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Les Libanais soutiennent-ils le Hezbollah ? Les résultats surprenants d’une vaste enquête

Les Libanais soutiennent-ils le Hezbollah ? Les résultats surprenants d’une vaste enquête

Que valent ces images de foules, drapeaux jaune et vert flottant au-dessus des têtes, qui nous parviennent lors des allocutions d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah ? Les poings tendus vers le ciel, à chaque haussement de voix du leader, doivent-ils être interprétés comme un soutien total et sans réserve au mouvement islamiste chiite, considéré comme une organisation terroriste par de nombreux pays dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les membres de l’Union européenne, et dont le chef promettait encore en juin, lors d’un discours télévisé, qu'"aucun lieu" en Israël ne serait épargné par les missiles de son groupe en cas d’attaque contre le Liban ?

Dans le sillage d’une étude précieuse concernant l’opinion des Gazaouis vis-à-vis du Hamas, le Baromètre arabe s’est à nouveau donné l’objectif de sonder les âmes, cette fois, des Libanais sur le Hezbollah. Le premier enseignement de cette enquête, menée entre février et avril 2024 sur l’ensemble des régions du pays (urbaines et rurales), et dont les conclusions ont été dévoilées dans Foreign Affairs, sonne comme un désaveu cinglant. 30 %, c’est la proportion de Libanais qui ont déclaré avoir "confiance" en le groupe islamiste chiite. Sans surprise, 85 % des chiites se sont exprimés en ce sens, contre seulement 9 % des sunnites, 9 % également des Druzes, et 6 % des chrétiens [NDLR : le pays n’a pas effectué de recensement officiel depuis 1932, mais, selon le département d’État américain, citant Statistics Lebanon, une société indépendante de sondage et de recherche, les chiites représenteraient 32,2 % de la population, contre 31,2 % de sunnites, 30,5 % de chrétiens et 5,5 % de Druzes].

Des taux d’autant plus accablants pour le groupe, sorti affaibli des législatives de 2022, qu’ils n’ont évolué positivement que du côté des chiites depuis cette date. Ils sont restés stationnaires parmi toutes les autres confessions. "Cela signifie que le groupe conserve sa base parmi les chiites, mais qu’il peine à élargir son socle de soutiens", interprète auprès de L’Express MaryClare Roche, chercheuse à Princeton, directrice de la technologie et de l’innovation au Baromètre arabe, et co-auteure de l’article publié dans Foreign Affairs.

Le mouvement chiite, sorte d’Etat dans l’Etat, ferait-il l’expérience des limites de son modèle ? Pas tout à fait. Quand le Baromètre arabe interroge les Libanais sur l’implication du Hezbollah en matière de politique régionale, le tableau est différent. Si un tiers seulement des sondés se montrent favorables ou très favorables à cette idée (dont 78 % d’appréciations positives chez les chiites), on observe en réalité une hausse de neuf points depuis 2022. Ce, principalement parmi les non-chiites : + 10 points parmi les Druzes, + 8 chez les sunnites, et + 7 pour les chrétiens.

Effet "Gaza"

Des résultats à lier, selon la chercheuse, à l’implication du Hezbollah dans la guerre qui se déroule à Gaza. 78 % des sondés qualifient en effet l’action militaire israélienne sur place d’"acte terroriste", contre 11 % considérant les attaques menées par le Hezbollah dans le nord d’Israël de "terrorisme". Un effet "Gaza" d’autant plus criant que la tendance est similaire vis-à-vis de l’Iran, principal soutien du mouvement chiite et ennemi juré d’Israël. Là encore, si l’image du pays reste toujours à des niveaux bien plus faibles parmi les non-chiites que parmi les chiites, c’est tout de même parmi les Druzes, les chrétiens, et les sunnites que celle-ci s’est améliorée le plus - la hausse courant de quatre à neuf points en plus par rapport à 2022 dans ces communautés.

