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En fonctionnement depuis mardi, l’EPR de Flamanville aura pris douze ans de retard et coûté six fois plus cher que prévu

Le 3 septembre 2024 est à marquer d’une pierre blanche pour EDF. À 15 h 54, le réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (Manche) a démarré, marquant une étape cruciale dans une saga traversée par de multiples rebondissements. Le processus conduisant à la réaction nucléaire en chaîne, et ouvrant la voie à la production d’électricité, avait été enclenché la veille au soir, quelques heures après l’ultime feu vert donné par l’Autorité de sûreté nucléaire.

Explosion des coûts

Un soulagement pour l’opérateur historique après une avalanche de déboires (fissures dans le béton de la dalle, anomalies dans l’acier de la cuve, défauts de soudure) qui ont retardé de douze ans la construction prévue en cinq ans du plus puissant réacteur au monde. La facture en a pris un sacré coup : 13,2 milliards d’euros, soit quatre fois le devis initial. Et même 19 milliards en comptant les surcoûts financiers selon l’évaluation de la Cour des comptes, en 2020.

Ironie du sort, la connexion au réseau électrique n’interviendra pas avant la fin de l’automne alors que l’énergéticien avait tablé sur un début de production à la fin de l’été. Et pour atteindre la pleine puissance, il faudra compter encore plusieurs mois, annonce déjà EDF.

Décidément, jusqu’à la dernière minute, Flamanville n’aura jamais réussi à être à l’heure. Ce qui n’est pas sans questionner la concordance de temps concernant un réacteur dont les prémices remontent à 1989.

« Une réponse  à Tchernobyl »

« Le sentiment est mitigé. Évidemment, il faut reconnaître l’importance et la portée symbolique de ce démarrage. C’est un événement rare. La dernière centrale en date remonte à 25 ans avec Civaux 2, en juin 1999. En même temps, cette étape souligne en creux toutes les difficultés qui ont jalonné la construction. Et toutes les interrogations qu’on peut avoir sur la pertinence d’une telle installation aujourd’hui », réagit Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt, qui appuie sa démarche sur la sobriété, l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables.

Outre Flamanville, trois EPR sont en service : deux en Chine (Taishan) et un en Finlande (Olkiluoto 3). Deux sont en construction en Angleterre.

« Flamanville démarre en faisant son âge », résume l’expert. « C’était une réponse à Tchernobyl. Dans sa conception, il reste daté même s’il a pu s’adapter à des évolutions technologiques. Aujourd’hui, tous les acteurs ne parlent que de petits réacteurs. Les réacteurs de la taille de l’EPR, par leurs poids, leurs difficultés à construire, ne sont plus dans l’air du temps. »

La France, elle, n’a pas tourné la page. Au contraire, elle ouvre un nouveau chapitre : Emmanuel Macron a lancé la construction de six EPR2 dont les livraisons sont prévues entre 2035 et 2044.

Dépassé par le vent et le soleil ?

« Avec l’EPR de Flamanville, la filière nucléaire française s’est enfermée dans une option, constate Yves Marignac. Et depuis les annonces du président de la République, on sent une sorte de griserie. Or, attention à ce que l’option ne soit pas dépassée avant même d’être déployée. Car pendant ce temps, les autres pays ne sont pas restés les bras croisés. »

L’an passé, l’addition de l’éolien et du photovoltaïque a devancé le nucléaire en production au niveau mondial. En termes de coûts de fabrication comme de déchets à gérer pour les générations à venir, il n’y a pas photo. Et sur le plan de la sûreté non plus.

Avec la série de malfaçons qu’a rencontrée l’EPR de Flamanville, doit-on d’ailleurs s’inquiéter sachant qu’on en prend pour soixante ans ? 

« Sur le papier,  c’est le plus sûr »

« Non, car il a été construit avec des énormes normes de sûreté beaucoup plus importantes que le reste du parc nucléaire, avance Emmanuelle Galichet, enseignante en physique nucléaire au Conservation national des arts et métiers. La commande de l’État était non seulement de diminuer sensiblement la probabilité d’accident mais aussi de faire que l’accident, s’il survient, reste confiné à la centrale, et qu’on n’ait pas à évacuer les populations alentour. »

« Personne ne peut écarter le risque que des malfaçons n’aient pas été détectées. Même si la construction a fait l’objet de beaucoup de surveillance, elle est restée une surveillance par sondage, précise Yves Marignac. Je dirais que Flamanville est porteur d’un paradoxe. C‘est le plus gros réacteur du monde. Il réunit une quantité d’énergie qui, dans l’hypothèse d’un accident, va relâcher plus de radioactivité qu’un petit réacteur, ce qui représente un danger supplémentaire. En revanche, sa conception vise à contenir les conséquences d’un accident à l’intérieur du site, même en cas de fusion du cœur. Sur le papier, c’est donc le plus sûr. Mais l’histoire du nucléaire nous montre que le risque zéro n’existe pas. »

Dans l’étude la plus récente, réalisée en décembre par BVA, le nucléaire est perçu comme un atout pour la France par 57 % des Français. C’est 7 points de plus qu’il y a deux ans et 10 de plus qu’en 2019.

Nathalie Van Praagh

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