"Une absurdité" : Oxfam étrille les agrocarburants, "choix catastrophique" pour le climat et la sécurité alimentaire
Remplacer, au moins partiellement, notre bon vieux diesel par des combustibles issus de colza, de tournesol ou de canne à sucre?? Sur le papier, l’idée est séduisante. D’ailleurs, ça marche : boostée par des prix très inférieurs aux liquides d’origine fossile et la promesse d’une alternative « moins polluante », la consommation d’agrocarburants a bondi de 39 % en Europe entre 2013 et 2021. Autre traduction chiffrée : en France, le superéthanol-E85 a atteint en 2023 6,5 % du marché national des essences, grâce au quasi-doublement de la consommation en seulement deux ans.
Sauf qu’il y a un « mais ». Et même un gros « mais ». « Ce succès est basé sur une cascade de fausses croyances », affirme Quentin Ghesquière, chargé de campagne et de plaidoyer climat à Oxfam France. L’ONG a publié ce mercredi 12 septembre un rapport choc de 63 pages pointant – et démontrant – « l’absurdité » d’un « choix catastrophique » à la fois « pour la sécurité alimentaire, le climat et les droits humains ».
Sur le premier volet, la course effrénée à la production de biocarburants génère « un accaparement croissant de terres autrefois destinées à l’alimentation humaine ». Conséquence très concrète de cette concurrence croissante, selon Oxfam :
« En 2022, à l’échelle planétaire, les cultures consacrées à la production d’agrocarburants auraient pu répondre aux besoins énergétiques minimaux d’1,6 milliard de personnes. »
« Inacceptable », s’indignent les auteurs du rapport, alors que le monde est « en pleine crise alimentaire ».
Deuxième grief majeur : Oxfam soutient que « des violations de droits humains ont été recensées dans des plantations alimentant les marchés européens ». L’association s’appuie notamment sur des travaux qu’elle a elle-même menés au Pérou et au Brésil, dans des sites dédiés à la production d’éthanol à partir de canne à sucre. L’enquête a révélé des « atteintes graves » et multiples commises à l’encontre « des femmes, des enfants, des communautés autochtones, des travailleurs ».
Un bilan carbone très loin de la promesse de la filièreLes agrocarburants seraient-ils au moins bons pour l’environnement?? Même pas, assure Oxfam. « Les céréales qui servent à leur production occupent très souvent des espaces qui étaient jusque-là des puits de carbone, type prairies ou forêts, explique Quentin Ghesquière. Au lien d’absorber du CO2, ces terres basculent dans un système qui repose sur la monoculture, le recours intensif aux engrais et aux pesticides. »
Ces « changements indirects d’affectation des sols » plombent littéralement le bilan environnemental des agrocarburants. À lire le rapport d’Oxfam, le biodiesel a émis au final « 17 % de gaz à effet de serre en plus » que son équivalent fossile en 2022…
Un champ de colza.
« Un puissant lobby avide de profit »Toujours d’après l’ONG, ces « preuves éloquentes » des effets pervers des biocarburants pèsent peu face au « puissant lobby, avide de profit », qui défend et promeut la filière. Producteurs, négociants, transformateurs et fournisseurs de technologies auraient ainsi dépensé « entre 14,5 et 19,5 millions d’€ et engagé 399 lobbyistes pour influencer les politiques de l’UE en 2015 ».
« Le schéma est le même en France, illustre Quentin Ghesquière, où des champions comme TotalEnergies ou Sofiprotéol, dont le patron n’est autre qu’Arnaud Rousseau, le président de la puissante FNSEA, sont à l’œuvre… »
Au terme de l’étude, Oxfam dresse une liste de « recommandations ». Principale requête : que chaque État membre de l’UE « abandonne progressivement l’utilisation d’agrocarburants produits à partir de cultures vivrières et fourragères », pour atteindre « 0 % au plus tard en 2030 ».
Utopique?? « Non, répond Quentin Ghesquière. Cela laisse six ans pour mettre un terme à une option désastreuse. La Belgique a déjà pris unilatéralement des mesures fortes sur le sujet, preuve que les lignes peuvent bouger. » Chez nos voisins, le gouvernement a en effet annoncé en 2022 un coup de frein à l’utilisation des biocarburants, avec l’objectif de retomber à moins de 4,5 % de bioéthanol et moins de 2,5 % de biodiesel d’ici 2030.
Stéphane Barnoin