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Kamala Harris et les jeunes : les dessous d’une opération séduction très stratégique

Elle n’aurait pas pu rêver soutien plus "tendance" pour son lancement de campagne. Quelques heures après avoir pris le relais de Joe Biden dans la course à la Maison-Blanche, le 21 juillet, Kamala Harris était adoubée par la chanteuse britannique Charli XCX sur X. "Kamala EST brat", lançait la pop star - très populaire auprès de la génération Z et des millenials -, en référence au nom de son dernier album à succès (Brat), sorti un mois plus tôt. Dans la foulée, les équipes de campagne de la vice-présidente changeaient la bannière de son compte X, Kamala HQ, pour l’affubler de la très reconnaissable couleur vert fluo de l’album avec la même police d’écriture. Un peu plus de deux semaines plus tard, l’image n’a pas changé, et la popularité de la candidate démocrate auprès des jeunes électeurs se confirme.

D’après un sondage Morning Consult publié le 5 août, Kamala Harris domine Donald Trump de 9 points chez les électeurs âgés de 18 à 34 ans (49 % contre 40). Un record et une nette amélioration du score de Joe Biden, qui, lors de la dernière mesure de l’institut était, lui, devancé de 9 points par son adversaire républicain. "La popularité des démocrates s’est incontestablement améliorée auprès des jeunes depuis qu’elle est candidate à la place de Joe Biden, insiste Marie-Christine Bonzom, politologue spécialiste des Etats-Unis et ancienne correspondante de la BBC à Washington. Les dernières semaines de la candidature de Biden s’étaient traduites par une véritable hémorragie au sein de cette catégorie d’électeurs, que Kamala Harris est en train réagréger derrière elle."

Mobilisation sur le terrain

Rapidement, la vice-présidente est parvenue à se distinguer de son prédécesseur sur des dossiers clés pour la jeunesse américaine. A l’issue d’une rencontre avec Benyamin Netanyahou le 25 juillet, la candidate démocrate avait promis qu’elle "ne resterait pas silencieuse" sur les "tragédies" en cours dans la bande de Gaza, avant de rencontrer récemment dans le Michigan des militants opposés à la guerre - un Etat clé comptant une importante population originaire des pays arabes. "Kamala Harris est considérée comme plus progressiste que Biden sur certains sujets qui intéressent les jeunes électeurs, souligne Erik Nisbet, professeur d’analyse politique et de communication à l’Université Northwestern de Chicago. Sa rhétorique plus critique que Biden à l’égard d’Israël lui fait gagner des points auprès d’eux - même si sa politique sur ce dossier ne sera pas fondamentalement différente de celle de l’actuel président." La candidate démocrate est aussi portée par sa défense du droit à l’IVG, dont elle a fait son principal cheval de bataille.

L’enthousiasme autour de sa candidature n’a en tout cas pas tardé à se mesurer sur le terrain. L’organisation à but non lucratif Next Gen America, un comité d’action politique pro-démocrate dédié à la mobilisation des jeunes électeurs, a indiqué le 31 juillet avoir enregistré une multiplication par trois des inscriptions de bénévoles après le retrait de Joe Biden. "La campagne ratée de Biden et son âge avancé avaient complètement éteint cet électorat qui est pourtant très important puisque c’est lui qui va nourrir le militantisme dans les prochaines semaines, retrace Romain Huret, historien des Etats-Unis et président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Cette mobilisation est essentielle parce que ce sont principalement les jeunes qui vont faire campagne sur le terrain et faire du porte-à-porte pour aller chercher les voix nécessaires à la victoire." Un élément loin d’être négligeable dans une élection qui se jouera sur le fil du rasoir dans une poignée d’Etats clés.

"Reset auprès des jeunes électeurs"

"L’arrivée de Kamala Harris a produit une forme de "reset" auprès des jeunes électeurs, abonde Erik Nisbet. Ils avaient soif de quelqu’un de plus jeune, de plus représentatif, de plus proche de leur idéologie, et qu’ils ne blâmaient pas nécessairement pour les nombreux défis économiques auxquels ils sont confrontés en ce moment." Dès le 26 juillet, soit moins d’une semaine après le lancement de la candidature Harris, 17 organisations progressistes "représentant des centaines de milliers de jeunes", dont Voters of Tomorrow ou College Democrats of America, lui avaient apporté leur soutien dans un communiqué. "C’est d’autant plus intéressant pour les démocrates que ces organisations sont capables de parler aux jeunes d’une manière efficace, en utilisant des codes propres à leur culture", souligne Filippo Trevisan, professeur de communication à l’American University de Washington. De fait, les réseaux sociaux se sont vite mis à regorger de mèmes (textes ou images souvent parodiques et empreints d’une référence culturelle) de soutien à la candidate démocrate.

Les emojis de noix de coco sont, par exemple, omniprésents sur les plateformes, en référence à l’une des déclarations de la vice-présidente en 2023, où elle racontait avec humour une phrase que lui avait répétée sa mère durant sa jeunesse : "Je ne sais pas ce qui cloche chez vous, les jeunes. Vous pensez que vous venez de tomber d’un cocotier ? Vous existez dans le contexte de tout ce dans quoi vous vivez et de ce qui vous a précédé." La noix de coco est depuis devenue un signe de ralliement bien identifié à sa candidature. "Cette campagne de mèmes permet à Kamala Harris de se faire connaître auprès de jeunes électeurs qui ne prêtent pas attention à l’actualité électorale et, sans cela, n’auraient probablement aucune idée de qui elle est vraiment, détaille Erik Nisbet. Les mèmes sont donc particulièrement utiles sur des plateformes comme Instagram, TikTok ou Twitter, où se trouvent les jeunes électeurs." Un bon moyen pour la candidate d’atteindre un électorat jeune souvent éloigné des médias traditionnels.

D’autant qu’il pourrait peser lourd dans le résultat du vote de novembre. D’après une étude de l’Université de Tufts, le corps électoral se composera de près de 40,8 millions de jeunes de la génération Z (âgés de 18 à 27 ans), dont 8,3 millions (de 18 à 19 ans) pour qui il s’agira de la première élection. "Les jeunes électeurs avaient joué un rôle crucial dans le basculement de certains Etats clés en faveur de Joe Biden lors de la présidentielle de 2020, souligne Filippo Trevisan. Maintenant, la question est de savoir si les démocrates arriveront à maintenir cette énergie jusqu’en novembre." Si oui, ils feraient un pas de plus vers la Maison-Blanche.

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