L’économie martienne ne pourra être que capitaliste et libérale
Si l’Homme s’installe sur Mars, je pense que ce sera par l’intermédiaire des Américains. Dans cette hypothèse, la colonie se construira logiquement avec des moyens capitalistes et le fonctionnement de son économie sera libéral. Je vous expose ci-dessous mes arguments.
La logique de la NASA depuis Barack Obama* a été de faire appel (appels d’offres) à toutes les compétences industrielles et managériales des États-Unis, et parfois de l’étranger. La NASA fixe un objectif (cahier des charges) et demande, à qui prétend l’atteindre, de soumettre une offre dont elle estimera selon des critères près-exposés, laquelle est la plus satisfaisante pour elle et ses finances (le meilleur prix).
Par ailleurs, il existe aux États-Unis plusieurs entrepreneurs qui ont réuni des compétences et qui disposent de moyens financiers tels qu’ils peuvent être, en toute indépendance, des partenaires de la NASA pour atteindre des objectifs communs (parce que, parfois mais pas toujours, ils ont déjà profité d’autre(s) contrat(s) avec la NASA). On peut citer évidemment Elon Musk (SpaceX) ou Jeff Bezos (Blue Origin) mais il ne faut pas ignorer à leurs côtés plusieurs fortunes privées qui s’intéressent à l’Espace, et plus particulièrement à l’installation de l’Homme sur Mars. Dans le public, l’intérêt est assez généralisé comme en témoigne notamment la notorieté de la Mars Society locale créée en 1998 par Robert Zubrin.
*Lire son National Space Policy Fact Sheet du 28 juin 2010, notamment : « In support of its critical domestic aerospace industry, the U.S. government will use commercial space products and services in fulfilling governmental needs, invest in new and advanced technologies and concepts, and use a broad array of partnerships with industry to promote innovation. »
Les conditions sont donc réunies pour que des capitaux privés se joignent aux capitaux publics pour se lancer dans l’aventure spatiale, et martienne en particulier. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que ce soit l’initiative privée qui lance la concrétisation du projet. Je l’avais suggéré dans mon article de blog du 14 novembre 2020 en évoquant la pertinence de la création d’une Compagnie d’Exploitation Martienne. Cette idée a été reprise (mais elle est naturelle dans un esprit américain) par Robert Zubrin, quand il a lancé son Mars Technology Institute (MTI) en octobre 2023.
Une telle Compagnie, comme l’est le MTI, serait une société anonyme par actions. Elle ferait appel au marché pour compléter l’investissement propre des initiateurs réunis dans une Mars Foundation, noyau de la société. Cette Fondation permettrait, par le sentiment de solidité qu’elle donnerait et le confort qu’elle procurerait, de lancer des émissions de capital qui pourraient être suivies par de nombreux particuliers de tout niveau de fortune. Je crois davantage à mon hypothèse Compagnie qu’à celle de Robert Zubrin, car je pense que cet élément de confort est indispensable, puisque la Fondation disposerait immédiatement des fonds nécessaires pour concrétiser au moins le début du projet. C’est ce qui manque (pour le moment) au MTI de Robert Zubrin pour le rendre crédible (mais je ne veux pas déprécier l’initiative que je trouve courageuse).
Le fait que l’essentiel serait privé n’empêcherait pas l’État fédéral d’apporter sa contribution, via la NASA, comme on l’a vu à multiples reprises aux États-Unis pour diverses missions spatiales. Cette place de second pour l’État (moins en vue qu’une position de leader), serait d’autant plus probable que les dépenses spatiales publiques sont de plus en plus critiquées (bien qu’elles ne représentent que 0,5 % des dépenses publiques fédérales), d’autant plus quand elles ne concernent pas la recherche scientifique par vols robotiques ou l’Espace pour la Terre.
Vous pourrez objecter que les capitalistes investissent pour obtenir un retour sur investissement et que, dans ce cas, la rentabilité semble pour le moins éloignée.