Une percée interconfessionnelle à nuancer cependant : parmi les populations arabes interrogées dans pas moins de sept pays par le Baromètre arabe (depuis septembre 2023), les Libanais sont les seuls à considérer que l’administration Biden devrait traiter en priorité le développement économique du Moyen-Orient plutôt que la question palestinienne… Ce, alors même que "les Libanais compatissent énormément avec les Palestiniens, et [qu’] ils nourrissent un profond scepticisme à l’égard des Etats-Unis, encore plus qu’en 2022, s’étonne la chercheuse. Cela peut paraître surprenant, mais c’est révélateur de la souffrance des Libanais, qui voient certes dans le Hezbollah un acteur capable de s’opposer à Tsahal (qu’ils considèrent comme l’agresseur dans le conflit de Gaza), mais semblent prêts à s’en remettre à la communauté internationale plutôt qu’à leur classe politique (dont le Hezbollah fait partie) pour pallier leurs difficultés intérieures".

L’économie libanaise s’est effondrée en 2019. Parmi les sept pays arabes où l’organisme a mené des enquêtes depuis septembre 2023, les Libanais sont ceux qui se montrent (de loin) les moins satisfaits en matière de fourniture d’eau, d’électricité, d’accès à Internet et de soins de santé. De même, seuls 13 % des citoyens pensent que la situation est susceptible de s’améliorer dans les deux ou trois prochaines années.

Risque d’escalade du conflit

Ce soutien en demi-teinte au Hezbollah est d’autant plus criant si l’on prend en compte l’ensemble du paysage politique du pays. Alors que 9 Libanais sur 10 n’ont pas beaucoup ou pas du tout confiance en leur gouvernement, le Parlement ou le Premier ministre, le Hezbollah, qui se revendique "le Parti de Dieu", ne tire pas plus son épingle du jeu – si ce n’est moins : 3 personnes sur 4 disent qu’elles ne font pas confiance aux figures religieuses, tandis que 65 % estiment que celles-ci peuvent tout autant être "corrompues" que les responsables politiques non religieux. Ainsi, seuls 12 % des Libanais disent se sentir plus proches du Hezbollah en tant que parti politique que des autres groupes. Parmi les chiites, ils ne sont que 39 % contre… 1 % parmi les autres confessions. En comparaison, l’armée libanaise reçoit un avis positif de pas moins de 85 % des sondés. "Mais le Hezbollah est le seul groupe à avoir suffisamment de ressources pour combattre Israël. Et cela, les Libanais le savent. D’où le fait que malgré la faible confiance qui lui est accordée, il recueille une hausse des soutiens sur son implication régionale", explique MaryClare Roche.

Fait non négligeable : depuis que l’enquête a été menée, les inquiétudes concernant la détérioration de la situation le long de la frontière entre le Liban et Israël se font de plus en plus fortes. Ce que l’attaque à la roquette du 27 juillet sur le plateau du Golan, qu’Israël et la Maison-Blanche attribuent au Hezbollah et qui a causé la mort de douze jeunes âgés de 10 à 16 ans (pour l’heure, le groupe nie être l’auteur de ce tir), ne peut que renforcer. "Le soutien au groupe pourrait bien augmenter considérablement en cas d’escalade avec Israël. Tout dépendra de la responsabilité de chacune des deux parties dans cet événement", alerte la chercheuse. En clair : en cas d’offensive militaire israélienne, les Libanais, déjà confrontés à une crise majeure, pourraient bien compter sur le Hezbollah pour se défendre. "Ce qui compliquerait la tâche d’Israël, si l’objectif est de s’attaquer au groupe terroriste", précise MaryClare Roche.

Dans le scénario contraire, d’un Hezbollah entamant les hostilités, le groupe pourrait perdre le fragile soutien dont il jouit pour le moment. "Ça ne serait pas une tâche facile, l’espoir de normalisation des relations avec les Israéliens ayant pris du plomb dans l’aile, mais si Israël pouvait nouer une relation, ou des pourparlers avec le gouvernement libanais, cela permettrait de signaler aux citoyens libanais ordinaires qu’il distingue clairement le Hezbollah des citoyens. Et donc d’endiguer une possible hausse du soutien au groupe terroriste."

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