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Comment la cave des 1001 Pierres, à Branceilles, a participé à la renaissance du vignoble en Corrèze

Soudain, après avoir laissé traverser une oie sur une des petites routes sinueuses à l’orée du village, les premières vignes de Branceilles apparaissent. Posées là comme si le paysage leur appartenait autant qu’aux noyers. Comme si elles avaient toujours planté leurs racines dans le sol argilo-calcaire de ce bout de Corrèze d’un peu moins de 300 habitants, à deux pas du Lot.

Des milliers d'hectares de vignes jusqu'au phylloxera

Ce n’est pas loin d’être vrai, même si l’on est ici sur la fameuse route de la noix. Car on l’oublie souvent, si le département est une terre d’élevage, de l’époque gallo-romaine jusqu’aux ravages du phylloxéra, à la fin du XIXe siècle, il a compté jusqu’à 16.000 hectares de vignes. « C’était l’équivalent du vignoble alsacien à l’heure actuelle. Il y avait alors pas loin de 500 hectares de vignes dans le village », se plaît à rappeler Philippe Leymat, le président de la cave des 1001 pierres, la première en Corrèze à avoir fait le pari de relancer la culture viticole dans le département.

Avant cette renaissance, il y a une trentaine d’années, la vigne a connu une éclipse quasi totale pendant un siècle, au point que la Corrèze elle-même a fini par oublier que son terroir pouvait se mettre en bouteille. « Au début du XXe siècle, après le phylloxéra, des ceps hybrides avaient bien été replantés, poursuit le vigneron. Mais c’était surtout pour permettre aux paysans de faire leur vin du quotidien, sans grandes qualités organoleptiques. »

La faute, aussi, si l’on peut dire, à la truffe, présente alors en abondance. « À cette époque, sur le marché de Branceilles, il pouvait s’en vendre jusqu’à une tonne par semaine pendant la saison », éclaire Philippe Leymat. Cette manne financière, pour une bonne part réinvestie dans l’immobilier, a aussi servi à une modernisation plus rapide de l’agriculture locale. « Ça a ancré la tradition du collectif dans le village. Il a été le premier, en Corrèze, à avoir un tracteur et le premier où il s’est créé une Cuma (une coopérative d’utilisation des matériels agricoles). »

Les premières plantations en 1987

C’est loin d’être anecdotique dans la suite de l’histoire. Car cette culture du faire ensemble a été déterminante, quelques décennies plus tard, dans la création des 1001 Pierres. Arrive, donc, le milieu des années 1980. En plus de la noix, du tabac et de l’élevage, certains réfléchissent à d’autres productions pour se diversifier.

Charles Ceyrac, le maire de Collonges-la-Rouge et figure de la vie politique locale, à l’origine de la création de l’association des Plus beaux villages de France, suggère alors de relancer la culture de la vigne. L’idée peut paraître insensée, mais elle fait son chemin chez sept agriculteurs qui relève le défi de se lancer sur trente hectares, la superficie toujours exploitée aujourd’hui par la coopérative.

La chance des débutants...

En 1987, les vignes sont plantées. Il a fallu, avant cela, sortir les bulldozers pour arracher au sol les blocs de calcaire et les broyer pour offrir aux jeunes ceps le lit de pierres qui a donné son nom à la cave branceillaise. Trois ans plus tard, le premier millésime sort des cuves et si ses 10.000 bouteilles peuvent sembler maigres au regard des 140.000 que la cave produit désormais en moyenne chaque année, elle n’en dépasse pas moins, sur le moment, toutes les espérances.

« La chance des débutants », sourit Philippe Leymat. Les jeunes vignerons le mesurent d’autant mieux que les trois vendanges suivantes sont cata… « En 91 et 92, ils avaient pris la grêle, en 93, il avait plu toute l’année. » Mais l’aventure était lancée…

La reconnaissance apportée par l'AOC en 2017

Depuis, les vins de Branceilles n’ont cessé de grandir pour proposer aujourd’hui une dizaine de cuvées en IGP et en AOC. À base d’assemblages de merlot et de cabernet franc pour les rouges, de gamay, de merlot et toujours de cabernet pour les rosés, et de chardonnay pour les blancs, dont son vin de paille, ce « miel des muses », comme il est appelé en Corrèze.

