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Pourquoi Kamala Harris peut très bien perdre l’élection malgré l’euphorie

Une petite musique monte chez les observateurs politiques américains : la campagne de Kamala Harris rappelle l’atmosphère optimiste des meetings de Barack Obama en 2008. L’équipe de l’actuelle vice-présidente devra toutefois veiller à ne pas tomber dans le travers d’une autre course à la Maison-Blanche, perdue celle-là par les démocrates, par excès de confiance : celle de 2016.

"Même s’il n’y avait pas une telle excitation autour d’Hillary Clinton, le sentiment qui se dégageait dans son camp était que l’affaire était dans le sac : le parallèle est évident !", note l’historienne Françoise Coste, professeure à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès.

Indéniablement, la dynamique du moment est du côté de Kamala Harris, dont la candidature a été propulsée par le retrait de Joe Biden, le 21 juillet. Plus jeune de presque 20 ans par rapport à son adversaire, Donald Trump, femme et métissée, l’ex-procureure de Californie cherche à incarner le renouveau et un avenir positif (résumé par le slogan "Forward", en avant), quand l’homme d’affaires républicain symbolise, selon elle, le passé et une vision sombre du monde.

Des sondages dans la marge d’erreur

Cet élan se fait déjà sentir dans les sondages : Kamala Harris devance désormais de quelques points Donald Trump au niveau national et dans certains Etats clés. Et dans les meetings, où elle parvient à attirer les foules. Quant à l’ex-président américain qui, il y a quelques semaines encore, paraissait intouchable après avoir échappé de justesse à une tentative d’assassinat, il ne semble pas avoir trouvé son rythme, s’enfermant dans ses attaques personnes contre sa rivale. "Certes, Trump est dans une mauvaise passe. Mais combien de fois a-t-on dit en 2016 : 'Trump s’effondre' ?", interroge Françoise Coste.

S’ils traduisent bien une accélération, les chiffres des sondages peuvent en effet être trompeurs. "Les résultats restent serrés, on se situe dans la marge d’erreur. C’est encore plus vrai dans les Etats clés où va se jouer l’élection", souligne Ludivine Gilli, experte des Etats-Unis à la Fondation Jean-Jaurès. On le sait, du fait des particularités de son système et du rôle joué par les grands électeurs, l’élection américaine ne se joue pas à l’échelle nationale, mais dans une poignée de swing states. Rappelons que Donald Trump l’a emporté en 2016 avec seulement 46 % du vote populaire.

L’erreur d’Hillary Clinton

L’échec d’Hillary Clinton – qui, elle aussi, rêvait de devenir la première femme présidente de l’histoire des Etats-Unis - devrait inciter le camp démocrate à ne pas se laisser griser. D’autant qu’il y a huit ans à la même époque, Hillary Clinton jouissait d’une avance bien plus confortable que celle de Kamala Harris (près de 7 points d’écart avec Donald Trump dans certains sondages).

Alors que débute ce lundi à Chicago la convention américaine, chargée de mettre sur orbite la candidature de Kamala Harris, le piège serait de tomber dans l’arrogance ou le mépris. La femme de Bill Clinton avait jugé que "la moitié" des électeurs de Trump était "pitoyable" : une sortie regrettable qui lui avait coûté cher. Parallèlement, "l’erreur des démocrates, trop sûrs de leur victoire en 2016, a été de délaisser certains Etats clés, comme le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, qu’ils pensaient acquis à leur cause, et qu’Hillary Clinton a perdus", explique Ludivine Gilli.

Sous l’impulsion de Tim Walz, colistier de Kamala Harris et gouverneur du Minnesota, les démocrates, bien décidés à ne pas se laisser intimider par les trumpistes, ont trouvé une ligne d’attaque qu’ils martèlent à l’envi : les républicains seraient "bizarres" ("weird" en anglais). L’élitisme et la condescendance de 2016 ne sont pas loin. "Tout le monde se gargarise du ton offensif retrouvé. Mais cette autosatisfaction moqueuse a déjà joué des tours aux démocrates. Les candidats républicains sont peut-être "bizarres", mais beaucoup de gens leur ressemblent, et ne trouvent pas "bizarre" de croire en Dieu, d’être contre l’avortement, ou de refuser les pronoms personnels non genrés…", insiste Françoise Coste.

Les démocrates doivent d’autant plus garder la tête froide qu’il reste plus de deux mois avant le 5 novembre – une éternité en politique – et que la campagne devrait se durcir à la rentrée, après la torpeur de l’été. Donald Trump, très doué pour exploiter les faiblesses de son adversaire, risque alors de se montrer particulièrement offensif sur les thèmes de l’immigration à la frontière – Joe Biden avait assigné à sa vice-présidente la mission de la freiner, ce qu’elle n’a pas réussi à faire – et de l’inflation. Même si elle a été contenue sous les 3 % en juillet, les prix ont en moyenne augmenté de 20 % depuis le début de la présidence de Biden, la hausse étant particulièrement significative pour le plein d’essence et les produits alimentaires. Le conflit au Moyen-Orient, dont la gestion par la Maison-Blanche suscite des protestations au sein de l’aile gauche pro palestinienne, pourrait aussi fragiliser la candidate démocrate, surtout si la région s’embrase.

Montrer qu’elle se préoccupe des gens

Visiblement consciente des risques, Kamala Harris se veut prudente. "Je ne nous vois pas du tout en favoris, a-t-elle déclaré dimanche lors d’une visite en Pennsylvanie. Nous devons mériter chaque voix et cela veut dire être sur la route, à la rencontre des gens." "Elle doit démontrer de manière claire et convaincante qu’elle se soucie des préoccupations des gens, estime dans le Financial Times Donna Brazile, stratège démocrate et ancienne présidente du parti, pour qui Donald Trump a encore l’avantage.

Dans ce contexte, le sujet le plus porteur pour la candidate reste son engagement en faveur du droit à l’avortement, alors que sa remise en cause au niveau fédéral en 2022 par les juges conservateurs de la Cour suprême a suscité des remous dans tout le pays, y compris chez des électrices républicaines. Les femmes blanches et éduquées des grandes villes et des banlieues résidentielles, qui votaient normalement plutôt républicain, autour de Detroit, Milwaukee ou Philadelphie sont donc particulièrement ciblées.

"Si les démocrates continuent à capitaliser sur cette dynamique, ils peuvent gagner, mais c’est encore loin d’être acquis. Kamala Harris a réussi à gagner des points parmi les jeunes, les Afro-américains et les Latinos, mais il lui faudra faire le plein de voix auprès de ces populations qui votent traditionnellement pour les démocrates si elle veut l’emporter. Or les jeunes, par exemple, ne sont pas ceux qui se mobilisent le plus et peuvent être freinés par la gestion du conflit à Gaza. Et les Latinos constituent un électorat disparate."

"Pour l’heure, l’électorat dont elle a le plus besoin et qu’elle a le moins sécurisé est celui des classes moyennes inférieures blanches : les ouvriers du Michigan, de la Pennsylvanie et du Wisconsin, poursuit la chercheuse. Et là, il reste encore du travail à faire". D’où le choix comme colistier de Tim Walz, le gouverneur du Minnesota, dont le passé de professeur de lycée et d’entraîneur de football américain, et l’allure d’habitant moyen du Midwest, est censé séduire ce type d’électeurs. Une chose est certaine, eux non plus ne voudront pas se sentir jugés.

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