En effet, elle le sera. Il faudra d’abord beaucoup dépenser (une cinquantaine de milliards ou davantage sur une vingtaine d’années) et attendre (peut-être trente années après le début des travaux sur place) avant de pouvoir obtenir un compte d’exploitation positif. Mais la force du capitalisme est qu’il permet de jouer sur l’avenir avec la spéculation. Il estime la valeur de l’investissement pour ce qu’il pourra produire plus tard, en dividendes certes mais, sans attendre, tout simplement en valeur future estimée. Ainsi, dès la souscription des actions, il y aura des échanges fondés sur cette valeur future, échanges matérialisés par des ventes de titres par ceux qui n’y croient pas ou qui sont déjà satisfaits par une petite montée du cours, bien avant que le moindre dollar de revenu soit produit par l’utilisation du capital. C’est comme cela que fonctionne tout grand projet (dont celui du tunnel sous la Manche que j’ai suivi quand j’étais analyste des risques dans ma banque qui en était chef de file).
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In fine, il faudra évidemment que l’investissement produise un profit. Et ce serait la même chose s’il était fait uniquement sur fonds publics, car, de toute façon, il ne faut pas rêver, un tel investissement, quelle que soit sa nature, qui n’atteindrait pas la rentabilité serait condamné à terme plus ou moins court.
En effet, l’esprit des Hommes est ainsi fait qu’ils travaillent d’abord (sinon exclusivement) pour leur intérêt propre. Selon mon propre dicton, « les philanthropes meurent, les gouvernements passent, seul l’intérêt particulier survit ». Donc les investissements effectués pour établir une colonie sur Mars (vaisseaux spatiaux, astroports, habitats viabilisés, production alimentaire, importations diverses depuis la Terre et en particulier réacteurs nucléaires, paiement des Hommes qui construisent, qui font fonctionner et qui exploitent) devront être un jour pas trop lointain, source de profits pour ceux qui les auront effectués ou les détenteurs de leur titre d’actif.
Il faudra donc qu’une demande s’exprime pour l’offre de biens et services martiens qui seront mis sur le marché (c’est la demande qui va générer la rentabilité et le profit).
La première chose que la Compagnie pourra offrir, donc vendre, et qui sera susceptible d’une demande, sera le transport des biens et des personnes et ensuite, surtout, la possibilité de vivre sur Mars dans des conditions acceptables pendant au moins la durée d’un cycle synodique. En effet, personne ne décidera d’aller sur Mars sans estimer (avec un pourcentage acceptable de risque) pouvoir être protégé suffisamment contre les radiations, les micro-astéroïdes, les très basses températures, mais aussi d’y disposer d’une pression acceptable dans des locaux confortables, de pouvoir y respirer, se nourrir, y dormir, et de pouvoir se déplacer en surface s’il le souhaite.
Tout cela aura un prix et devra être payé (comptant ou à crédit), non seulement pour couvrir les coûts de la Compagnie mais aussi (encore une fois) pour générer un profit (la rémunération des investisseurs qui auront pris le risque de perdre leur argent). Il faudra y parvenir sinon, au bout d’un moment il n’y aura plus d’argent et on devra fermer boutique, c’est-à-dire la Colonie. Au début, le coût sera très élevé car il y aura peu de facilités à offrir sur place et donc peu de voyageurs. Du fait de ces deux facteurs, les prix devraient être très élevés. Mais dans tout grand projet, on passe la période de lancement en vendant à perte. C’est le seul moyen de développer le marché, c’est-à-dire le nombre de personnes susceptibles de payer les services offerts (tout en tenant compte des habitats viabilisés disponibles), ce nombre permettant les économies d’échelle. Au-dessus de 20 millions de dollars il n’y aurait pas plus de candidats au voyage que pour aller dans l’ISS. À partir de deux millions de dollars, il y en aura beaucoup plus (et espérons-le suffisamment).
On peut envisager des forfaits, mais compte tenu des divergences de consommation sur une période aussi longue, on recourra plutôt à des paiements en fonction des consommations. Tout échange sera monétarisé et se paiera. Les choix ayant des conséquences financières, cela évitera de faire n’importe quoi. Pendant le voyage on ne va pas faire payer le whisky du voisin à quelqu’un qui ne boit pas. Pendant le séjour, on ne va pas faire payer le même prix à quelqu’un qui se déplace en rover pressurisé toute la journée et à celui qui reste derrière son écran d’ordinateur.
