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Peyrebeille, Mézenc et "ivrognerie" : quand le baron Haussmann était sous-préfet de Haute-Loire

Georges-Eugène Haussmann (*) connu sous le nom de baron Haussmann, était un haut fonctionnaire français du XIXe siècle. Il est principalement connu pour avoir dirigé le vaste projet de rénovation de Paris sous le règne de Napoléon III. Né le 27 mars 1809 et décédé le 11 janvier 1891, Haussmann a transformé Paris en modernisant ses infrastructures, ses rues et ses bâtiments. Son travail a introduit de larges boulevards, des parcs, des systèmes d’égouts modernes, et des immeubles uniformes, donnant à Paris l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui.Dans ses Mémoires, le commentaire qu’il fait de son passage, anecdotique, en Haute-Loire (il resta moins de quatre mois) nous révèle un homme acerbe, assez imbu de lui-même. D’ailleurs, il en est conscient, avouant « étonner et inquiéter […] avec le sérieux de mes croyances en toutes choses, avec une apparence mondaine, et mes opinions autoritaires et libérales, tout à la fois, qui ne trouvèrent complète satisfaction que bien des années après, sous le régime impérial ».La sous-préfecture où le baron séjourna une crourrte période. collection Pierre MartinC’est au début de sa carrière, alors âgé de 23 ans, que le baron est nommé à Yssingeaux pour prendre la direction de la sous-préfecture. Venant de Poitiers où il était secrétaire général, c’est en une semaine, par diligence puis « patache », qu’il rejoint Le Puy. Ses premières occupations en Haute-Loire consistent à aller saluer le préfet « très affable, plein de bon vouloir ; mais n’entendant rien absolument à l’administration d’un département ».Le lendemain, il « franchit l’épais massif de montagnes » qui sépare Le Puy d’Yssingeaux : « ce n’est pas une petite affaire »… « Rampes ardues, en lacets, jusqu’au col du Pertuis, d’où l’on redescend, par d’autres lacets un peu moins longs »… Il arrive à « nuit close » dans Yssingeaux.« C’était un soir de marché. En route, nous avions croisé des paysans, plus ou moins ivres, qui rentraient chez eux. Un grand tumulte obstruait, lorsque j’y parvins, les abords de l’hôtel de la sous-préfecture, par suite d’une rixe, où des coups de couteaux venaient d’être échangés ».

« Ivrognes  et batailleurs »

Le baron fait ainsi connaissance avec ses nouveaux administrés « ivrognes et batailleurs, toujours prêts à jouer de la “coutelière” qu’ils portaient, en général, dans une poche de côté de leurs pantalons ». Puis il rencontre son prédécesseur, « un brave homme du pays, absolument incapable »…Le baron recrute un jeune domestique « assez bien stylé car, le pays abonde en gentilhommières sans cachet, abusivement décorées du nom de châteaux, qu’habite l’aristocratie locale, généralement peu fortunée, mais dont le séjour dégrossit tout au moins les gens à gages qu’elle recrute autour d’elle ». Seul « vrai grand seigneur », le marquis de La Tour-Maubourg, possède à ses yeux un « castel ayant un certain caractère ».

Trop heureux sur le Mézenc

Le baron Haussmann aime découvrir les régions qu’il administre. Tout naturellement, il se dirige vers le sommet régional, celui du Mézenc, où une ascension facile l’attend. Il profite, de son sommet, d’une vue splendide embrassant tous les massifs montagneux du centre de la France. « Des Alpes à ce qu’on lui dit être l’extrémité de la chaîne des Pyrénées orientales. Je me gardais bien d’y contredire, trop heureux de pouvoir me flatter d’avoir vu, d’un même point, dans la même minute, le mont Blanc et le Canigou ».Passant par Pont de Lignon, il se rappelle que « quelque temps avant son arrivée, une lutte sanglante, suivie de mort d’hommes, s’était engagée là, entre des bandits attaquant une diligence chargée d’un envoi d’argent considérable, et les gendarmes qui l’occupaient, à l’insu de ces malfaiteurs ». Pour aller à Annonay, le baron franchit « le col de Saint-Bonnet-le-Froid, la plus haute commune du canton de Montfaucon. Ses habitants vivent, me dit-on, sous la neige, pendant plusieurs mois, chaque hiver, et communiquent entre eux par des galeries ouvertes à travers cet épais linceul. Il paraît que nombre d’autres villages se trouvent dans le même cas ».

