Des demandes d'abandon "en liste d'attente" : la SPA saturée
Depuis le Covid, Coralie Chameroy appréhende d’ouvrir sa boîte mail et ses collègues, de répondre au téléphone. Au refuge de la Société protectrice des animaux (SPA) de Nailly, au nord de l’Yonne, les abandons sont quotidiens. "On n’a plus de répit, nous sommes fatigués", soupire la directrice de la SPA icaunaise. Chaque année, la rengaine est la même au sein des refuges. Des campagnes contre les abandons sont diffusées tous les étés. S’il était vrai que les propriétaires se séparaient davantage de leurs animaux à l’approche des grandes vacances, la réalité des refuges est tout autre : "C’est toute l’année."
Des abandons de plus en plus décomplexésAu point que la SPA de Nailly compte une quinzaine de demandes d’abandon "en liste d’attente." Les propriétaires souhaitant se séparer de leur animal doivent ainsi attendre que le refuge désemplisse, tandis que d’autres attachent leur animal au portail de la SPA. "On a l’impression qu’ils se lèvent le matin, et qu’ils n’en veulent plus, constate Coralie Chameroy. On a toutes les excuses, mais elles ne sont jamais financières contrairement à ce que l’on pourrait croire avec la baisse du pouvoir d’achat. Soit l’animal est agressif. Soit il détruit. Soit ses propriétaires n’ont plus le temps de s’en occuper."
Les dossiers pour maltraitance augmentent.
Avec ses 70 places, dont 49 dédiées aux chiens, la SPA de Nailly est, comme bien d’autres, saturée. "On dit aux gens qu’on ne peut pas prendre leur chien, qu’on n’a plus de place. Ils nous répondent : “Bah comment on fait??” C’est votre animal." Si la responsable de la SPA de Nailly tente parfois de dissuader les propriétaires d’abandonner, en délivrant des conseils d’éducation, "ce n’est jamais concluant."
Des animaux, pour certains, adoptés en refuge et renvoyés aussitôt à l’expéditeur. L’un d’eux, un chien, est revenu derrière un box quatre jours après son adoption car "il fuguait. Mais quatre jours… Ils n’ont pas voulu s’investir. On dit aux adoptants qu’il faut environ trois semaines pour que l’animal s’installe et prenne ses marques. Les gens veulent tout, tout de suite." Des chiots. Calmes et câlins. Qui ne font pas de bêtises, ni leurs besoins. "Ce n’est pas la réalité."
Des délits de sale gueuleLe refuge regorge de chiens type "molosse", explique la directrice : "la nouvelle mode. On les prend chiots, mais on n’arrive pas à les gérer et direction le refuge." Ces croisés dogue, American Bully, ou encore, American staff remplissent à eux seuls le tiers des boxes. Selon les services nationaux de la SPA, cette "problématique de l’abandon des chiens à la mode ayant des besoins particuliers nécessitant des connaissances (tels que les malinois, bergers australiens, American Staff ordshire terriers…) aura participé à la saturation des refuges" en 2023. Des chiens abandonnés le plus souvent à l’âge adulte, "une fois que le mal a été fait. Et de l’aveu de Coralie Charemoy, compliqués à rééduquer après."
Cela fait environ "trois ou quatre ans que nous tirons la sonnette d’alarme. Nous sommes débordés d’American Staff dans nos refuges. Si nous n’avons que ce genre de chiens, nous n’aurons plus de visites et donc, plus d’adoptions." La directrice regrette que "ces chiens soient victimes d’un délit de sale gueule." Puisqu’a contrario des chiens de plus petits gabarits, les plus gros quittent difficilement les boxes des refuges.
Les équipes de la SPA de Nailly tirent la sonnette d'alarme sur la situation du refuge.
Dans les 64 refuges et maisons SPA, le grand nombre d’animaux recueillis, contre celui des adoptés, a contribué à la saturation des refuges. Le nombre d’adoption est en baisse par rapport à l’année précédente (-1.5 %), contre celui des animaux recueillis, en hausse (+1.5 %). Au total, 44.844 animaux abandonnés ou maltraités ont été pris en charge en 2023 par l’association, plus précisément, 28.652 chats, 13.124 chiens et 3.068 Nouveaux Animaux de Compagnie (NAC), équidés et animaux de ferme.
Promulguée en octobre 2022, la loi obligeant les personnes qui souhaitent adopter un animal de compagnie ou un équidé à signer un "certificat d’engagement et de connaissance" ne semble pas avoir répondu aux objectifs de lutte contre les abandons et la maltraitance. La cession d’un animal de compagnie ne peut intervenir moins de sept jours après la délivrance de certificat, ce qui compliquerait les adoptions, selon la responsable. "On se retrouve avec des personnes qui veulent récupérer l’animal rapidement et qui vont en trouver un autre ailleurs, explique Coralie Chameroy. Et toutes les associations ne le font pas... Je pense que 48 heures de délais de réflexion auraient été suffisantes."
La lutte contre la maltraitance s'intensifieQuant à la lutte contre la maltraitance animale, autre objectif visé par cette nouvelle loi, le réseau SPA évoque une activité intense en matière de saisies. En 2023, 27.642 signalements ont été traités en France, soit 16 % de plus qu’en 2022, et 17.819 enquêtes ont été menées sur le terrain dont 1.505 sur des professionnels par la Cellule anti-trafic (CAT). À la suite de ces enquêtes, près "de 3.900 animaux ont été sauvés et cédés à la SPA dans le cadre de dossiers juridiques ou de réquisitions opérées par l’administration ou la justice." Un phénomène constaté localement, et récemment. Mardi 16 juillet, les équipes de la SPA de l’Yonne sont intervenues aux côtés des services vétérinaires pour retirer quarante chiens à leur maître qui se livrait à un élevage clandestin.
Tiphaine Sirieix