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Mostra de Venise 2024 – Laura Citarella : “Réaliser des films, c’est recommencer à zéro à chaque fois”

Comment naissent les films ? De quels interstices de vie ? De quelles rencontres improbables ? Productrice du film-fleuve La Flor de Mariano Llinas, réalisatrice de Trenque Lauquen et membre active du collectif El Pampero Cine, Laura Citarella donne foi en une conception à la fois ultra ambitieuse, joueuse et rigoureuse du cinéma d’auteur·ice. Une gageure aujourd’hui, surtout venant d’un pays où les subventions au cinéma ont été drastiquement réduites depuis huit ans, et où le nouveau gouvernement populiste de Javier Milei méprise la culture.

À 43 ans, l’Argentine est actuellement à la Mostra de Venise (où elle avait montré Trenque Lauquen en 2022) pour accompagner un film de 26 minutes, El Affaire Miu Miu, tourné en grande partie à Trenque Lauquen – qui est aussi une ville de la province de Buenos Aires – avec l’équipe technique et les acteur·ices de son cinéma. L’histoire d’une mannequin venue défiler dans la Pampa qui disparaît et laisse derrière elle des traces, comme un jeu de piste pour être retrouvée – ou disparaître à nouveau. Pile dans les obsessions de Citarella, excitée par la possibilité que les récits ne s’arrêtent jamais, comme des ouvertures vers d’autres mondes.

Un court-métrage comme une expérimentation

Rencontrée à deux pas de la place Saint-Marc, sous une chaleur torride, Citarella admet que le défi d’aborder la forme courte n’avait rien d’évident – Trenque Lauquen durait plus de quatre heures. “En général, j’aime écrire et fabriquer des univers à expansion, où la narration a le pouvoir de devenir autre chose, puis encore autre chose, etc. Je pensais encore à des récits dérivés de Trenque Lauquen après la sortie du film. C’est ma façon de faire du cinéma. À mes yeux, l’efficacité ferme les choses, les histoires, le sens, elle réduit tout. Je me place peut-être contre une manière de faire contemporaine.

El Affaire Miu Miu, son court métrage à clefs, donne le sentiment de jouer l’étirement, même dans un format qui a priori le refuse. “C’est vrai, je me suis pliée à une exigence de durée, mais j’ai aussi pensé en termes d’expansion, en travaillant le temps à l’intérieur des scènes. Il se passe des choses un peu folles dans cette histoire d’une mannequin qui vient prendre des photos dans la Pampa puis disparaît : le rythme induit un certain vertige, une intensité qui, j’espère, va au-delà des scènes elles-mêmes.”

Pour ce film, Laura Citarella a été contactée par la marque italienne de prêt-à-porter Miu Miu, dont la fondatrice Miuccia Prada a eu l’idée en 2011 de solliciter deux fois par an des réalisatrices pour explorer leur idée de la féminité. Avant la vague MeToo et les conversations sur le “female gaze”, avant que les grandes marques de mode comme Yves Saint Laurent ne se lancent dans la production, les “Miu Miu Tales” étaient nées, auxquelles ont participé depuis des cinéastes aussi différentes que Ava DuVernay, Lucrecia Martel, Alice Rochwacher, Mati Diop, Naomi Kawase ou encore Agnès Varda.

Entre réalité et fiction

Pour le 28e film de la série, Laura Citarella n’avait qu’une contrainte : utiliser des pièces de la dernière collection de la marque. “Au départ, j’ai imaginé un faux documentaire où mon personnage serait sollicité par Miu Miu pour réaliser un film. Un truc vraiment meta. Mais j’ai fini par trouver ça un peu infantile : plusieurs productions de mon collectif El Pampero Cine ont déjà joué avec cette idée du faux documentaire. Par contre, j’ai trouvé honnête d’inclure la marque qui finance le film dans le récit. C’était une façon de jouer avec les limites de la réalité et de la fiction. Donc, l’héroïne vient jusqu’à Trenque Lauquen pour Miu Miu.