Toutes sortes de personnes seront intéressées, depuis le géologue qui termine son doctorat ou qui l’ayant passé, a engagé des recherches sur l’évolution de l’inerte au vivant, jusqu’au cinéaste qui veut tourner un film dans un cadre martien véritable, en passant par le médecin passionné par les effets d’une pesanteur réduite ou par un système de protection contre les radiations.
Ce seront aussi des inventeurs qui auront une idée et qui penseront que Mars serait idéale pour développer sa « proof of concept », compte tenu de ses conditions environnementales ou même intellectuelles, car la Colonie concentrera dans un espace limité un nombre énorme de compétences. Certains payeront eux-mêmes leurs frais ; d’autres trouveront un financement dans une université, un organisme de recherche ou une firme pharmaceutique. Une vraie difficulté sera la durée puisqu’une personne partant pour Mars sera absente 30 mois de la Terre (deux voyages de six mois et un séjour de 18 mois sur Mars).
Des entreprises voudront aussi envoyer des Hommes. Ce seront des sociétés de construction qui voudront tester un nouveau verre résistant aux différences de températures, de radiations ou aux chocs (micrométéorites).
Ce seront des sociétés spécialisées dans le recyclage, à la recherche de la boucle 100 % et qui seront sur Mars dans des conditions idéales, aussi bien pour leur étude que pour la vente du résultat puisque la recherche de la perfection dans ce domaine sera un des objectifs fondamentaux de la Compagnie.
Ce seront des banquiers de la Banque de l’Espace ou de la Banque Martienne de Développement qui conseilleront les résidents dans leurs placements, qui avanceront des fonds pour les investissements, après avoir estimé, en étant sur place, la probabilité du remboursement.
Ce seront des assureurs de la Cie Martienne d’Assurances qui seront là pour rassurer le banquier et couvrir toutes sortes de risques en connaissance de cause.
Enfin, ce seront des retraités, qui auront besoin d’une nouvelle vie dans un environnement paisible et intellectuellement stimulant, bénéficiant d’une gravité tout à fait confortable.
On pourra faire beaucoup sur Mars, et la Compagnie vous y encouragera car vous serez ses clients et parce que toute bonne idée que vous apporterez sera la bienvenue.
Les seules limites seront la disponibilité de l’énergie (on ne pourra entreprendre un projet qu’autant que l’énergie disponible le permettra, dans l’absolu et par rapport aux autres utilisations possibles) et la sécurité. Dans cet esprit, les activités dangereuses pour la sécurité des autres résidents seront strictement interdites. Par ailleurs, le nombre de paying guests devra respecter le besoin et la possibilité pour la Compagnie de loger et de faire vivre tout le staff nécessaire au fonctionnement de la Colonie.
La Compagnie, la Banque, la Cie d’assurance seront présentes aussi bien sur la Terre que sur Mars.
En effet, il faudra que la Compagnie fasse la promotion de la Colonie, filtre les candidats au voyage. Il faudra que la Banque puisse accorder des financements aux personnes ou au projets les plus réalistes et les plus intéressants, puisse constituer des pools de financement pour les projets les plus lourds, en apportant à ses partenaires des arguments sérieux fondés sur sa connaissance particulière du milieu martien. La Cie d’assurance de même pourra se couvrir avec les mêmes arguments auprès de ses consœurs (pool) et des établissements de réassurance.
Bien sûr avec le temps… et les enfants, la société évoluera. Certains seront auront des capacités intellectuelles limitées et on ne va pas les éliminer, car l’humanité c’est aussi la compassion. Mais la Société se devra d’être juste mais sévère. Les citoyens qui troubleront l’harmonie et l’efficacité, alors qu’ils pourraient travailler et contribuer au bien commun, seront renvoyés sur Terre ou devront aller voir ailleurs. Les paresseux et les parasites ne seront pas aidés. Le chômage n’existera que très transitoirement, le temps nécessaire pour retrouver une activité qui fera l’objet d’une demande solvable.
Et petit à petit, la Colonie prendra de l’importance, renforcera son autonomie et Mars deviendra une autre Terre, la fameuse Planète B.
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