Pourquoi le nom de l'Abbé Pierre va, peu à peu, disparaître de l'espace public
Trois nouvelles. La Fondation Abbé Pierre va changer de nom. La mention « fondateur Abbé Pierre » sera retirée du logo d’Emmaus France. Et le lieu de mémoire dédiée à l’Abbé Pierre à Esteville (Seine-Maritime) restera définitivement fermé.
Dans leur dernier communiqué de presse, Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre tirent les conséquences des révélations qui s’accumulent contre l’Abbé Pierre, accusé d’avoir agressé sexuellement de nombreuses femmes depuis les années 1950 et jusque dans les années 2000. « Notre Mouvement sait ce qu’il doit à l’abbé Pierre. Il a inspiré nos organisations et les a incarnées durant de nombreuses années […], écrivent les associations. Nous sommes désormais confrontés à la douleur insupportable qu’il a fait subir. Nos décisions sont donc impératives, d’abord par respect pour les victimes qui ont pris la parole, mais aussi pour les bénévoles, les salariés, les compagnes et les compagnons du Mouvement… »
DistanciationDans un article Comment la Fondation Abbé Pierre et Emmaüs peuvent surmonter l’héritage encombrant de l’abbé Pierre publié dans la revue The Conversation, les universitaires Hélène Gorge, Nil Özçaglar-Toulouse, Ludovic Cailluet analysent la stratégie de communication d’Emmaüs et de la fondation Abbé Pierre. « Ils se distancient de la figure tutélaire de l’abbé Pierre qui devient trop encombrante, mais cela revient à se séparer d’une ressource historique et symbolique très importante », résume Hélène Gorge, maître de conférence en gestion à l’université de Lille qui, pour ses travaux de recherche, avait analysé les archives de l’organisation conservées à Roubaix (Nord).
« Nous avions déjà noté que l’organisation ou certaines de ses parties prenantes avaient essayé à plusieurs reprises depuis les années 1950 de prendre de la distance avec la ressource historique que constituait l’abbé Pierre. Si nous n’avions pas identifié les affaires d’agressions sexuelles évoquées dans le rapport du groupe Egaé, plusieurs sources indiquaient cependant que l’abbé Pierre n’avait pas nécessairement respecté les vœux de chasteté liés à son statut d’ecclésiastique dès les années 1950 », relatent les trois auteurs. Hélène Gorge note, en outre, que, dans les années 1990, « une distanciation avait déjà eu lieu quand l’abbé Pierre s’était associé au révisionniste Roger Garaudy ».
Stratégie de communication de crise adaptéePour Florian Silnicki, expert en communication de crise et président de l’agence LaFrenchCom, Emmaüs joue ni plus ni moins que sa survie dans cette crise. « On peut observer que les associations ont tenté de prendre la tempête à bras-le-corps. Dès qu’elles ont commencé à être sollicités par un certain nombre de journalistes, elles se sont mises immédiatement à communiquer en mettant en scène une transparence dans la révélation de ces faits. »
Cette stratégie, selon l’expert, est essentielle pour préserver la crédibilité et l’image publique de ces structures, qui reposaient en grande partie sur la figure de l’abbé Pierre. « Il faut observer qu’elles n’ont pas été dans le déni, qu’elles n’ont pas tenté de discréditer la parole des victimes », ajoutant qu’une telle transparence était cruciale pour ne pas perdre la confiance des donateurs, bénévoles et partenaires. « Le silence aurait été la pire des attitudes ».
Des rues débaptiséesVéronique Reille-Soult, présidente de Backbone Consulting et spécialiste de l’analyse de l’opinion, salue la qualité de la communication de crise mise en place. « Ils ont réagi vite, ils ont assumé, ils n’ont pas essayé de se justifier, ils sont dans la transparence et le partage des informations. » Selon l’experte, le nom de l’Abbé Pierre va disparaître de l’espace public. « C’est nécessaire et irrémédiable. La Fondation change de nom parce que ce dernier est désormais entaché d’une réalité qui ne correspond absolument pas aux valeurs pour lesquelles il avait été donné. Il n’était donc pas possible de garder celui-ci. Il disparaîtra en soi puisqu'il va finir par être associé à des choses qui ne sont pas les valeurs de cette fondation. »
Le nom de l’abbé Pierre commence d’ailleurs à quitter l’espace public. Plusieurs communes disent vouloir débaptiser des rues, jardins ou écoles portant le nom du célèbre prêtre. Ainsi, à Alfortville (Val-de-Marne), où le religieux a fini sa vie, la majorité municipale a décidé de débaptiser un square et lui donner, à la place, le nom de la chanteuse Joséphine Baker.
Nicolas Faucon