World News in French

Taxes comportementales : l’autre talon d’Achille de la majorité présidentielle ?

Les élections européennes et le premier tour des législatives ont largement placé le Rassemblement national en tête des scrutins. De multiples facteurs politiques, économiques et sociologiques peuvent expliquer le raz-de-marée du camp national ; mais difficile de comprendre cette dynamique électorale sans prendre en compte le ras-le-bol fiscal.

 

C’est un point de programme du Rassemblement national largement sous-médiatisé à l’échelle nationale, et pourtant.

En proposant depuis plusieurs mois de passer la TVA de 20 % à 5,5 % sur les carburants, le Rassemblement national a ajouté un élément programmatique séduisant pour des millions de Français : les électeurs de la France périphérique dépendants de leur véhicule au quotidien, et la perspective d’une baisse de ces taxes représente pour eux une substantielle amélioration de leur pouvoir d’achat.

Cependant, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’incitation à opter pour les transports en commun, il a toujours été hors de question pour le gouvernement d’envisager la moindre réduction drastique et durable de la TVA sur le carburant. Une véritable taxe comportementale – une fiscalité punitive et incitative – qui pèse sur le porte-monnaie des Français… Et qui a certainement un peu pesé dans la défaite du camp présidentiel.

En effet, ce type de charge est d’autant plus difficile à tolérer que les initiatives de cet ordre se sont multipliées ces derniers mois.

En mars dernier, les députés avaient ainsi voté la mise en place d’une taxe fast-fashion pour imposer un malus de plusieurs euros sur chaque vêtement acheté sur certaines plateformes en ligne de prêt-à-porter.

Plus récemment encore, un rapport sénatorial proposait même d’augmenter les taxes sur le tabac, l’alcool et les sodas. Autant de taxes comportementales destinées à forcer la main du consommateur pour son plus grand bien. Toutefois, leur mise en application est souvent contre-productive ou injuste.

 

Taxe comportementale : échec sur toute la ligne

En théorie, les taxes comportementales poursuivent deux buts : décourager le consommateur d’acheter des produits jugés nocifs, et compenser auprès de la Sécurité sociale les fonds utilisés pour soigner les consommateurs dont la santé aurait pâti de leurs mauvais choix. Ainsi, un paquet de cigarettes est taxé à hauteur de 84 % (une taxation parmi les six plus élevées des pays de l’OCDE), un verre d’alcool fort sera ponctionné de 0,31 euro, et un hectolitre de boisson dont la quantité de sucre équivaut à 15 kg sera taxé de 24,78 euros.

En parallèle, fleurit également une myriade de taxes dont le but est simplement de compenser l’aspect jugé immoral du produit ; par exemple, voyager en avion, rouler en SUV ou commander des vêtements sur Shein. Désormais, nous ne comptons plus la multitude de petites taxes imposées dans notre vie quotidienne au nom des grands principes moraux du moment, typiques de la volonté croissante de l’État d’influencer les comportements de consommation sous le prétexte de bien-être public.

Il apparaît toutefois que si les intentions en termes de morale, de santé publique ou de bonne conscience écologique peuvent être compréhensibles, les résultats sont discutables. Un exemple concret : depuis les années 1960, il n’y a pas eu de baisse de la consommation de tabac en France malgré la hausse continue des taxes.

Comment expliquer ce phénomène ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’une population de consommateurs captifs ne disposant plus de la liberté de ne plus fumer, même lorsque le paquet est trop cher pour leur bourse. Cela a deux conséquences : l’appauvrissement de cette population et le développement d’un marché parallèle pour se fournir à moindre prix.

C’est la faille classique des taxes comportementales, souvent contre-productives, inutiles ou coûteuses : elles aggravent parfois les inégalités sociales et encouragent les comportements frauduleux.

En effet, telle que la proposent les parlementaires français, la fiscalité comportementale repose sur l’hypothèse très contestable d’une élasticité des comportements face aux prix. Mécaniquement, le comportement rationnel du consommateur l’inclinerait à réduire sa consommation au prorata de l’augmentation de son prix provoquée par les taxes. Or nous savons depuis longtemps que, heureusement ou malheureusement, l’homo oeconomicus n’est pas un être de raison. Pour de multiples facteurs, tant économiques, sociaux que psychologiques, les consommateurs changent assez peu leurs habitudes. Bien souvent, les taxes pèsent lourdement sur les populations visées, souvent les plus vulnérables. A contrario, si des changements de comportement sont finalement notables, ce sont les recettes fiscales qui deviennent incertaines.

Cette moralisation de la fiscalité par l’État n’est pas sans rappeler La Fable des abeilles de Bernard Mandeville. Au début du XVIIIe siècle, le philosophe néerlandais pose avec une franche radicalité certains éléments du libéralisme économique, notamment le fait que les vices privés servent le bénéfice public.

En élaborant une anthropologie réaliste de l’individu qui veut maximiser son intérêt, il montre que l’égoïsme est non seulement impossible à supprimer, mais qu’il est également un facteur de croissance. Dans cette approche, l’État n’a pas un rôle de moralisation des individus, il doit juste guider de façon à ce que les égoïsmes mènent à la richesse collective. Si d’aucuns peuvent juger cette approche bien cynique, il n’en demeure pas moins qu’elle illustre dans une certaine mesure les réalités économiques qui sont de toute façon les nôtres, et a le mérite de remettre l’État à sa juste place, c’est-à-dire plus loin. En optant pour la fiscalité comportementale, l’État capte les richesses liées aux vices privés et les engloutit dans le vortex des dépenses publiques incontrôlées, accroissant l’appauvrissement général.

Читайте на 123ru.net