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« Apprendre des expériences étrangères » #7 : Sir Robert Peel et le libre-échange britannique

Le Royaume-Uni est souvent cité, à raison, comme la référence historique en matière de libéralisme économique. C’est sur ces terres que sont nés ou qu’ont immigré les grands penseurs de ce courant économique : Adam Smith, John Stuart Mill, David Ricardo, Friedrich Hayek, etc.

 

Mais la tradition libérale britannique, aussi puissante soit-elle, n’a pas toujours bénéficié de la même considération d’une décennie à l’autre, et imposer la fin du protectionnisme fut un combat de longue haleine.

Le héros du libre-échangisme britannique est sans aucun doute le Premier ministre conservateur Robert Peel. En abolissant les lois protectionnistes sur les céréales, les Corn Laws, ce dernier initie un siècle de prospérité économique fulgurante pour les trois nations britanniques et l’empire colonial.

 

Robert Peel : héros du libéralisme britannique

Sir Robert Peel est élu Premier ministre pour la deuxième fois en 1841. Grand lecteur d’Adam Smith, David Hume et David Ricardo, qu’il prétend avoir lu en entier, il croit profondément dans le libre-échange, contrairement aux membres du Parti conservateur. Le 29 juin 186, l’abolition des Corn laws contre l’avis de son parti et avec le soutien des Whigs et des Radicals, provoque sa démission.

Votées en 1815, au lendemain des guerres napoléoniennes, les Corn Laws garantissaient un prix minimum aux céréales, permettant ainsi de protéger les fermiers et les propriétaires. Mais l’objectif majeur de ces lois était avant tout l’interdiction de l’importation des céréales, qui ne pouvaient être importées à un tarif inférieur à 80 shillings la tonne, soit environ 2483 euros aujourd’hui : un prix volontairement inabordable.

Ceux qui ont le plus bénéficié de cette mesure furent sans surprise les propriétaires terriens. En revanche, la population en a souffert, ainsi que les Irlandais, victimes d’une grave famine à partir de 1845 avec la crise de la pomme de terre. D’ailleurs, la présentation du texte aux Communes en 1815 par le Premier ministre Lord Liverpool provoque de violentes rixes dans les rues de Londres. Les controverses sont également vives chez les économistes de l’époque : par exemple, Thomas Malthus soutient ce texte contre l’avis de David Ricardo.

Sans surprise, dès 1815, le prix des céréales flambe dans tout le pays, quelques mois après le vote des Corn Laws. Cela fit le bonheur d’une petite minorité de propriétaires, et le malheur du reste de la population.

 

Une lente abolition

Dès le début des années 1840, les Whigs tentent de faire abolir les Corn Laws, sans succès. Finalement, le conservateur Sir Robert Peel, pourtant très hésitant sur ce sujet pendant plusieurs années, franchit le pas en 1846, conscient qu’il se mettait tout son parti à dos.

La famine en Irlande était un bon prétexte pour faire voter cette loi. Durant les deux premières années de la famine, en 1845 et 1846, les réserves de nourriture sont épuisées et l’importation du grain de l’étranger devient indispensable pour faire face aux pénuries alimentaires sévissantes. Le 15 juillet 1845, le Grain Importation Act est voté aux Communes à 327 voix contre 229, soit une majorité de 98 voix. Dix jours plus tard, le 25 juin, le duc de Wellington convainc la Chambre des Lords de le voter également.

Il s’agit d’une grande victoire pour le groupe des Peelites. Et l’un des fruits immédiats des débats économiques et sociétaux sur le libre-échange est la fondation du journal The Economist par le journaliste et statisticien écossais, James Wilson, en 1843. L’objectif du journal est clair : promouvoir avant tout la libre-circulation des biens.

 

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Des conséquences historiques

La réforme audacieuse de Peel a fait prendre un tournant majeur à la Grande-Bretagne au XIXe siècle : pour la première fois de leur histoire, les Britanniques embrassent le libre-échangisme.

