Un théâtre populaire...et qui a de la mémoire : à Vichy, la compagnie Procédé Zèbre a depuis longtemps trouvé son chemin
Il ne peut que s’en souvenir, bien sûr, lui qui a bâti tout son parcours artistique autour de la mémoire. « La création de la compagnie ? C’était en 1991. On avait commencé avec un spectacle dédié à Albert-Londres, qui était encore relativement méconnu ici à Vichy. La pièce avait été créée en présence de Pierre Assouline, le biographe d’Albert-Londres ».
Un instant fondateur dont Fabrice Dubusset n’a donc rien oublié, lui, le directeur artistique d’une compagnie théâtrale, Procédé Zèbre, qui n’a toujours été guidée que par un but : faire vivre le théâtre, partout, et pour tous, en s’intéressant à l’Histoire sous toutes ses formes. « Parce que c’est en se tournant vers le passé que l’on comprend le présent ».
Ouvrir le théâtre au plus grand nombreEt des histoires autour de la grande Histoire, la troupe a pu en compter, depuis ses débuts voici plus de trente ans. À l’époque, elle s’appelle d’abord Zèbre Théâtre. Le zèbre ? « C’est un animal indomptable, qu’on ne peut pas vraiment classifier, à l’image de notre théâtre. Et puis bon, c’est aussi un animal noir et blanc, et nous, au début, on imprimait tout en noir et blanc », rigole le chef de troupe, qui a plongé dans la marmite de la comédie et de la création dès le milieu des années 1980. Et ce dans un lieu atypique : l’unité psychiatrique de l’hôpital de Vichy.
Car ce passionné en est persuadé : le théâtre peut avoir des vertus thérapeutiques, faciliter l’ouverture sur le monde et doper la confiance en soi. « C’était même prescrit par les médecins ! ». De cette expérience naît une première troupe, l’Éponge Théâtre, qui se produira partout dans Vichy et même au-delà. Ce travail entre comédiens professionnels et amateurs culminera, en 2003, avec la pièce « Chez les fous », qui rencontre un franc succès. Un an plus tard, la troupe prend son appellation actuelle, Procédé Zèbre.
« On a voulu développer un théâtre documenté et documentaire. C’est intéressant de traverser l’Europe, d’y parler de mémoire. Toutes les mémoires sont importantes, car les humanités sont sœur »Fabrice Dubusset,directeur artistique de la compagnie
Depuis, la compagnie a tracé son chemin, plus que jamais fidèle à sa ligne directrice, celle de faire de la pratique théâtrale un moyen de divertir, mais surtout de réfléchir aux affres du passé. Le passé des villes et villages, des territoires, des familles qui les peuplent. « On a voulu développer un théâtre documenté et documentaire », précise Fabrice Dubusset.
Il y avait eu Albert Londres, le bagne, les asiles ; il y aura les conflits mondiaux, la déportation, les dictatures. De la folie à la guerre, deux thèmes sans doute pas si étrangers, la compagnie s’ouvre à de nouveaux horizons, en nouant dès le milieu des années 2000 des liens forts avec d’autres pays européens, dans le cadre d’un programme Erasmus appliqué à la culture et l’éducation.
Il y a la Roumanie, d’abord, où la compagnie délocalise des stages de théâtre dès 2006. Suivront l’Autriche, l’Allemagne, la Bosnie, pour des projets au long cours qui ont mené Procédé Zèbre à effectuer une vaste tournée européenne il y a peu. « Dans ces pays, on développe des spectacles avec des lycées, des universités, des associations, des collectifs de jeunes, déroule le directeur artistique de la troupe vichyssoise. On joue aussi dans des lieux mémoriels, comme à Sarajevo. C’est intéressant de traverser l’Europe, d’y parler de mémoire. Toutes les mémoires sont importantes, car les humanités sont sœur ».
Le spectacle Recycliste (ici à Teillet-Argenty cet été) a pour socle la mémoire des territoires, à commencer par le Bourbonnais @Agence Montluçon.
Un Bus des Mémoires pour aller au plus près du publicMais si elle voit loin, la compagnie n’en reste pas moins attachée à son territoire, elle qui est basée provisoirement (depuis 1995 !) dans les anciens abattoirs des Ailes, à Vichy. Ainsi, c’est bien dans la ville thermale, il y a dix ans tout pile, qu’a eu lieu la première édition du festival Water is Memory, temps fort de l’année de la troupe avec plusieurs journées de spectacles, performances, rencontres. C’est dans l’Allier, aussi, que le Bus des Mémoires sillonne les routes pour aller faire étape dans des villes et villages dont le passé refait soudainement surface, marqué par les conflits et la dureté du quotidien, et émaillé de quelques légendes aussi.
Autre projet marquant : les Porteurs de Mémoire, où des comédiens transportent des valises où figure le nom de personnages qui ont lutté pour leur liberté et celle des autres. Joué à Vichy dès 2019, ce spectacle déambulatoire a toujours fait son petit effet, et contribué à mettre en lumière une compagnie qui s’est toujours fait fort de développer des liens avec des institutions locales, qu’il s’agisse du Cavilam de Vichy, de la maison Albert-Londres, de centre culturels et sociaux, de musées, ou du lycée Saint-Pierre de Cusset.
Après l'Europe, la compagnie mène actuellement des projets avec des pays tels que la Mongolie.
Une jeunesse à sensibiliserLa jeunesse, l’une des cibles prioritaires de Procédé Zèbre, tant pour y dénicher des comédiens que pour y adresser des messages forts. « Il est fondamental d’éduquer à la mémoire, surtout aujourd’hui, conclut Fabrice Dubusset, qui a parfois l’impression « que l’histoire fait des redites ». Car la guerre reste partout, y compris aux portes de l’Europe. D’ici quelques années, la compagnie saura s’en doute s’en souvenir.
Pierre Geraudie
Photos La Montagne et Procédé Zèbre