Macron, les secrets de sa quête pour Matignon : dîner privé, cauchemar et rendez-vous impromptus
Qu’il est bon de tout oublier. Une journée de consultations politiques, un communiqué de presse envoyé en début de soirée, des discussions à l’arrêt avec le Nouveau Front populaire, toujours personne à Matignon ou presque… Et à l’Elysée, ce soir du lundi 26 août, des conversations qui rebondissent, des rires qui crépitent : entre Emmanuel Macron, apparemment détendu, et ses convives, pas un mot de politique. Dîner privé, indique son agenda officieux, celui réservé à l’interne. Ses amis réunis autour de la table n’en reviennent pas : le président ne semble fournir aucun effort pour ne pas jeter un regard à son téléphone. Provoquer le chaos puis laisser aux autres les tourments et les maux. Privilège de celui qui se croit maître de tout. Le ciel politique sur lui peut s’effondrer, et l’hypothèse d’un chemin commun avec la gauche peut s’écrouler, peu lui importe s’il reste au centre du jeu.
Ils n’ont pas ménagé leur peine pourtant, ceux qui, autour de lui, se tracassent de le voir ainsi chercher, fureter, triturer, en quête de l’épilogue idéal de l’épisode dissolution. "Pourquoi se met-il au milieu de tout ?", se lamente un de ses stratèges. François Bayrou a fait de son mieux pour le convaincre de nommer un Premier ministre chargé de conduire les consultations, en vain. Et que dire de cet ami, aussi sévère que candide, qui a houspillé le chef de l’Etat venu chercher avis et conseils : "Tu aurais dû aller à la Lanterne, demander à un type de les recevoir tous à ta place ; les gens ont voté contre toi trois fois de suite, tu ne peux donc en aucun cas organiser la solution !" Comme si laisser les autres faire ne signifiait pas, dans l’esprit d’Emmanuel Macron, abandonner une part de pouvoir… Et prendre le risque que des incapables abîment le bilan plus sûrement que lui-même ? Insensé.
Cet été, tout de même, le président a fait un cauchemar. "Une crise à la Liz Truss", a-t-il murmuré, effrayé, à l’un de ses interlocuteurs qui l’interrogeait sur la possibilité de nommer Lucie Castets Première ministre. "Si je la nomme, elle ou un représentant du NFP, ils abrogeront la réforme des retraites, ils augmenteront le Smic à 1600 euros, les marchés financiers paniqueront et la France plongera", a-t-il énoncé en substance. Conclusion stricte et sincère : "Je ne suis pas prêt à prendre ce risque." Quand la dissolution provoquée pour éviter de trébucher sur le vote du budget à l’automne se transforme en boomerang.
Un Premier ministre "avant la fin de la semaine"
Mais peut-il décider ? "Il décide parce qu’il est président de la République et qu’il a gagné ces législatives, c’est pourtant clair", ironise un ancien compagnon de route. Décidément, cette relation contrariée d’Emmanuel Macron avec le réel n’en finit pas de porter ses fruits. Un ministre, politique chevronné, constate : "Il donne l’impression qu’il ne considère pas qu’il faille faire une politique très différente de celle menée depuis 7 ans. Il n’a pas complètement intégré qu’il ne fait pas tout seul la politique du pays et qu’il ne fait pas tout seul le gouvernement." Refus d’une réalité qui transparaît aussi dans l’attente.
Le chef de l’Etat certes libre de son choix pour Matignon (article 8), mais le chef de l’Etat obligé d’exercer son autorité en nommant un Premier ministre ; le temps qui file serait-il inconstitutionnel ? Pour que cette petite musique ne couvre pas la voix du chef, à l’Elysée, ces derniers jours, on a cherché et griffonné sur un bout de papier : "Belgique en 2020 : 493 jours pour nommer un gouvernement, Espagne en 2023 : 121 jours, Allemagne en 2018 : 161 jours." Quand on se compare, on se console. Laurent Wauquiez peut bien demander au président de "ne plus procrastiner", il a encore le temps de ne pas se précipiter. Recevant les représentants du groupe Liot mardi 27 août, Emmanuel Macron a tout de même tenu à les rassurer en promettant un Premier ministre "avant la fin de la semaine".
Encore faut-il qu’apparaisse le nom de celui capable d’incarner "une forme de cohabitation", dit-on à l’Elysée. "Politique ou technique ?", voici la question à la mode. Yaël Braun-Pivet avance devant lui le nom de Didier Migaud, qui fut député pendant 22 ans, rapporteur général du budget, président de la commission des Finances, maire, conseiller régional. Un CV politique long comme le bras, mais l’ex-président de la cour des Comptes est désormais perçu comme trop technicien par le chef de l’Etat.
Cazeneuve, Bertrand, Lombard… ou un autre ?
Eric Lombard l’est aussi ; Michel Barnier l’est moins mais… Emmanuel Macron jongle avec un nom, puis deux, puis trois, jusqu’à donner le tournis aux prétendus devenus parfois prétendants. Ainsi Xavier Bertrand ne se souvient-il pas avoir vu le président durant l’été. Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, certains jurent pourtant qu’un premier rendez-vous a eu lieu fin juillet et un second fin août, au Touquet où l’un et l’autre étaient invités au TBM, festival de musique électronique. La séquence se prête au secret. "Nous étions chacun à une extrémité de l’espace invités, certifie le patron de la région Hauts de France - qui précise échanger avec des intermédiaires proches. Chaque année les organisateurs nous placent à l’opposé pour éviter que l’on se croise." Malgré la distance, le chef de l’Etat a trouvé en Bertrand un candidat à Matignon "très motivé". Il suffisait d’un signe.
Lui, mercredi 28 août, n’en avait toujours reçu aucun. Aucun signe ce n’est surtout pas mauvais signe. Pour beaucoup, Bernard Cazeneuve a le profil idéal, il correspond au "portrait-robot", selon François Bayrou que l’été et une rencontre avec l’ancien Premier ministre ont convaincu. Il a aussi l’habileté de rappeler à ses proches qu’il est "dans l’opposition", idéal pour installer cette cohabitation qui ne dit pas son nom. Il n’y a qu’un hic, Emmanuel Macron voit bien tout le profit qu’il pourrait tirer d’un homme d’Etat, respecté à droite comme à gauche, mais lui sait que le nommer ce serait revenir à l’ancien monde, à la présidence Hollande. Pire, faire de l’épopée entamée en 2017 une parenthèse puisqu’il fut le dernier Premier ministre d’avant.
L’argument provoque une vraie réticence chez le président, note un macroniste de premier rang. Cette fois, il faut choisir. "Ce qui est insupportable à Emmanuel Macron ce n’est pas de perdre, c’est que quelqu’un gagne", observe un intime. De ce point de vue, la dissolution a au moins quelque vertu. Tout le monde a perdu, mais le locataire élyséen continue par le moindre de ses silences à faire jaser. La seule défaite, c’est l’oubli.