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En quête de codex

Comment le manuscrit de l’Éthique, œuvre majeure et interdite de Spinoza, s’est-il retrouvé dans les archives du Vatican ? L’enquête de Mériam Korichi se lit comme un thriller philosophique.


Si Baruch Spinoza (1632-1677), philosophe néerlandais d’origine séfarade, fait scandale, c’est sans doute moins parce qu’il a opposé la croyance et la connaissance en affolant les Églises que parce qu’il a théorisé qu’il était possible, si besoin, de penser contre sa communauté et, plus largement, contre toutes les pressions sociales et les autorités politiques. Sa liberté fondamentale, essentielle, et son inflexibilité (entendez la fidélité à ses idées) lui vaudront son excommunication (herem) par la diaspora juive portugaise d’Amsterdam.

Portrait de Spinoza, 1665 D.R

Spinoza Code est l’histoire du manuscrit de l’Éthique, le traité radical de notre philosophe rationaliste, son œuvre majeure. Il y met la dernière main en 1674. Conscient que ses ennemis sont non seulement nombreux, mais puissants et que la publication d’un tel codex est compromise en Hollande, il en confie une copie à un jeune mathématicien brillant qui se prépare à faire le tour des grandes capitales d’Europe – son Grand Tour –, Ehrenfield Walther von Tschirnhaus. Le texte va donc voyager sous le manteau. En 1677, Spinoza s’éteint. Et l’Éthique disparaît – du moins, on en perd la trace. Trois cent trente-trois ans plus tard, le fameux codex est retrouvé. Où ? Au Vatican, dans les archives de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, jadis la Congrégation du Saint-Office, autrement appelée la Sainte Inquisition. Le traité, comme c’est curieux, ne comporte ni titre ni nom d’auteur. Le dépôt du manuscrit fut enregistré le 23 septembre 1677 au palais du Saint-Office comme pièce à conviction d’une dénonciation faite par un certain Nicolaus Stenonius, évêque de l’Église catholique, ennemi signalé de Spinoza. Comment le fameux codex a-t-il bien pu tomber « entre les mains du bras armé de l’Église » ? C’est à cette question que va répondre Mériam Korichi dans une enquête littéraire passionnante, laquelle se double d’un thriller philosophique.

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L’épopée du seul manuscrit de l’Éthique qui nous soit parvenu est fascinante en ceci qu’on y croise, de Descartes à Leibniz, des personnages héroïques et qu’on y plonge dans les arcanes d’un XVIIe siècle où les batailles intellectuelles et religieuses font rage, depuis les Provinces-Unies jusqu’à la Royal Society londonienne et la Rome du Trastevere. On peut imaginer, par exemple, nous explique Korichi, que Tschirnhaus est resté interdit devant certaines propositions du texte qu’il est chargé de diffuser : « Spinoza y affirme que la réalité a une infinité de dimensions, que cette infinité n’est pas là pour humilier le désir humain de connaissance, au contraire, et c’est révolutionnaire, que la connaissance humaine peut égaler la connaissance divine. Cela suffit à faire partir en fumée le monde des anges, le monde des miracles, le monde des intermédiaires et des intercesseurs entre les humains et la vérité divine. »

Le spinozisme anima bien des débats, suscita bien des questions. Tout l’art de Mériam Korichi consiste à nous en montrer la troublante actualité.

Mériam Korichi, Spinoza code, Grasset, 2024.

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