“Septembre sans attendre” de Jonás Trueba, quand la rupture devient une fête
“Ale(x) et moi, on va se séparer… Mais ne t’inquiète pas, ça va très bien !” Cette phrase, les deux protagonistes de Septembre sans attendre (Volveréis en espagnol) ne cessent de la répéter à leurs proches, dans le neuvième long-métrage de Jonás Trueba – dont la prolixité, à 42 ans seulement, laisse pantois·e.
Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz) ont sensiblement l’âge du réalisateur d’Eva en août, sont respectivement réalisatrice et acteur, et sont ensemble depuis quatorze ans lorsqu’elle et il décident, d’un commun accord, un jour orageux d’août, de mettre un terme à leur histoire. Mais iels ne s’en contentent pas : iels entendent célébrer cette rupture lors d’une soirée avec tous·tes leurs ami·es, fin septembre. Et cette idée saugrenue va constituer pour ce couple fatigué un dernier projet commun, un chant du cygne, une grande répétition avant l’après.
Se quitter pour mieux s’aimer
À partir de ces drôles de prémices, Jonás Trueba compose une comédie de (peut-être) remariage absolument enchanteresse, aussi retorse que limpide en apparence, agissant comme un courant profond qui vous emporte sans crier gare au large, tandis que Bergman (celui des Scènes de la vie conjugale) et Blake Edwards (celui de 10) vous épient depuis la plage.
Ce qui compte ici n’est pas que le remariage soit effectif ou non, car comme l’explique l’inventeur du concept, le philosophe américain Stanley Cavell, seul importe que le cheminement intérieur conduise deux amoureux·ses éculé·es à envisager l’autre sous un jour nouveau (À la recherche du bonheur). Et dans ce cheminement sur la route du “perfectionnisme moral”, estime Cavell, le cinéma peut jouer un rôle prépondérant (Le cinéma nous rend-il meilleur ?). Ces deux livres, ainsi que La Répétition de Søren Kierkegaard, forment l’armature théorique du film, qui assume crânement – peut-être un peu trop – ses références. Au point qu’en son mitan, un père offre ces ouvrages à sa fille.
Mise en abyme
Et ce père n’est pas n’importe qui. C’est (dans la fiction) celui d’Ale, et c’est (dans la réalité) le propre père de Jonás Trueba, Fernando, qui le joue. Cinéaste et critique relativement important de l’après-Franco (une sorte de Tavernier espagnol), il joue ici un rôle central : celui de l’oracle. Qui annonce la fiction (puisqu’il eut jadis l’idée de la fête de rupture) et qui en organise les modalités (en livrant des conseils, en prêtant sa maison).
Par sa présence, il indique la portée extrêmement intime du film et invite à penser que le personnage d’Ale, sa fille, incarne Jonás Trueba lui-même. En inversant ainsi les genres, celui-ci brise un cliché – les personnages de réalisatrices restant rares – et il propose une vision dépoussiérée du duo pygmalion-muse, où s’accomplirait peut-être enfin une véritable démocratie du regard. Ainsi, dans un des derniers plans du film, c’est pour une fois une femme qui sublime un homme derrière l’œilleton ; tandis que l’homme, derrière son chevalet, peint sa belle de mémoire, en oubliant tout ce qui peut parasiter sa vision, comme le lui conseille sa professeure.
Apprendre à voir juste, au-delà des apparences, au-delà de la morne routine qui obscurcit la vie : c’est toute l’ambition de Jonás Trueba. Mais il faut, pour en saisir la force, revenir sur un aspect essentiel de Septembre sans attendre : le film que l’on voit, nous, spectateur, est en réalité en train d’être fabriqué par Ale. Autrement dit, le film qui s’offre à nous dans la salle de cinéma n’est pas différent de celui qui se cherche en salle de montage – un peu à la manière des Hong Sang-soo les plus métas.
D’où que ce film soit raturé, bricolé, donnant parfois l’impression de tourner en rond. Et ce titre, Volveréis, qui signifie dans ce contexte “vous reviendrez ensemble”, on peut aussi le comprendre comme “vous reviendrez au même endroit”. Revenir, reprendre, répéter, et néanmoins avancer. Lors d’une projection test du film pour les ami·es d’Ale, l’un d’eux livre la clé : “Ton film, Ale, est à la fois en cercle et en ligne droite.” Comme une pelote où le cinéma et la vie s’enrouleraient et se dérouleraient perpétuellement.
Septembre sans attendre de Jonás Trueba, avec Itsaso Arana et Vito Sanz. En salle le 28 août.