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La chronique du temps présent d'Astrid Eliard ou "l'itinéraire d’une enfant gâtée"

Il y a peut-être un quart de siècle de cela, j’ai appris, parce que c’était un jeu à la mode, toutes les capitales du monde. Le but était de concourir à des battles qui se jouaient dans les trains ou les repas de famille, mais pas seulement, car il me semblait apercevoir mon avenir dans ce jeu ; je me représentais les grands Boeing qui m’emmèneraient à Mbabane, Vientiane, Tegucigalpa. J’avais dix-sept ans et l’arrogance de penser que ces voyages ne me résisteraient pas, qu’il suffirait d’être une adulte dotée d’un minimum de capital économique pour les accomplir.

Ma première fois dans un avion

J’ai oublié la première fois que je me suis baignée dans une rivière ou qu’une biche s’est figée sous mes yeux dans une forêt, en revanche je me souviens de ma première fois dans un avion, et c’est tout naturel, parce que l’avion était et continue d’être un mythe (alors que les rivières et les biches ont cessé d’en être). Avant de m’embarquer pour la première fois, j’avais dessiné, peint et colorié des dizaines, des centaines, de carlingues d’avions dans mes cahiers d’enfant ; j’avais suivi, le menton au ciel, leurs traînées blanches, rêvant de téléportation (comme si l’avion pouvait vous débarrasser de qui vous êtes, et garder votre moi bien bouclé dans la soute).

Aujourd’hui encore, alors que je suis devenue une passagère abstinente, j’ai une poussée de dopamine rien que d’entendre dans un film le jingle des aéroports de Paris.

J’en ai pris pas mal des avions. J’ai même eu une carte Fréquence Plus chez Air France. Cela dit, j’étais une petite joueuse dans la compète des miles, comparée à ces champions du voyage qui récitaient les yeux fermés le Lonely Planet. Eux détenaient le secret de « la plus belle plage de Grèce », ils pouvaient vous murmurer à l’oreille des énigmes du genre : « Il faut absolument aller à Cuba avant la mort de Fidel Castro. »

L'avion, 5 % du réchauffement climatique

L’idée, c’était de ne jamais, au grand jamais, ressembler au touriste de Martin Parr – de toute évidence le « mauvais » touriste. Eh oui, on se posait ce genre de questions au XXe siècle.

A l’heure où vous commencez peut-être à vous lasser des récits de vacances de vos parents, collègues, amis, je m’inquiète du fait que le trafic aérien, qui contribue à plus de 5 % du réchauffement climatique, a dépassé ses niveaux d’avant le covid.

Je regrette que l’avion ait gagné dans l’imaginaire du voyage, de la découverte, et pas le train, le bateau, l’autocar, l’autostop, la marche, le cheval. Mais je me dis aussi qu’on a bien réussi à déconstruire le Prince Charmant, alors pourquoi pas le transport aérien ?Je me demande comment tout cela va se terminer.

Astrid Eliard

Les chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.

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