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Napoléon III et l’économie

Les actes du colloque « Napoléon III et l’économie » organisé les 12 et 13 mai 2022 par la Fondation Napoléon, en collaboration avec Citéco (Cité de l’économie et de la monnaie), la Banque de France et Sorbonne Université, ont été publiés aux CNRS Éditions, en avril 2024. Cet ouvrage est dirigé par le professeur Éric Anceau, spécialiste reconnu de Napoléon III dont sa biographie est à ce jour un livre de référence[1], et Pierre Branda, directeur scientifique dynamique de la Fondation Napoléon pour qui les questions économiques et financières des Premier et Second Empire n’ont plus aucun secret. On lui doit d’ailleurs six ans plus tôt le colloque « Napoléon et l’économie. Monnaie, banque, crises et commerce sous le Premier Empire », publié sous le titre L’économie selon Napoléon. Monnaie, banque, crises et commerce sous le Premier Empire (Vendémiaire, 2016).

 

Ce nouvel ouvrage s’inscrit donc dans la continuité d’un premier opus réussi sur l’oncle, et fait d’ores et déjà autorité, aussi bien par la richesse que la justesse des différentes contributions d’une trentaine d’auteurs qui ont su synthétiquement rendre compte de l’histoire d’un homme au prisme de son lien étroit avec l’économie.

Ces actes sont organisés en sept parties équilibrées, l’objectif étant, selon les deux meneurs de cette étude, de couvrir l’ensemble du sujet sans pour autant prétendre l’épuiser :

  1. Penser l’économie
  2. Financer l’économie
  3. Pouvoir et industrie
  4. Transformer le pays
  5. Et la France dite profonde ?
  6. S’ouvrir au monde
  7. Les contrastes d’un règne

 

Un pari difficile mais brillamment relevé. En effet, ce qui aurait pu être une simple suite de contributions, parfois inégales, comme bien souvent les actes d’un colloque, est organisé par thématiques pertinentes, dans un souci de clarté. La mayonnaise prend, à n’en pas douter. Ce livre est en outre riche de graphiques, figures et notes détaillées utiles pour mieux illustrer, voire saisir ou creuser les multiples sujets abordés.

Par comparaison avec d’autres époques, d’autres régimes, le legs du Second Empire en matière d’économie est considérable. Cette vingtaine d’années, qui se situe précisément entre deux dépressions et coïncide avec une période d’expansion et de prospérité – excepté en 1857 et 1867, années de crise économique remarquablement analysées par Jean-Marc Daniel –, a su relever les défis économiques et sociaux des débuts du capitalisme libéral français, qui n’en était alors qu’à ses balbutiements. La France moderne, selon l’expression d’Adrien Dansette, entre de plain-pied dans la croissance, et est toujours en 1870 la deuxième puissance économique et exportatrice mondiale.

Avant même l’avènement du Second Empire, le prince-président affichait déjà clairement en guise de programme ses ambitions économiques et sociales :

« Aujourd’hui, c’est par le perfectionnement de l’industrie, par les conquêtes du commerce, qu’il faut lutter avec le monde entier »[2].

L’économie politique du 2 décembre, si critiquée par Zola, comme le montre Agnès Sandras avec un remarquable esprit de synthèse, s’inspire d’ailleurs des théories saint-simoniennes. Louis-Napoléon, homme d’État passionné par les questions économiques et sociales, souhaite une mobilisation rapide de capitaux, l’objectif étant d’assurer la modernisation économique du pays à travers une politique d’investissement massif. Les dépenses doivent être financées par des emprunts, et non par la création de nouveaux impôts. Une fois encouragé, le développement réalisé est censé augmenter les revenus et ainsi permettre le remboursement de la dette. Le déficit budgétaire créé se réduit à n’être qu’une difficulté provisoire dont découleraient rapidement de grands bienfaits[3].

Inspiré par quelques saint-simoniens, il prône également une libéralisation rapide du crédit, trop cher, par la baisse du taux de l’intérêt[4]. Le but est cette fois de drainer les capitaux vers l’économie : les émissions de billets doivent rendre le capital moins rare et permettre en conséquence de réaliser à court terme de grands travaux publics et d’assurer le développement de toutes les activités économiques.

À titre d’exemple, c’est en ce sens que fut entreprise par les frères Pereire la création du Crédit mobilier en 1852 : l’idée est de « contribuer au développement, sous toutes ses formes, notamment industrielles »[5], même si cette banque d’investissement devait surtout soutenir le développement ferroviaire. En somme, le rentier se transforme en capitaliste utile à la société. À ce sujet, les libres propos dirigés par Dominique Barjot avec la participation de Thierry Claeys, Matthieu de Oliveira et Nicolas Stokopf, relatifs aux projets bancaires du Second Empire et à leur réalisation, sont passionnants et d’une grande clarté.

À lire aussi : 

Les frères Péreire

On peut aisément qualifier le Second Empire de « socialisme à direction capitaliste »[6].

