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"On va trop vite avec les résidents" : les doutes des étudiants infirmiers qui viennent en renfort dans les Ehpad du Cantal

« Ce que je fais, j’appelle ça du dépannage. » Lina, 20 ans, est étudiante en deuxième année à l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI). En été et sur ses week-ends, elle vient en renfort dans les Ehpad en tant qu’aide-soignante. Un statut qu’obtiennent les étudiants en IFSI admis en deuxième année.

L’été, ils sont nombreux à combler les plannings des Ehpad. Dans un secteur déjà en crise, chaque départ en congé se fait ressentir.

Les étudiants enchaînent les contrats courts. « Je suis tout le temps en intérim dans différents établissements, pour des missions très courtes. Tu assures le soin au maximum, mais pas l’accompagnement », explique Lina, frustrée de ne pas pouvoir réellement suivre les patients. Maison d’accueil de Limagne ou résidence de Coissy à Aurillac, Ephad d’Arpajon, Lina passe d’établissement en établissement.

Les remplaçants regrettent les difficultés à créer du lien avec les résidents. Les Ehpad tentent de préparer cette période estivale. Certains passent le mot dans les IFSI, d’autres appellent leurs stagiaires pour savoir s’ils peuvent revenir en juillet, mais malgré l’anticipation, « il y a toujours de l’imprévisibilité », explique Florence de Coccola, directrice de la maisonnée du Cap Blanc. « On ne peut s’intégrer qu’en cas de protocole d’accueil clair et précis », ajoute-t-elle. Alors forcément, lorsque Lina arrive pour des remplacements de dernières minutes dans un établissement, elle juge parfois difficile de trouver sa place.

« Je vais dans des services sans savoir si je reviendrai »

À flux tendu, les Ehpad ne peuvent pas toujours former les étudiants. « Je me suis déjà retrouvée à faire une nuit seule, avec près de 90 résidents, sans être doublée, alors que c’était la première fois. » Lina décrit également des services durant lesquels les aides-soignantes prennent en charge les missions des infirmières. « Bien sûr, je suis étudiante en IFSI, mais je ne suis pas complètement formée. »

Pour Florence Milhau, directrice de l’Ehpad de Montsalvy, malgré les pénuries, « l’infirmière ne peut pas déléguer. Sur les soignants, on ne peut pas faire d’impasse ».

Des contrats "fragiles"

Julien, 23 ans, est étudiant infirmier. Il affirme que les contrats courts sont d’autant plus gênants en Ehpad où il faut s’adapter très vite. « On doit faire attention à chaque habitude de vie. Quand on rentre dans une chambre, c’est comme si on rentrait chez les résidents. » Difficile de connaître tout le monde, même pour lui qui travaille sur plusieurs mois dans le même établissement. « Pourtant, il y a tellement de personnes en intérim qui arrivent que je me suis déjà retrouvé à être l’ancien de l’équipe. » Les contrats de courtes durées s'enchainent dans les établissements  

Laroquebrou, Michaël Reboulin, directeur d’Ehpad, observe des contrats de plus en plus fragiles, surtout sur le mois d’août. Le temps de prendre leur marque, ils sont déjà repartis. » Pour le jeune aide-soignant, la formation est indispensable pour se préparer au terrain. « On apprend ce qu’on appelle la juste présence, c’est-à-dire garder la bonne distance sans que cela empiète sur l’accompagnement. » Un enseignement qui lui permet de se confronter à la fin de vie et à l’intime des personnes âgées.

 

Michaël Reboulin ajoute que tous les nouveaux arrivants ne s’y attendent pas.

Beaucoup de jeunes partent. Ils ne sont pas forcément prêts à être confrontés à des décès ou des toilettes, par exemple. 

Les étudiants en IFSI se rendent aussi disponibles pour des missions plus éloignées de leur formation. « Je devais faire le matin en aide-soignante. La mission a été annulée et l’Ehpad m’a recontactée pour finalement dépanner en tant qu’agente d’entretien », raconte Lina.

Plongé dans un secteur en difficultés, Julien parle d’une « maltraitance institutionnelle » due au manque de personnel.

« Je ne pense pas travailler en Ehpad à la sortie de mes études. Parfois, on va trop vite avec les résidents, c’est l’usine. »

Regagner la confiance

Florence de Coccola, directrice de la maisonnée du Cap Blanc, reconnaît ces difficultés. « Les professionnels ne sont pas interchangeables. On doit garantir une forme de constance pour les résidents. » Pour elle, les conditions de travail sont directement liées à la qualité de l’accueil des personnes âgées. « Des toilettes qui doivent durer au minimum 40 minutes sont réduites à 15, explique Julien, je n’ai pas l’impression d’assurer le soin comme il se doit et le résident non plus. » Face à de tels témoignages, Florence de Coccola admet une « responsabilité managériale. » Dans un secteur constamment en besoin de personnel, elle veut favoriser des temps d’échanges avec les remplaçants. « On a toujours en tête l’idée de les fidéliser et de leur donner envie de continuer ce métier ». 

Mona Bru

Un décret pour encadrer l'intérim, qu'en pensent les Ehpad du Cantal ?

Depuis un mois, un décret limite l’intérim pour les nouveaux diplômés. Les Ehpad du Cantal y voient un moyen de fidéliser du personnel. « On espère des embauches grâce à ce changement », déclare Florence Milhau, directrice d’Ehpad à Montsalvy. Depuis le 1er juillet, les étudiants du secteur paramédical ne peuvent plus exercer en intérim avant deux ans de pratique. L’objectif : mettre fin au va-et-vient des équipes pour une meilleure qualité de soins et limiter la concurrence salariale entre les établissements de santé.

La fédération des étudiants en sciences infirmières regrette cependant une mise en difficulté des étudiants. D’abord pour ceux qui souhaitent poursuivre leurs études et utilisent l’intérim pour les financer, mais aussi pour les diplômés qui ne savent pas exactement dans quel service ils préfèrent travailler. Julien, étudiant infirmier à Aurillac, reconnaît ces contraintes. Mais selon lui, « quand on collecte les contrats d’une journée, on n’acquiert pas de connaissance suffisante ».

« La norme. C’est le CDI, en laissant trop de place à des exceptions comme l’intérim, on prend des risques pour les résidents », revendique Florence de Coccola, directrice de la maisonnée du Cap Blanc. Selon elle, l’intérim n’est pas adapté à des emplois autant liés au contact humain. Elle note tout de même la nécessité d’une souplesse vis-à-vis de l’emploi. « On sait que les professionnels restent en poste moins longtemps, on doit rester à l’écoute. »

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