À Rochechouart, Nicolas Euvrard a trouvé la bonne formule en ouvrant L’Estaminet du Château
« Z’avez pas aimé ? Pourtant la porcelaine est bien rayée ! », lance avec beaucoup d’esprit et de gouaille Nicolas Euvrard au moment de desservir ce client qui, effectivement, n’avait pas laissé sa part aux chiens.
Cette scène dit beaucoup de choses de ce restaurant du centre-ville de Rochechouart. En effet, la réplique donne le ton : l’esprit des lieux est convivial, le service se veut efficace et complice, et la nourriture ô combien ragoûtante. Bienvenue à L’Estaminet du Château.
Ambiance et décoration au topOriginal, le nom résonne comme un oxymore tant le terme « estaminet » empreint de la culture populaire ch’timi semble aux antipodes de la dimension noble et bourgeoise d’un château. Et c’est vrai que Nicolas joue avec cette dualité et la place au cœur de sa noble ambition : imprimer un esprit populaire au lieu tout en célébrant une cuisine bistronomique et exigeante réalisée à partir d’ingrédients frais et produits dans un rayon de 50 km.
Sur le papier, le concept est séduisant. Et si la devanture dudit estaminet ne paie pas de mine, à peine franchi le seuil, on est conquis par la décoration à la fois juste et décalée, sobre et intime, moderne et nostalgique à l’image de ces murs aux couleurs orange et bleu cobalt qui tranchent avec ces chaises tout droit sorties d’une salle à manger sépia d’une grande tante. Ambiance ni trop bobo, ni trop vieillot. Juste comme il faut.
Et puis, impossible de le rater quand on entre dans la salle. Lui, c’est ce bar artisanal réalisé sur mesure derrière lequel Nicolas prépare des cocktails, tire des bières, remplit des verres. Il faut dire que l’univers du bar, il connaît par cœur. En effet, ce Lotois d’origine a construit une belle carrière dans l’univers du bar et de la nuit, un monde parfois interlope fait de convivialité, d’humanité et de rencontres.
Ancien directeur de brasseries de nuit à Pigalle, Nicolas a également travaillé dans des bars et pubs londoniens, expérience dont il garde une tendresse particulière pour l’Angleterre. « Ici, j’aimerais rendre hommage à la richesse des terroirs et des traditions françaises tout en m’inspirant de l’art du service, de l’atmosphère et de l’âme chic et détendue que l’on retrouve dans les établissements britanniques », explique-t-il.
La magie d’une rencontreDevenu papa de trois enfants, Nicolas se lasse du rythme de travail, des horaires sans fond et du quotidien épuisant de la vie parisienne. En 2019, il franchit le cap. La mise au vert ne relève plus du fantasme et voilà qu’il s’installe avec sa petite famille, à Rochechouart.
Mais très vite, il est rattrapé par le métier, d’autant qu’il constate que dans le secteur, l’offre de restauration est plutôt restreinte. Difficile de trouver une table qui proposerait de belles assiettes à partir de bons produits locaux et à des prix raisonnables. Qu’à cela ne tienne ! Nicolas est prêt pour se lancer dans l’aventure, d’autant qu’il a repéré dans le centre de Rochechouart le local d’une ancienne pizzeria restée dans son jus, mais dotée d’un sacré potentiel.
Nicolas carbure à l’intuition et se lance dans ce projet. À la recherche d’un cuisinier, il croise la route d’Erick de Ganck, un Belge au pedigree éloquent. « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres », disait Paul Eluard. Le feeling opère. Un vrai coup de cœur professionnel entre ces deux passionnés désormais unis par un défi commun : proposer un menu complet à 27 euros ! Sur la carte, le choix est réduit : trois entrées, trois plats, trois desserts, qui changent toutes les trois semaines.
Le 5 décembre 2023, L’Estaminet du Château accueillait ses premiers clients.
Travail et talentLe jour de notre visite, bercé par les riffs d’un vieux bluesman, nous nous attaquons à une croquette de volaille à l’instar de l’Asie. Nous sommes bluffés par cette entrée, à la fois savoureuse et légère. Et quelle justesse dans l’équilibre des saveurs : les notes asiatiques ne masquent en rien le goût de chaque ingrédient. On sait que le travail est là, le talent aussi.
Sans partir dans des délires créatifs, la cuisine d’Erick reste simple, mais jamais ennuyeuse, à l’image de ce jambonneau de la ferme des Monts Verts avec sa gelée de groseille et sa moutarde à l’ancienne. Le jambonneau, voilà un produit galvaudé tant nous avons en tête l’image de ce petit jarret rose emmailloté dans un plastique. L’assiette est belle, généreuse, et le jambonneau nappé d’une onctueuse sauce à la moutarde se veut incroyablement tendre et fondant en bouche.
Un plat joliment accompagné par un vin du Pays d’Oc de la famille Laplace, un 100 % tannât aux arômes charmeurs de fruits rouges. Il est vrai que Nicolas prend un soin particulier à bâtir une carte des vins sans faute de goût à partir de vins et de cuvées de qualité.
Et pour sceller cette belle prestation, nous goûtons le dessert signature de la maison : la crème brûlée à la Chartreuse verte tout en fraîcheur et subtilité qui vient ponctuer ce repas sans fausse note où, bien plus qu’un simple déjeuner, nous avons partagé une tranche de vie. Un moment de paix et de plaisir.
On laissera à Lara, la pétillante serveuse, le mot de la fin « Nicolas et Erick ? Ils ont de l’or dans les mains et du savoir plein la tête. » On pourrait y ajouter le respect du client et la passion du métier chevillés au cœur.
Le fromage : Saint-Anja
Rochechouart renoue avec une certaine dynamique et Vincent Debord participe à cet élan commerçant avec ses deux établissements baptisés Dans l’même panier reposant sur deux concepts.
La version casse-croûte prend la forme d’une guinguette où l’on peut boire et manger dans le cadre bucolique du pont gothique. En ville, face à l’église, Dans l’même panier s’offre une version gourmande sous forme d’une épicerie fine.
C’est dans la vaste vitrine dédiée aux fromages que nous avons fait la rencontre avec le Saint-Anja, un fromage local de vache au lait cru. Inspiré de la recette du saint-nectaire, ce fromage à la croûte cendrée est confectionné par le Gaec Maris, installé à Ladignac-le-Long. Il possède une pâte couleur ivoire constellée de petites marbrures. En bouche, la texture se fait riche, douce et fondante, et ce fromage révèle toute sa personnalité et sa typicité. Une belle découverte.
Fabrice Varieras