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"Forme de déviance collective", expression d'une "colère", quête de "valorisation" : ce que nous disent les rodéos urbains

Directeur de recherche au CNRS et chercheur au Cesdip (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales), Fabien Jobard a décortiqué le phénomène des rodéos. Une pratique qui, contrairement à ce que suggèrent certains clichés tenaces, n’est ni typiquement française, ni nouvelle.

Dans un article intitulé « Considérations sociologiques sur les rodéos urbains » (Lexbase Pénal, 2023), l’expert présente l’utilisation « sauvage » de véhicules à deux ou quatre roues comme « une forme ancienne de déviance collective » en milieu urbain, traduction selon lui de « l’oisiveté contrainte dans laquelle plongent doucement, dès le milieu des années 70, les jeunes des grands ensembles ».

Les premières images marquantes surgissent en 1981, tout près de Lyon. Cet été-là, le quartier des Minguettes, à Vénissieux, est secoué par des violences urbaines. Certains émeutiers défient alors les forces de l’ordre dans des rodéos menés au volant de voitures de luxe préalablement dérobées dans le centre de la capitale rhodanienne, et finalement incendiées. Alors que la France vient de basculer à gauche – François Mitterrand a remporté l’élection présidentielle quelques semaines plus tôt –, ces incidents sont perçus comme l’expression d’une « colère politique ».

"Opportunités de valorisation"

Les pouvoirs publics prennent donc un éventail de mesures destinées à « occuper les jeunes » : l’été suivant, plusieurs milliers d’entre eux sont ainsi envoyés dans des centres aérés ou des camps de vacances aux frais de l’État. En matière de politique de la Ville, c’est également à cette époque qu’est relancé le concept de « développement social des quartiers », avec l’objectif, rappelle Fabien Jobard, « d’améliorer le cadre de vie » dans des secteurs où le sentiment d’abandon explose.

Au fil des ans, les rodéos ne sont plus systématiquement attachés à des séquences localisées de tension et commencent en quelque sorte à avoir une existence autonome. Ils sont désormais « investis pour eux-mêmes, offrant à ceux qui s’y livrent des opportunités de valorisation de leurs aptitudes au maniement des deux-roues – les voitures sont désormais marginales –, dans des joutes que favorise le développement des réseaux sociaux », écrit le chercheur.

Les adeptes français se rapprochent alors des pratiques déjà observées depuis plusieurs décennies aux États-Unis, pays en quelque sorte pionnier en la matière dès les années 50, et plus récemment en Allemagne.

Des drames en série

On ne compte plus les accidents provoqués par ces prises de risques en série. Derniers exemples en date, parmi d’autres : le 29 août, à Nanterre, une femme assise sur un banc est grièvement blessée après avoir été percutée par une moto dont le pilote, qui circulait sur la roue arrière, a perdu le contrôle ; le même jour, à Vallauris (Alpes-Maritimes), un jeune motard qui effectuait lui aussi un “wheeling” renverse Kamilya, 7 ans, sur un passage piéton, causant des blessures auxquelles la fillette n’a pas survécu.

Fabien Jobard pointe également les difficultés que pose, pour les forces de l’ordre, l’interception des conducteurs. Plusieurs tentatives passées se sont conclues là encore par des fins tragiques, conséquence le plus souvent d’une collision entre un véhicule de police et celui conduit par un jeune surpris en flagrant délit.

Les rodéos urbains, résume le sociologue, sont donc « une activité éminemment ambivalente ». Tout à la fois facteurs de « gêne et danger considérables pour les habitants des zones urbains, par ailleurs parmi les moins favorisés », et « mode recherché de reconstruction de l’estime de soi et de fabrication d’une identité sociale positive » pour les « jeunesses masculines locales ». 

Stéphane Barnoin

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