Si elle touche essentiellement une clientèle composée pour moitié de touristes et pour moitié de locaux, « dans un rayon d’environ cent kilomètres à la ronde », la gamme de la petite coopérative n’en a pas moins pris du galon, ces dernières années. Sous l’effet à la fois de l’AOC obtenue par les vins de Corrèze, en 2017, et d’une évolution des modes de consommation qui a vu les amateurs de vin ouvrir leur palais à des appellations longtemps injustement sous-estimées.

« L’AOC nous a vraiment fait rentrer dans le monde du vin. Elle nous a ouvert de nouvelles portes et elle a signé la reconnaissance de notre travail. »

Une reconnaissance méritée que les sept viticulteurs de Branceilles, microscopiques à l’échelle du vignoble français, doivent à leur acharnement à faire monter leur vin en gamme. Ce fut le cas, par exemple, lorsque la coopérative a fini de payer le crédit-bail de 25 ans souscrit avec l’aide des collectivités, pour aménager sa cave.

« On aurait pu dire, “on se récompense”, mais on a fait le choix, collectivement, d’investir notamment dans des outils de thermorégulation pour améliorer la qualité de nos vins », insiste le vigneron corrézien. La coopérative ne force pas non plus sa production AOC, qui ne représente que 10 % de ses volumes. « Depuis 2017, on n’a fait que trois millésimes, en 2018, 2020 et 2022. Si ce n’est pas au niveau, on ne fait pas », insiste Philippe Leymat.

Nouvelles habitudes de consommation

Alors que la consommation de vin baisse en France et que certains producteurs sont contraints à l’arrachage comme c’est le cas dans la région bordelaise, la cave des 1001 Pierres ne connaît pas ce problème. Elle pourrait même vendre plus si elle avait davantage de vin.

« Les gens boivent peut-être moins, mais ils veulent boire mieux. On voit que la sociologie des consommateurs a évolué ces dernières années, avec de nouvelles générations qui sont plus dans une idée de plaisir et de recherche de profils de vins différents », met en avant Baptiste Tomachot, le dernier vigneron à avoir rejoint la coopérative, en début d’année, après le départ à la retraite d’un couple d’historiques de la cave.

L'impact des aléas climatiques

À seulement 29 ans, cet ingénieur agronome qui était déjà œnologue-conseil auprès de la cave, a sauté le pas en dépit des aléas climatiques qui se multiplient. Le gros point noir de ces dernières années.

« Quand mon prédécesseur, Pierre Perrinet, m’a transmis le flambeau en 2016, on était en pleine bourre. Pendant trente ans, on avait gelé seulement trois ou quatre fois, pose Philippe Leymat. Depuis, on a gelé à 85 % en 2017, à 70 et 65 % en 2019 et 2021, puis on a eu le mildiou en 2023 et cette année, le gel et le mildiou. »

« En sept ans, poursuit-il, on a perdu l’équivalent de trois récoltes et demie. Donc, s’il n’y avait pas la passion et un outil bien installé, ce serait compliqué… » L’entraide et la solidarité, aussi, « dans un métier qui peut vite devenir solitaire », ajoute Baptiste Tomachot.

« Cette force du groupe, le fait d’être une cave à taille humaine, c’est ce qui nous porte », abonde Philippe Leymat. Alors, même si cette première année a été rude, le jeune œnologue n’en reste pas moins persuadé du potentiel des vins de Corrèze. « Si je n’y croyais pas, je ne serais pas là, glisse-t-il. Je ne serais pas venu m’installer dans un truc voué à l’échec. »

Michaël Nicolas

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