Une excursion qui aurait pu mal finir

Au retour d’une excursion à Aubenas en compagnie de Dumolin, ils ne purent atteindre Pradelles avant la nuit, car la route était « montueuse et fatigante, et nos coursiers, que plusieurs heures de cette ascension soutenue, par une journée chaude et lourde, avaient essoufflés, n’en pouvaient plus du tout ».À 6 heures du soir, ils prennent « à regret » le parti de s’arrêter, « n’importe où, pour dîner et faire reposer les chevaux. Ce fut dans une auberge isolée, sise au croisement de deux routes sur un plateau nu, des plus mélancoliques. La nuit vint, une nuit noire, où les étoiles ne suffisaient pas à faire bien voir le chemin. On nous décida, non sans peine, à coucher là. Mais, on étouffait dans la cuisine, qui servait aussi de salle à manger et de salon, et, pour prendre l’air sur la route, nous nous fîmes ouvrir la porte, déjà barricadée ».

Sauvés par la lune

« Une lueur apparaissait entre deux montagnes, et nous reconnûmes bientôt, et avec joie, celle de la lune, à son lever. La pensée d’échapper aux lits, d’une propreté douteuse, déjà préparés pour nous, et d’aller en chercher ailleurs de moins suspects, si tard que ce fut, nous vint, en même temps, à tous deux. Vite, nous commandâmes de seller et brider nos chevaux, malgré toutes les sollicitations intéressées des hôtes, dont nous avions hâte de régler le compte. Minuit sonnait, quand nous arrivâmes exténués, comme nos montures, au Puy.Huit mois après, sous-préfet de Nérac, je lus, dans mon Journal des Débats, le résumé d’un grand procès criminel jugé par la Cour d’assises de l’Ardèche. Il s’agissait d’hôteliers, qui profitaient de l’isolement de leur auberge, pour assassiner les voyageurs bons à dépouiller, dont il faisait disparaître les cadavres, en les brûlant dans un four. »Et de compléter : « Le nom de Peyrabelle, rapporté par le journaliste, comme celui de l’auberge qui, d’assez longue date, leur servait de théâtre, frappa mon imagination. N’était-ce pas justement le nom de notre étape, au retour d’Aubenas ? Assurément, oui ! Mais, je fus bien autrement ému, quand je vis désigné, parmi les disparus, un gros marchand de bestiaux de mon ancien arrondissement, que nous rencontrâmes précisément dans l’auberge en question. Monsieur Dumolin, mon compagnon, le connaissait, comme client, et je me rappelais avoir causé de son commerce avec lui, ce même soir, après dîner. Il venait de la foire de Saint-Cirgues-en-Montagne, canton de Montpézat, après vente de toutes ses têtes de bétail, pour en acheter d’autres, propres à l’élevage, dans diverses communes de l’Ardèche qu’il en croyait pourvues.Était-ce dans la nuit de cet entretien ; était-ce à son retour ou dans quelque autre voyage qu’on l’avait tué, volé, calciné ? Je ne pus le comprendre. Mais, le souvenir de notre station dans ce lieu sauvage me terrifia. »Finalement, le baron Haussmann, comme il en convient, n’eut pas le temps de faire beaucoup d’administration dans l’arrondissement d’Yssingeaux. Il se familiarise avec l’exercice de l’autorité, comme, aussi, il s’habitue « à la tenue constante qu’impose aux jeunes fonctionnaires plus qu’à tous autres, l’occupation du premier rang dans une petite ville, où tous leurs actes sont observés et toutes leurs paroles recueillies, autour d’eux, avec moins de bienveillance que de curiosité. »Sur ce, il part le 9 du mois d’octobre, en direction de la sous-préfecture de Nérac, « la ville des fameuses terrines, un vrai pays de Cocagne… Et théâtre des exploits de jeunesse d’Henri IV. »Laissons la conclusion au baron, toujours en haute estime de lui-même : « Je puis dire que la nouvelle de mon départ, dès qu’elle fut connue, causa des regrets, même dans les rangs de mes adversaires politiques. » 

 

Jean-René Mestre

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