Dans son discours de démission prononcé devant la Chambre des communes, le 29 juin 1846, Peel, qui sans le savoir, allait forger une partie de l’identité du Royaume-Uni pour plus d’un siècle, a expliqué avec brio la nature de ses aspirations :

« En quittant le pouvoir je laisserai un nom exécré par chaque monopoliste qui pour des motifs moins honorables, défend le protectionnisme parce qu’il contribue à son propre avantage. Mais il se peut que je laisse un nom parfois remémoré avec reconnaissance chez ceux dont le lot est de travailler et de gagner leur pain quotidien à la sueur de leur front, lorsqu’ils reprendront leurs forces grâce à une nourriture abondante et non-taxée. Leur souvenir sera d’autant plus agréable qu’il ne sera plus alimenté par un sentiment d’injustice. »

Peel, seul contre son camp, ne s’est pas trompé : les Britanniques ont en mémoire son courage politique et son amour de la liberté économique.

Plusieurs études démontrent aujourd’hui que ce texte a eu d’importantes conséquences sur l’économie britannique. D’abord, l’importation de céréales des États-Unis permet de faire baisser considérablement les coûts dès 1846.

Les propriétaires terriens ont perdu 4 à 5 % de leurs revenus, tandis que les paysans les ont vu croître de 1 %. Le niveau de vie aurait quant à lui augmenté pour les plus modestes, et légèrement diminué pour les plus aisés. Avant tout, le risque de pénuries alimentaires était une fois pour toutes écarté.

Après l’abolition des Corn Laws, le prix des terres arables baisse de 14 % et celui des terrains d’élevage de 4 %. Ceci provoque un exode de bon nombre d’agriculteurs britanniques vers les États-Unis dans les années 1850, désireux de rentabiliser davantage leur activité dans les grandes plaines fertiles américaines.

Progressivement, l’économie britannique connaît une reconversion vers une économie pastorale et industrielle, qui sont des activités bien plus rentables.

Le grand Benjamin Disraeli, fervent opposant à l’abolition des Corn laws en 1846, n’a pas osé abroger le texte à son arrivée au pouvoir en 1869. Les prix de la nourriture s’étant effondrés grâce aux céréales importées, il craignait sans doute qu’en imposant de nouvelles mesures protectionnistes, le prix des céréales n’augmente de nouveau et que les ouvriers ne se soulèvent contre son gouvernement.

 

La longue postérité de Peel

Après sa démission, les Radicaux et les Whigs tentent chacun de faire entrer Peel dans leur parti, mais celui-ci souhaite rester fidèle au sien. Il finit sa carrière comme directeur de la bibliothèque du Parlement de Westminster, dont il opère une importante réorganisation qui perdure dans les décennies suivantes au moins.

Cette victoire du libre-échangisme a aussi eu des conséquences politiques importantes. L’une d’entre elles est la création du Liberal Party, en 1859, issu de la fusion des Whigs et des Radicals. Les Liberals sont présents dans la politique britannique jusqu’aux années 1980 et connaît son apogée des années 1900 aux années 1920 : Sir Winston Churchill en était membre de 1904 à 1924.

Le 29 juin 1850, le père du libéralisme britannique tombe de son cheval dans le quartier de Westminster, qui le piétine. Trois jours plus tard, Peel meurt tragiquement de ses blessures. Sur sa tombe, dans la paroisse Saint Peter’s de Lichefield, ses sept enfants font inscrire ce qui suit : « En mémoire du Right Honorable Sir Robert Peel, à qui le peuple a érigé des monuments dans bon nombre d’endroits, ses enfants érigent cette tombe où son corps est enterré. »

Et les Britanniques garderont en mémoire ce Premier ministre les siècles suivants. La statue de Peel est fièrement érigée en face du Parlement de Westminster et malgré les tags des militants de Black Lives Matter, elle n’a pas bougé. D’autres statues sont érigées à Bristol, Glasgow, Manchester, Birmingham, Leeds, Preston et Bury.

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