20 à 30.000 euros à mettre pour cette intervention aux États-Unis."

Plusieurs dizaines de patientes ont déjà saisi la justice depuis 2020, et une grande partie d'entre elles ont été entendues par les enquêteurs. " J'ai été auditionnée par les gendarmes pendant quasiment quatre heures. Maintenant, on attend la suite", dit Sabine Nuyts. 

Enquête en cours depuis 2021

Les plaignantes soutiennent que les laboratoires ont sciemment minimisé, voire dissimulé les risques de leurs dispositifs contenant du polypropylène, notamment les difficultés - même l'impossibilité - de les enlever. "On ressent beaucoup de  colère parce qu'on se heurte à un gros déni des chirurgiens."

Depuis avril 2021, une enquête préliminaire est en cours pour tromperie aggravée et blessures involontaires au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, confiée à l'Office de lutte contre les atteintes à la santé publique (OCLAESP). 

À ce stade, le parquet a été destinataire de "114 signalements de personnes déclarant avoir subi des désagréments significatifs à la suite de la pose d'implants vaginaux de marques différentes et par des praticiens différents", a confirmé lundi 22 juillet le parquet de Paris à l'AFP.

Aux États-Unis, les implants posés par voie vaginale ont été classifiés à "haut risque" en 2016 et interdits en 2019. En France, la pose des implants pour le prolapsus par voie vaginale est suspendue depuis 2019. Ceux posés par voie abdominale et certaines bandelettes sous-urétrales sont toujours autorisés et leur pose est désormais encadrée.

Comment réduire les risques ?

L'interrogatoire et la prise en charge globale de la patiente sont extrêmement importants. Si une femme a des fuites urinaires, mais peu importantes, et sur des activités très précises, il faut d'abord travailler sur d'autres prises en charge : perdre du poids, porter un système intravaginal pour diminuer les fuites, et bien sûr faire de la rééducation périnéale. Il n'y a aucune urgence, il faut savoir prendre le temps avant l’opération et tester les autres méthodes. Concernant les bandelettes sous-urétrales, il faut privilégier le polypropylène et pas le polyester, car ce dernier est plus à risque d'infection notamment. La technique de pose est également à discuter en privilégiant Nous privilégions la voie rétro-pubienne.

Que vous inspire l'ouverture d'une enquête sur ce sujet ?

De la tristesse. Je me dis que si je n'ai plus cela à offrir à mes patientes, pour moi, ce serait de l'abandon. Car je n'aurais plus rien à leur proposer qui me semblerait relativement sûr et avec des résultats probants. Oui, il peut y avoir des complications, il faut savoir les diagnostiquer et les gérer. Mais je pense que c'est dangereux de faire peur à l'ensemble de la population. Cela nous désolerait de revenir aux anciennes techniques, ce serait encore plus compliqué. Il faut savoir que nombre de patientes souffrent énormément de leurs fuites urinaires tant sur le plan psychologique, social (isolement) mais également financier (achat des protections) : il s’agit d’un véritable problème de santé publique.

Que dites-vous aux femmes victimes de complications constituées en groupe ? Comment peuvent-elles mener une vie à peu près normale et se soigner ?

Je fais partie des professionnels de santé qui essaient de les prendre en charge. Cela m'attriste qu'elles ne soient pas bien, car ce n'est pas notre but en tant que médecins. Il faut à tout prix que ces patientes consultent pour qu’elles puissent être prises en charge, que leur dossier soit discuté en réunion pluridisciplinaire et que tout soit mis en œuvre pour les améliorer. Nous essayons au maximum de faire ce que nous pouvons et de vraiment les entourer.

Nicolas Faucon 

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