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Pour Paul Leroy-Beaulieu, le collectivisme est une erreur intellectuelle

Le collectivisme tel que défini par Schäffle

Le collectivisme, tel que défini par Albert Schäffle, repose sur l’idée de la propriété collective des moyens de production, en opposition à la propriété privée.

Dans ce système, les biens-fonds, les ateliers, les machines et tout l’outillage nécessaire à la production seraient détenus collectivement par la société, plutôt que par des individus ou des entreprises privées. La concurrence capitaliste, avec ses dynamiques de marché, serait remplacée par une organisation sociale du travail centralisée, où la production serait planifiée et dirigée par des entités publiques ou corporatives.

Schäffle tente de distinguer le collectivisme du communisme, en soulignant que le collectivisme n’abolit pas entièrement la richesse individuelle. Si la propriété privée des moyens de production est supprimée, celle des moyens de consommation est, en revanche, respectée. De plus, le collectivisme propose une forme de répartition des produits basée non seulement sur la quantité, mais aussi sur la valeur du travail fourni par chacun, ce qui introduit une différenciation qui n’existe pas dans le communisme pur.

Cependant, cette vision pose plusieurs problèmes.

La suppression de la propriété privée des moyens de production et l’introduction d’une planification centralisée risquent de détruire l’initiative individuelle, un moteur essentiel du progrès économique. De plus, en supprimant la monnaie et en la remplaçant par des bons de travail, le collectivisme réduit la flexibilité de l’économie, compliquant ainsi l’échange et l’accumulation de richesses. Bien que Schäffle tente de préserver certaines formes d’épargne individuelle, il la réduit à une forme primitive et non reproductive, empêchant ainsi toute véritable accumulation de capital. Il se dit également et à maintes reprises soucieux de maintenir la liberté qui existe dans le système libéral, mais il ne propose, finalement, jamais que des « peut-être » comme garantie.

« Le bon côté de l’économie libérale, la liberté individuelle, le libre choix de son domicile, la liberté industrielle pourraient peut-être se conserver, tandis qu’il serait mis fin au manque actuel d’organisation unitaire du travail. » Schäffle, La Quintessence du socialisme.

Et Leroy-Beaulieu de répondre :

« Ainsi, l’on n’est pas assuré de sauvegarder la liberté de domicile ; à ceux qui en estiment le prix, on ne peut répondre que par un peut-être, et c’est à moins de quarante pages de distance que Schæffle, après l’éloge de la liberté individuelle, émet ce doute désespérant. En fait, comme on le verra plus loin, le collectivisme supprime nécessairement la liberté du domicile comme toutes les autres libertés. »

Enfin, la méthode proposée pour la transition vers ce système, qui passe par l’expropriation progressive des détenteurs de capitaux avec des indemnisations étalées sur plusieurs décennies, soulève des questions sur la viabilité économique et sociale d’un tel processus. En cherchant à établir une nouvelle forme de société basée sur la propriété collective, le collectivisme selon Schäffle pourrait engendrer une bureaucratisation excessive, une inefficacité économique, et une perte de dynamisme social, compromettant ainsi les libertés individuelles et la prospérité économique à long terme. De plus, le système des bons du travail, la distinction arbitraire entre biens de consommation et biens de production (le fameux exemple de l’aiguille qui change de catégorie selon son usage), rien n’empêche, finalement, les inégalités de réapparaître.

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L’évolution inéluctable vers la propriété privée 

Leroy-Beaulieu consacre une part significative de son analyse à la défense de la propriété privée, qu’il considère comme une institution fondamentale pour le développement économique et social. Contrairement à certaines théories qui attribuent la création de la propriété à des pratiques d’esclavage ou à des formes anciennes de servitude, Leroy-Beaulieu soutient que la propriété privée est plutôt le produit d’un processus historique évolutif où les individus ont eu l’opportunité de développer leur capital grâce à l’échange libre et au travail

L’humanité semble suivre une trajectoire inévitable depuis le communisme primitif vers des formes de propriété privée plus individualisées. Selon Paul Leroy-Beaulieu, l’évolution de la propriété est marquée par une transition progressive depuis la communauté vers l’individualisme. Au début, la terre est cultivée en communauté, mais progressivement, les sociétés introduisent des systèmes de partage plus individuels. Les lots de terre sont attribués pour des périodes plus longues et, finalement, on assiste à la création de la propriété perpétuelle.

