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“Twisters”, “Deadpool and Wolverine” : Hollywood tourne-t-il le dos au “wokisme”?

À l'approche d'une élection cruciale, le cinéma américain mainstream opère un recentrage et prend soin de ne fâcher personne pour ne renoncer à aucun ticket vendu.

La droite américaine et ses divers relais journalistiques s’en lèchent les babines : Hollywood semble enfin prêt, croient-ils voir dans le marc du box-office estival, à tourner le dos au “wokisme” et ainsi à renouer avec le succès. “Hollywood change de cap alors que le cinéma woke fait un flop au box-office”, tacle le journal de la finance, le Wall Street Journal. “Deadpool et Wolverine sauvent Marvel de son marasme”, s’enthousiasme la très droitière National Review. “Hollywood a-t-il enfin retenu la leçon ?”, se demande pour sa part le Daily Mail (britannique mais très conservateur), se félicitant que des films “pas woke” remplissent les salles, “après l’échec de plusieurs œuvres moralisatrices”…

Pour tous ces titres qui répètent depuis des années que “Go Woke, Go Broke” (“broke” signifiant “fauché”), la messe est dite.

Ça va, on rigooooole

La preuve la plus éclatante de ce reflux sur le grand écran des valeurs progressistes qu’ils abhorrent est, selon eux, le succès massif de Deadpool et Wolverine : 280 millions de dollars aux États-Unis, en une semaine, un record pour un film R-Rated, interdit aux moins de 17 ans.

Le film de Shawn Levy – pourtant pas le cinéaste le plus réac’ en activité, lui qui prônait même dans Free Guy (2021, avec Ryan Reynolds) un dépassement du capitalisme – passe une bonne partie de ses deux heures et quelques à “s’attaquer explicitement et sans inspiration à tout ce qu’il est possible d’écorcher : le wokisme, le féminisme, l’écriture inclusive, le véganisme, l’identité de genre”, comme l’écrit notre critique Arnaud Hallet. Tout en s’appuyant sur un homoérotisme peu subtil et inoffensif, Deadpool séduit d’abord ses nombreux fans par son cynisme et sa façon crâne de dire “ça va, on rigooooole”.

Neutralité

La semaine précédente, c’est Twisters qui marquait un retour du public américain dans les salles obscures dans un marché atone, avec un box-office à ce jour de 169 millions de dollars sur le seul territoire américain.

Ce remake d’un blockbuster de 1996 n’est en réalité nullement “antiwoke”, mais il a pour principale qualité, aux yeux de ses laudateurs de droite – et comme défaut pour ses détracteurs de gauche –, de ne pas envoyer un message écologiste au public. En effet, jamais le réchauffement climatique n’est cité comme cause de l’aggravation des tornades, ce que le réalisateur Lee Isaac Chung – dont rien n’indique non plus qu’il soit conservateur – assume en déclarant dans une interview à CNN ne pas “donner l’impression de prêcher un message”, car “ce n’est pas ce que le cinéma devrait être”.

Nous ne lui donnerons pas nécessairement tort sur ce point, même si, en l’occurrence, la simple énonciation d’une vérité scientifique acceptée à peu près partout en occident sauf dans les rangs du Parti républicain ne répond pas exactement à la définition d’un “message”. Quoi qu’il en soit, avec son casting ethniquement divers et sa réconciliation possible entre l’Amérique des villes et celle des champs (qui garde tout de même ici l’avantage), Twisters n’est pas à proprement parler un film de droite, mais plutôt un film neutre (et ennuyeux), à même de ne fâcher personne. On pourrait ranger dans cette même catégorie Civil War d’Alex Garland, qui revendiquait lui aussi l’absence de message et prenait soin de réunir la Californie et le Texas, deux États que tout oppose en réalité, par une déclaration d’indépendance commune. Succès au rendez-vous.

L’ombre de The Marvels

Dernier exemple, Vice Versa 2 qui, quoi qu’on en pense par ailleurs, réussit l’exploit d’évoquer la puberté sans mentionner le désir (potentiellement lesbien) ni les changements corporels. On pourra certes arguer que ce n’est pas le sujet d’un film centré sur les sentiments, mais cela a aussi permis à Pixar et à sa maison-mère Disney de ne pas être, pour une fois, blâmés par les éditorialistes conservateurs les vouant aux gémonies dans un contexte de vache maigre – dont le four du soi-disant féministe et surtout très fade The Marvels constitue l’acmé en 2023.

Il s’agit en réalité moins pour les studios hollywoodiens d’effectuer un virage à droite que de ne froisser personne. Ont-ils, de toute façon, jamais été de gauche ? S’ils ont, c’est indéniable, mieux pris en compte ces dernières années la représentativité et l’inclusion des minorités, ils n’ont jamais porté un véritable progressisme, à quelques exceptions près : les sœurs Wachowski, George Miller, qui d’autre ? Les studios n’ont pas de programme politique autre que la maximisation du profit et cette “neutralisation” qui réjouit tant les réacs n’est ainsi – pour l’instant – qu’un petit mouvement de balancier, reflet d’une société sans doute plus frileuse, voire tétanisée à l’approche d’une élection cruciale.

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