Loin de servir de faire-valoir aux vêtements, le film les regarde comme des éléments parmi d’autres dans une fiction qui inclut les visages, la nature, les routes. On retrouve même une tenue éparpillée sur les branches d’un arbre, de manière incongrue, presque provocatrice… “Je voulais aller contre la fétichisation et contre l’idée du film de mode, pour ramener ces pièces de mode dans le réel. Je dirais que ce n’est pas une provocation, plutôt une expérimentation.” Intarissable, Laura Citarella évoque sa passion pour Stromboli de Roberto Rossellini, son film préféré. “Quand Rosselini a filmé Ingrid Bergman dans cet espace un peu rude et volcanique au nord de la Sicile, elle avait tourné Casablanca quelques années auparavant, avant de quitter son mari et ses enfants pour se marier avec lui. Une star hollywoodienne arrivant au milieu de nulle part, parmi les pêcheurs, ça me parle. J’aime beaucoup l’idée de mêler des univers qui n’ont rien à voir et se rencontrent à travers un film. L’image nouvelle que cela peut créer me fascine. J’y ai pensé.

Las Italianas, prochain projet de Laura Citarella

Si Laura Citarella a accepté ce projet avec la marque milanaise, c’est aussi pour “continuer d’exercer mon métier”, dit-elle. Car le cinéma ne s’arrête jamais et les films, concrets ou rêvés, dialoguent. Son prochain long métrage devrait mettre en avant les liens de sa famille avec l’Italie et ce court métrage en pose les jalons. “J’étais en train de me demander quoi faire après Trenque Lauquen puis j’ai eu l’idée d’un film tourné en partie en Argentine, mais aussi en Italie. J’ai une relation avec ce pays à travers ma famille, qui me donne envie de reconstruire mon arbre généalogique. J’ai pensé que le court métrage pourrait être une première étape vers un film, Las Italianas, qui parlera aussi de littérature, à travers les personnages de trois écrivaines. Je suis un peu obsédée par les sœurs Brontë …

Toujours en recherche de financement pour Las Italianas, la cinéaste insiste sur la nécessité pour elle de continuer à filmer à tout prix, “comme une sportive” s’entraîne au quotidien. “J’ai l’impression d’être toujours en train de devenir réalisatrice, même si j’ai signé plusieurs films. Celui ou celle qui arrive sur le plateau et devient subitement un génie, je n’y crois pas.” Après une hésitation, elle se reprend. “C’est peut-être une manière féminine de penser. Je crois que mes collègues masculins ne réfléchissent pas ainsi. Ils doivent ‘performer’ quelque chose de différent. Les réalisateurs ont une histoire derrière eux, on leur demande d’être des leaders, les propriétaires de leurs idées. Je ne dis pas cela pour critiquer, je pense que cela pèse parfois sur les hommes qui doivent assumer leur statut. Mais pour moi, réaliser des films, c’est recommencer à zéro à chaque fois. Dès que j’ai la possibilité de le faire, j’y vais.

“Les nouvelles voix ont du mal à émerger

Avant de partir en repérages en Italie pour son long métrage à venir, celle qui fut membre du jury en 2023 à la Mostra de Venise, pour la section Lion of The Future (l’équivalent de la caméra d’or au Festival de Cannes), exhorte la génération émergente à sortir des carcans et des formules trop séduisantes. “Cela va peut-être faire polémique, mais j’ai vu 26 premiers films à cette occasion et j’en suis sortie un peu inquiète. J’ai été soufflée par le manque de radicalité. Quand on réalise son premier long, on donne tout. Parfois, on se plante, mais on essaie. Or, la plupart avaient des budgets importants et des structures proches de films de plateformes. Dès qu’une scène un peu différente survient, une autre remet le récit dans le droit chemin. Les fins sont rassurantes. J’ai trouvé cela incroyable. Des gens de 20 ans, 30 ans, proposaient des films de quinquas qui s’ennuient dans la vie (rires). Je ne veux pas généraliser, c’est peut-être différent cette année, mais je constate que les nouvelles voix ont du mal à émerger, tant les contraintes de l’industrie sont fortes.

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