Leroy-Beaulieu explique que ce changement ne relève pas d’un hasard mais d’un besoin fonctionnel et d’une réponse aux exigences croissantes d’efficacité agricole.

« Peu à peu une partie de la terre, au lieu d’être simplement dépouillée périodiquement de ses productions spontanées, est mise en culture régulière… D’abord la terre est cultivée en communauté. Plus tard, on s’élève à un plus haut degré de responsabilité personnelle, on sort de cette confusion, on divise le sol et l’on alloue à chacun ou aux principaux un lot chaque année ; on fait ensuite un pas de plus vers la propriété perpétuelle. »

Cette évolution, souligne-t-il, reflète un progrès vers une meilleure exploitation des ressources et un ajustement aux réalités économiques et sociales de chaque époque.

Selon lui, le passage de la propriété collective à la propriété privée est une réponse aux besoins croissants d’efficacité et de responsabilité personnelle. Cette évolution n’est pas seulement une question de préférences culturelles mais une nécessité dictée par le développement économique et social. Paul Leroy-Beaulieu le montre, en se basant sur les travaux de son frère Anatole sur le mir russe ou la Java (et d’autres encore, comme Laveleye), les modes de propriété collective sont le plus souvent inefficaces et injustes, au pire, et pour le mieux, ils sont médiocres. Et ce d’autant plus que la densité de la population augmente, accroissant la nécessité du changement du mode de gestion.

Maximilien Lassalle propose une théorie différente en suggérant que l’esclavage est à la base de la formation de la propriété privée. Selon lui, l’origine de la propriété, du capital et de la division du travail remonte à l’esclavage. Il affirme que l’esclavage était omniprésent dans les premières sociétés, où les vaincus ou les endettés devenaient des esclaves. Cependant, Leroy-Beaulieu conteste cette explication en soulignant que l’esclavage n’est pas nécessaire pour comprendre la formation du capital. Il argumente que la propriété privée et le capital peuvent émerger d’autres formes de relations de travail plus librement définies, telles que le louage de services.

Cette perspective de Lassalle ne modifie pas la tendance générale observée par Leroy-Beaulieu : celle d’une transition inéluctable vers des formes de propriété privée plus structurées et individuelles. En effet, le passage de la propriété collective à la propriété privée est perçu comme une nécessité fonctionnelle pour une meilleure exploitation des ressources et une gestion plus efficace, indépendamment de l’histoire spécifique des formes d’exploitation comme l’esclavage.

 

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Le collectivisme ne peut donner les instruments de travail aux prolétaires

Il est erroné de croire que le collectivisme offrirait aux travailleurs la propriété ou la gestion des instruments de travail. Cette illusion repose sur l’idée que, sous un régime collectiviste, les ouvriers pourraient s’approprier les moyens de production et en assurer la direction.

Cependant, cette promesse est trompeuse. En réalité, les instruments de travail seraient remis non pas aux travailleurs eux-mêmes, mais à la collectivité, c’est-à-dire à l’État, représenté par une cohorte de fonctionnaires. Ces derniers, devenus les nouveaux maîtres des moyens de production, exerceront une autorité discrétionnaire sur l’ensemble des activités économiques, reléguant les travailleurs à un statut de dépendance encore plus marqué qu’aujourd’hui.

Écrit moins d’un siècle auparavant, la gestion par les managers soviétiques lui donnera raison :

« Quand on promet aux travailleurs manuels que, sous le régime collectiviste, ils auraient la conduite des entreprises, on les trompe ou l’on se trompe : ils ne l’auraient pas. Il en est de cette promesse comme de celle de donner aux travailleurs manuels leurs instruments de travail. Le collectivisme ne serait pas en état de le faire. Il remettrait les instruments de travail à la collectivité, ce qui n’est pas la même chose que de les remettre à chaque ouvrier. » (Paul Leroy-Beaulieu, Le Collectivisme – Examen critique du nouveau socialisme, p. 47)

Sous le collectivisme, chaque ouvrier se trouverait contraint de solliciter ces fonctionnaires pour obtenir l’accès aux outils de travail, aux matières premières, et même pour percevoir sa rémunération.