L’empereur serait donc imprégné de socialisme saint-simonien, comme l’argumente Serge Schweitzer avec la virtuosité et l’intelligence qu’on lui connait. Il estime néanmoins que si Napoléon III pense en socialiste, il agit en libéral. Son approche est séduisante – comme toujours – et l’étude érudite qu’il fait de l’Extinction du paupérisme, brochure souvent citée mais peu étudiée, explicite clairement l’intérêt majeur de ce texte qu’il apprécie pourtant sans pertinence scientifique. Napoléon III n’est pas un idéologue mais bien un pragmatique, comme le rappelle opportunément Éric Anceau. Empereur entrepreneur et admirateur de l’Angleterre, de par son histoire personnelle et la réussite industrielle de cette nation, qui le fascine depuis les années 1830, ce « Saint-Simon à cheval », selon l’expression d’Adolphe Guéroult, fait état, dès la fin de la décennie 1850, de sa volonté de soumettre, bien que relativement, les diverses branches de l’économie nationale à la concurrence étrangère. C’est l’un des objectifs de sa politique économique, après avoir assuré les investissements de base par la relance des affaires industrielles et l’engagement de la croissance à long terme[7].

Une génération d’industriels et d’ingénieurs s’emploient à la réalisation de ce dynamisme, comme en témoignent les riches contributions d’Agnès D’Angio-Barros, Jean-François Belhoste, Thierry Renaux, Dominique Barjot et Clémence Becquet, sans oublier en parallèle le développement des chemins de fer, ou encore la politique des grands travaux menée à partir de 1853 mais pensée dès 1848, sujets traités avec brio par Georges Ribeill, Juliette Glikman ainsi que Michel Hau, Florence Bourillon, Michel Carmona et Dominique Barjot.

Ainsi, Napoléon III perçoit l’économie internationale comme une compétition entre les différentes économies nationales : son désir n’est en aucun cas d’arriver à la réalisation d’un marché unique européen ou mondial. Il ne s’inspire donc pas des économistes classiques tels que Smith et Ricardo. Il préconise en revanche l’établissement d’une véritable concurrence entre les pays. Selon lui, avec la baisse générale des prix, celle-ci doit permettre le développement industriel et l’accroissement du commerce, et donc conduire à l’essor économique ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie des plus démunis et des plus fragiles, que l’empereur n’oublie pas, grâce à l’augmentation de la consommation.

Mais la nouvelle politique douanière adoptée ouvre quand même la voie à de nombreux traités de commerce, comme l’évoque Olivier Baustian en traitant précisément non pas de celui réalisé avec l’Angleterre, souvent évoqué dans l’historiographie existante, mais avec l’union douanière allemande, fructueux économiquement pour la France mais désastreux politiquement en favorisant la création de l’Empire allemand. Le Second Empire est d’ailleurs un régime ouvert sur le monde, comme en témoignent les contributions érudites de Bruno Marnot, Marie-Françoise Berneron-Couvenhes, Caroline Piquet et Édouard Vasseur.

Vous l’aurez compris, cette recension n’a en fait qu’un seul but : vous faire lire cet ouvrage complet et d’une grande réussite sur un sujet complexe, qui, par son souci d’objectivité, plaira aux passionnés comme aux détracteurs d’une période charnière de l’histoire économique française et d’un empereur longtemps malmené par les historiens, bien que les travaux les plus récents témoignent d’une mise en lumière de cette figure historique complexe. Au début de la deuxième moitié du XXe siècle, Adrien Dansette a été l’un des premiers historiens à avoir entrepris une relecture de ce règne, et c’est à travers la politique économique menée par l’empereur – une composante essentielle de cette revalorisation – qu’il explique l’une des raisons de cette longue période avant la reconsidération : « On apprécie mieux, avec le recul temps, une intelligence qui a pressenti l’importance croissante des problèmes économiques et sociaux »[8]. Cet ouvrage, vous le verrez, en est un exemple probant.

Bonne lecture !

[1] Napoléon III. Un Saint-Simon à cheval, Paris, Tallandier, 2008. On citera également l’ouvrage de Thierry Lentz, Napoléon III. La modernité inachevée, Paris, Perrin et BNF, 2022.

[2] Bonaparte Louis-Napoléon, « Discours » au banquet des exposants de l’industrie, le 31 août 1849, in Œuvres de Napoléon III, vol. 3, Paris, Plon et Amyot, 1869, p. 105.

[3] Désireux d’estimer l’efficacité de sa politique économique, Louis-Napoléon Bonaparte institue également une commission de statistiques à l’été 1852. Elle devait réaliser des enquêtes pour essayer de quantifier le progrès. Voir là-dessus Anceau Éric, Napoléon III. Un Saint-Simon à cheval, op. cit., p. 351.

[4] Cf. Hautcoeur Pierre-Cyrille, « Les transformations du crédit en France au XIXe siècle », Romantisme, 2011/1, n° 151, p. 36.

[5] Autin Jean, Les frères Pereire. Le bonheur d’entreprendre, Paris, Perrin, 1983, p. 175.

[6] Selon l’expression de Louis Jouffroy. Voir Meyer Jean, Le poids de l’État, Paris, PUF, 1983, p. 188. Sur l’origine de l’expression, se référer à Girard Louis, La politique des travaux publics du Second Empire, Paris, Armand Colin, 1951, p. 110.

[7] Cf. Barjot Dominique, « L’empereur entrepreneur : le Second Empire, une première industrialisation de la France », in P. Milza (dir.), Napoléon III. L’homme, le politique, Paris, Napoléon III Éditions, 2008, p. 269-270.

[8] Dansette Adrien, Louis-Napoléon à la conquête du pouvoir, Paris, Hachette, 1961, p. 384.

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