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Burn-out, bipolarité, troubles de l'attention... : que se passe-t-il dans la tête des Français ?

C'est le fruit de quarante années d’exercice de la psychiatrie : à l’hôpital, en médecine de ville, à l’université… Dans un livre limpide, Que s’est-il passé dans la tête des Français ?, le Dr Sylvie Wieviorka fait le récit, en creux, d’une société de plus en plus mal dans sa peau.

Vous dites qu’en 2024, on attend beaucoup trop des individus. Effectivement, il faut être bon élève, motivé au travail, vieillir en bonne santé, et même mourir dans la dignité. Alors que les injonctions à « réussir sa vie » se multiplient, toute une série d’amortisseurs, sociétaux, sociaux, culturels, voire religieux, ont disparu. Chacun se retrouve plus ou moins seul face à ses difficultés et exposé à un flot d’événements plus anxiogènes les uns que les autres (épidémies, guerres, catastrophes naturelles…) auquel il est quasiment impossible d’échapper.

Nous sommes dans un état d’anxiété diffuse qui favorise la dépression, l’épuisement, la peur de ne pas y arriver.

Depuis 1984, en quoi les profils de vos patients ont-ils changé ? Il y a quarante ans, on n’imaginait pas recevoir des patients pour des problèmes de chemsex à la Pierre Palmade. La société s’inquiétait surtout du chômage, on se demandait ce qu’on avait mal fait quand on avait un enfant homosexuel.

Aujourd’hui, ce qui préoccupe les gens, ce sont les violences dans le couple, le burn-out… L’éducation des enfants est source aussi d’une inquiétude grandissante. Jadis, les gens se débrouillaient avec leurs gosses, on faisait du mieux qu’on pouvait. Aujourd’hui, c’est devenu un sujet d’angoisse et de demande d’aide qui n’existait pas auparavant.

Le trouble du déficit de l’attention, le fameux TDAH, est devenu le premier motif de prescription chez l’enfant. De quoi est-il le symptôme ? C’est le reflet du haut niveau d’exigence que l’on a vis-à-vis des enfants, surtout dans les classes aisées. Dans ces milieux, en particulier, il faut que votre enfant, en plus de l’école, apprenne le chinois, le violoncelle ou que sais-je encore. C’est le signe aussi que l’on pense pouvoir répondre avec la chimie, en l’occurrence la Ritaline® pour le TDAH, à des problèmes existentiels.

En effet, sur le moment, ça va vite, c’est efficace, ça calme le jeu. Et cela convient à beaucoup de parents, souvent pressés. Alors qu’il faudrait qu’ils prennent le temps de comprendre et de s’associer à la réflexion pour identifier les causes réelles et trouver des solutions au long cours.

Sur les mêmes maux, d’une génération à l’autre, on ne met pas les mêmes mots. Qu’est-ce que ça change ? Cela peut signifier plus d’ouverture d’esprit, une prise de conscience du rôle de la psyché sur le corps, l’organisme. Il y a quarante ans, on pensait que la spasmophilie était un simple déficit en calcium ou en magnésium. On évitait de considérer que c’était une incapacité à gérer l’angoisse, le stress.

Pour le burn-out, on parlait avant de surmenage. Mais être surmené, cela veut dire qu’on travaille trop. Le burn-out, c’est autre chose, on est dans un épuisement professionnel, mais dans un sens plus pathologique.

« Bipolarité », « pervers narcissique »… sont utilisés à tout bout de champ. On a tort de banaliser ? Quand j’étais en terminale, le prof de philo disait : « Plus un concept gagne en extension, plus il perd en pertinence. » Si vous mettez la perversité narcissique, la bipolarité ou le TDAH à toutes les sauces, ça ne veut plus rien dire et ça ne permet plus de distinguer les gens vraiment malades.

En parlant d’expression, le fameux « Il faut trois générations pour faire un fou » est-il juste ? Effectivement, sur toute une série de pathologies – l’autisme, la schizophrénie, la vraie bipolarité –, la composante génétique n’est guère discutable. L’apport de la science, ces dernières années, a permis de déculpabiliser les mères, en particulier, à qui il a été reproché mille choses.

Mais on n’est pas plus avancé sur le plan thérapeutique, car s’agissant du psychisme, la réponse est d’autant plus complexe qu’au moins 20 ou 30 gènes sont impliqués dans un trouble comme l’autisme. Ce qui explique qu’on observe autant de formes différentes d’un individu à l’autre.

Que recouvre ce terme de « santé mentale » qui est devenu l’affaire de tous ? Il y a une dizaine d’années, on a vu arriver en consultation des gens qui venaient pour des problèmes assez anodins : des parents qui n’arrivaient pas à se faire obéir, des femmes qui ne s’entendaient pas avec leur mari ou l’inverse…

Jusqu’à présent, on se débrouillait avec ça. Maintenant, les gens pensent que ce sont des problèmes psy. Ce type de demande explose et sature les cabinets des psychiatres et des psychologues dûment formés. C’est pour cela que je suis assez tolérante avec les coachs. Ils ont un vrai rôle à jouer dans ce qui relève du conseil, du petit coup de main qui n’a pas besoin de spécialistes. Mais faire le tri n’est jamais facile en médecine.

On a tendance aussi à voir des addictions partout : au travail, au jogging, au chocolat… C’est une mode ? Je me suis occupée pendant des années de personnes dépendantes à la drogue, à l’alcool. Et je suis assez attachée à ce qu’on garde ce terme pour des choses très précises : tabac, alcool, médicaments, stupéfiants, voire le jeu. Pour les écrans, c’est sans doute un fait de société. Mais il ne faut pas tout mélanger. On doit conserver des distinctions qui permettent de la finesse dans les stratégies thérapeutiques.

Finalement, quand doit-on consulter un psy ? Quand on souffre de symptômes type angoisse, troubles du sommeil, de l’alimentation, délire, etc., dont on n’arrive pas se débarrasser. Quand on ne s’en sort pas avec toute autre forme d’aide, quand l’entourage ne suffit pas, quand les amis non plus… En revanche, si vous enquiquinez votre entourage par votre comportement, mais que vous-même vous ne vous en portez pas trop mal, vous n’allez pas consulter.

Un patient qui arrive et qui me dit : « Mon appartement est trop petit, il faut que j’en change », je lui conseille d’aller voir une agence immobilière. Mais si cette situation l’angoisse réellement, là, c’est de mon registre.

On table beaucoup sur les neurosciences pour faire avancer la psychiatrie. Qu’en pensez-vous ? Tout ne se réduit pas à des molécules, à des neurones et à des synapses. Le psychisme, ce n’est pas simplement le fonctionnement du cerveau, c’est la culture, c’est le corps, le rapport à l’autre, éventuellement la transcendance. Il faut que la recherche continue. Mais à ce stade, elle n’a pas changé la façon de soigner les troubles psychiatriques. Dans le cabinet du psy, on travaille grosso modo comme il y a vingt ou quarante ans. Et même au niveau des médicaments, il n’y a pas de progrès formidables.

Que s’est-il passé dans la tête des Français?? de Sylvie Wieviorka. Éditions Buchet-Chastel, 272 pages, 21,50 €. 

Propos recueillis par Nathalie Van Praagh

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