Cette situation ferait des fonctionnaires de véritables « omniarques », des despotes qui contrôlent chaque aspect de la vie économique, réduisant ainsi la liberté individuelle des travailleurs à néant. Contrairement à l’époque actuelle où un ouvrier peut changer de patron, de profession, ou de lieu de résidence, le collectivisme centraliserait tous les pouvoirs entre les mains de l’État, éliminant toute possibilité de mobilité ou de choix.

« L’ouvrier, au lieu d’avoir le choix comme aujourd’hui, sur toute l’étendue du territoire, entre des centaines ou des milliers de patrons concurrents, n’aurait plus en face de lui qu’un seul patron, l’État. […] Un seul patron pour une nation de 40 millions d’âmes, un engrenage qui n’admet aucune mobilité, aucune spontanéité dans les pièces diverses qui le composent, voilà l’idéal qu’offre le collectivisme. » (Paul Leroy-Beaulieu, Le Collectivisme – Examen critique du nouveau socialisme, p. 39-40)

Ainsi, loin d’émanciper les travailleurs, le collectivisme les enfermerait dans un système où ils n’auraient plus qu’un seul patron : l’État. Cette situation, comparable à celle des serfs du Moyen Âge, priverait les travailleurs de toute autonomie réelle. Loin de leur offrir la liberté industrielle ou politique, le collectivisme instaurerait un régime rigide et oppressif, où l’individu serait subordonné à une bureaucratie omnipotente, rendant ainsi toute idée de liberté illusoire.

 

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Le rôle du hasard et des émulations sous le système de la propriété privée

Paul Leroy-Beaulieu met en lumière l’importance des conjonctures et des circonstances extérieures dans la formation et la destruction des richesses. Il critique l’idée collectiviste qui tend à minimiser ou à ignorer ce facteur déterminant. Selon lui, la richesse n’est pas simplement le fruit d’un travail ou d’une propriété, mais souvent le résultat d’une combinaison de circonstances imprévisibles et de conjonctures favorables ou défavorables.

Les exemples qu’il donne illustrent comment les conditions extérieures peuvent, d’un côté, transformer un terrain sans valeur en source de grande fortune, et de l’autre, ruiner des entreprises autrefois prospères suite à des innovations ou des changements économiques imprévus. Leroy-Beaulieu souligne ainsi que les conjonctures ne favorisent pas toujours les capitalistes, mais peuvent aussi les précipiter dans la ruine. C’est pourquoi il rejette la vision collectiviste qui représente les capitalistes comme des bénéficiaires automatiques des circonstances sociales.

Il évoque également le rôle stimulant que ces circonstances jouent dans l’économie. L’incertitude et l’imprévisibilité des conjonctures poussent les individus à innover, à prendre des risques, et à entreprendre de grands projets. C’est cette dynamique qui, selon lui, fait avancer la société et enrichit l’ensemble de la collectivité, bien au-delà des gains individuels. Dynamique ô combien plus puissante que cet « engrenage » du féodalisme moyenâgeux souvent fantasmé par les auteurs socialistes.

« Loin d’être dans la production un élément dé découragement, les circonstances extérieures, liées à la propriété privée, forment le plus actif des stimulants. Chacun a confiance non seulement en son jugement, mais en sa fortune, en son étoile, expression qui a survécu et qui survivra longtemps encore à l’astrologie. Les collectivistes intelligents, Schœffle surtout, sont bien obligés de le reconnaître. Après avoir si souvent parlé de la « concurrence anarchique, » il doit constater et célébrer même les mérites de la « puissante impulsion de la concurrence capitaliste, » la « force de l’intérêt individuel, » l’insuffisance de l’autorité du commandement. » (Paul Leroy-Beaulieu, Ibid, p.95)

En conclusion, Leroy-Beaulieu défend l’idée que la propriété privée, en interaction avec les conjonctures, est essentielle pour encourager l’initiative individuelle et l’innovation, des éléments clés pour le développement économique. Les systèmes collectivistes, en négligeant ces aspects, risquent de stériliser l’économie et de priver la société des avantages collectifs qui découlent de l’entreprise privée.

