En cinq points, ces zones de flou qui entourent ou ont entouré la Libération de Thiers, le 25 août 1944
Dimanche 25 août marquera le 80e anniversaire de la Libération de Thiers. Une victoire des mouvements Résistants après d’âpres combats dans la ville le 25 août jusqu’à la reddition de quelques centaines d’« Allemands » appartenant au 18e Bataillon de Grenadiers de la Panzer Division Wessel, le lendemain matin, à proximité du lieu-dit "Pinon", à quelques kilomètres du centre-ville, en direction de Vichy.
Maintes fois évoquées notamment lors des célébrations annuelles chaque 25 août, ces deux journées historiques et dramatiques (une dizaine de morts du côté des Résistants et des civils, le double du côté allemand) comportent pourtant des zones d’ombre. Aujourd’hui encore, tout le monde ne s’accorde pas sur ce récit collectif. Un récit construit en partie à l’aide de témoignages de Résistants ou d’habitants collectés pour ces derniers et pour beaucoup par le Thiernois Alexandre Bigay, à la suite des événements et sur la demande d’Antonin Chastel, maire de Thiers à partir du 10 septembre 1944.
1. L’attaque des Résistants était-elle programmée ?Ce 25 août 1944 au matin, 110 hommes du 103e bataillon des Francs-tireurs et partisans (FTP) venus du col du Béal lancent leur attaque à partir du Moutier. Les FTP, épaulés par des Résistants dans la ville, seront rejoints plus tard par quelques éléments du 104e bataillon puis par le Mouvement uni de la Résistance (MUR) du maquis des Etivaux (Saint-Victor-Montvianeix). Celui-ci est commandé par Serge Renaudin.
Pour l’heure, en cette matinée d’été, les FTP remontent peu à peu et difficilement vers le haut de la ville où quelque 400 soldats allemands sont positionnés. Des occupants qui n’attendent alors plus que les ordres de leur hiérarchie pour quitter la ville définitivement. L’attaque a pourtant bien lieu et les combats dans la ville haute se dérouleront tout au long de la journée, entrecoupés de trêves. Pour quelles raisons ? La décision d’attaquer n’aurait rien de programmée selon l’historien Daniel Barthelat dont une partie des travaux issus d’un mémoire de maîtrise intitulé La Libération de Thiers : la région thiernoise du Débarquement à la fin de l’année 44 (1985) est publiée dans le dernier numéro du Bulletin du Cercle.
La Libération est accidentelle et non préméditée et les Résistants avaient le projet de n’occuper la ville qu’une fois les Allemands partis. Ce 25 août, et par manque d’information, les FTP étaient certains que les Allemands avait quitté la ville.
L’historien évoque un concours de circonstances comme ce premier coup de feu au Moutier vers 8 h 30 (d’un Résistant sans lien avec les FTP). Plus largement la "concurrence" entre les MUR et les FTP pour libérer la ville en premier et instaurer une autorité, même provisoire. Une version étayée et qui fait consensus aujourd’hui. Ce fut loin d’être le cas il y a encore quelques années. Aujourd’hui encore, la question qui en soulève bien d’autres, reste délicate. "Je ne sais pas si l’attaque était préméditée ou non mais la prise de la ville par les FTP l’était bel et bien. Comment sinon expliquer leur présence à l’entrée de la ville, le 25 août ? ", questionne Dominique Leray-Arlaud, fille de Marguerite Dumont-Arlaud, Résistante thiernoise, et de Simon Pierre Arlaud du 103.
2. Les habitants ont-ils participé activement ?"La plupart des Résistants ne connaissaient pas Thiers, certains habitants les ont guidés dans les ruelles. D’autres leur ont ouvert leur logement et des fenêtres de tir. On leur a aussi donné de l’eau et à manger", développe Daniel Barthelat. D’un autre côté, "la plupart sont restés chez eux cloîtrés. Une habitante a été tuée en sortant la tête par la fenêtre", rappelle pour sa part Dominique Leray-Arlaud.
3. Pourquoi les Allemands ont-ils finalement rendu les armes ?400 Allemands d’un côté, beaucoup moins de Résistants de l’autre et moins bien armés. Pourtant, ce sont bien les premiers qui ont abdiqué au soir et rendu les armes, le 26 août. Mercredi soir, les Occupants sont déjà beaucoup moins nombreux à pouvoir s’organiser. Des prisonniers ont été faits par les Résistants. Constitués en partie de combattants originaires de l’Europe de l’est (Pologne, etc.), les Occupants, démotivés, étaient certainement moins prompts à se battre jusqu’au dernier. D’autant plus qu’ils attendaient depuis des jours l’autorisation de se replier jusqu’à Vichy.
Parmi les autres explications, celle d’un officier subalterne allemand qui aurait accepté de se rendre et convaincu ses sous-officiers qui voulaient en découdre, de le suivre dans cette voie. Une position décisive.
Il faut bien comprendre que les Occupants étaient lourdement armés, Thiers aurait pu devenir un autre Oradour-sur-Glane. L’attaque a réussi grâce à la surprise, la chance, l’improvisation et le courage notamment des FTP
Il en aurait fallu de peu, par conséquent, pour que l’Histoire bascule du mauvais côté. Et la question même de l’attaque reste sensible. Alexandre Bigay, aujourd’hui disparu, rapportait en son temps un court dialogue qu’il avait eu avec un Thiernois : "Ne croyez-vous pas qu’en réalité cette attaque fut une erreur ?" Le Thiernois répondait : "Si, mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire."Défilé en l’honneur de la réinstallation du conseil municipal, 10 septembre 1944.
4. Pourquoi certains otages ont-ils été blessés ?Faits prisonniers par les Allemands durant les combats, une soixantaine d’otages de la rue des Grammonts ont été transférés au cinéma le Royal, vers l’ancien marché couvert, sous l’actuelle place Antonin-Chastel.Plusieurs auraient été blessés par des tirs de Résistants embusqués, en face, dans le quartier de la Vidalie. "Il est probable que certains aient été touchés au moment où on les rassemblait devant le cinéma", explique Daniel Barthelat. Difficile pour les tireurs, à quelques centaines de mètres de distinguer précisément leur cible.
5. Le cas Renaudin dit "Victoire"Au commandement des MUR des Etivaux depuis le 15 août 1944, Serge Renaudin, dit "Victoire" (photo) a notamment participé pleinement aux négociations amenant à la reddition des Allemands, le 25 juillet au soir. Mais le personnage reste encore aujourd’hui énigmatique. Petit grade dans l’armée de Vichy, engagé tardivement dans la Résistance et anticommuniste, "il aurait volontairement et momentanément stoppé ses troupes qui venaient en secours aux FTP le 25 août", détaille Daniel Barthelat. On retrouve plus tardivement, celui qui avait pris l’habitude de conduire une voiture volée à Pierre Laval, lors d’une tentative d’insurrection à l’après-guerre.
Yann Terrat