La méfiance envers l’État et les dangers de la centralisation

À d’autres endroits du livre, Leroy-Beaulieu exprime une profonde méfiance envers les capacités de l’État à gérer efficacement les ressources économiques de manière centralisée.

Il souligne qu’avec ses structures bureaucratiques et ses processus décisionnels souvent complexes, l’État peut se révéler inefficace lorsqu’il s’agit de gérer les ressources économiques et les biens privés. Cette centralisation peut conduire à une perte de liberté individuelle et à une réduction de la motivation personnelle, car les individus deviennent de plus en plus dépendants de l’intervention de l’État.

« C’est une grande erreur de croire que la puissance de l’État puisse se substituer aux forces individuelles sans amener la stagnation, sinon la décadence, dans la société. Le collectivisme, en voulant tout centraliser, étouffe l’initiative privée, qui est le moteur indispensable du progrès. »

Leroy-Beaulieu met en garde contre les dangers de la centralisation excessive qui peut entraîner une gestion inefficace des ressources, une bureaucratie lourde et des décisions arbitraires. Il évoque des exemples historiques où les tentatives de l’État de s’impliquer dans la gestion des biens privés ont échoué ou ont rencontré une résistance significative de la part des individus. Selon lui, la centralisation excessive affaiblit les mécanismes de marché et les incitations individuelles qui sont essentiels pour une économie dynamique et prospère. Il soutient que la gestion privée et décentralisée des ressources est préférable pour encourager l’innovation, la responsabilité personnelle et la croissance économique.

« C’est une grande erreur de croire que la puissance de l’État puisse se substituer aux forces individuelles sans amener la stagnation, sinon la décadence, dans la société. Le collectivisme, en voulant tout centraliser, étouffe l’initiative privée, qui est le moteur indispensable du progrès. »Paul Leroy-Beaulieu, ibid, p.91

Leroy-Beaulieu argue que la centralisation des ressources sous le contrôle de l’État n’encourage pas l’effort individuel ni la responsabilité personnelle, mais plutôt la dépendance et la passivité. Il met en garde contre le risque que ce modèle entraîne une stagnation économique et sociale, car il néglige les contributions essentielles des individus qui, en travaillant de manière autonome, apportent des solutions novatrices aux défis économiques. Selon lui, les idées collectivistes, bien que séduisantes en théorie, manquent de réalisme pratique et ignorent les conséquences négatives sur la dynamique sociale et la liberté individuelle.

Cette propriété, Paul Leroy-Beaulieu la juge également indispensable pour les agriculteurs. Pour que l’agriculture prospère et soit efficace, il est essentiel que les agriculteurs soient propriétaires de leurs terres. Pierre-Joseph Proudhon, qui est cité par notre auteur, soutient que la propriété foncière personnelle est un moteur crucial pour le développement agricole. Selon lui, les individus investissent davantage dans la terre qu’ils possèdent, car cela leur permet de bénéficier directement des fruits de leur travail. La propriété privée incite les agriculteurs à améliorer la qualité des sols, à adopter des techniques de culture plus avancées, et à préserver les ressources naturelles, sachant qu’ils en récolteront les bénéfices à long terme.

« Pour déterminer la décadence de l’industrie agricole dans mainte localité, ou du moins pour en arrêter les progrès, il suffirait peut-être de rendre les fermiers propriétaires. » Pierre-Joseph Proudhon, Systèmes des contradictions économiques

Proudhon met en lumière l’importance de la motivation individuelle dans le processus de développement agricole. Il observe que la vie sociale se manifeste à travers deux dimensions : la conservation et le développement. La propriété privée joue un rôle central dans cette dynamique, en favorisant le développement par l’essor des énergies individuelles. En tant que propriétaires, les agriculteurs ont un intérêt personnel à augmenter la productivité de leurs terres, ce qui conduit à des améliorations et à une meilleure gestion des ressources.

 

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Conclusion

En somme, l’examen critique du collectivisme par Paul Leroy-Beaulieu met en lumière les défis et les contradictions inhérents à une organisation sociale qui cherche à supplanter la propriété privée par la propriété collective des moyens de production. Le XXe siècle ne lui aura que trop donné raison de se méfier d’un système qui se propose moins de comprendre les lois de la nature que de les renverser.

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