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« Lettre ouverte au FMI et à l’Etat du Sénégal », Par Cheikh Sène, Economiste-Enseignant ILEA/UCAD

En tant que citoyen engagé et patriote intéressé par l'économie politique, il est crucial de situer les recommandations du FMI, dans un contexte plus vaste. Bien que l'analyse du FMI mette en lumière des défis importants auxquels le Sénégal est confronté, certaines des propositions et solutions qu'il avance, méritent une réflexion critique, notamment en ce qui concerne leur impact potentiel à long terme sur la société sénégalaise. Il est essentiel d'examiner comment ces recommandations pourraient influencer non seulement l'économie à court terme, mais aussi le bien-être social, l'équité et le développement durable du pays. En adoptant une approche plus nuancée, nous pourrons mieux évaluer les implications de ces recommandations et proposer des solutions qui soient en harmonie avec les besoins et les aspirations de la population sénégalaise.

Rationalisation des exonérations fiscales : Un coup dur pour le secteur informel et les PME

La rationalisation des exonérations fiscales peut être interprétée comme une nécessité pour accroître les recettes de l’État. Toutefois, il est important de reconnaître que dans un pays en développement comme le Sénégal, ces exonérations jouent souvent un rôle clé dans le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) et au secteur informel, qui représentent une grande partie de l’économie et de l’emploi.

Cependant, la suppression de ces exonérations risque de rendre le climat des affaires plus difficile pour les petites entreprises, ce qui pourrait mener à des licenciements et à une contraction de l’activité économique. Plutôt que de cibler aveuglément les exonérations, il serait plus judicieux de mettre en place un système fiscal progressif et de renforcer l’efficacité de la collecte des impôts, tout en soutenant les entreprises locales.

Suppression progressive des subventions énergétiques : Le coût social des mesures d’austérité

La recommandation du FMI de supprimer progressivement les subventions énergétiques non ciblées et coûteuses, repose sur le principe que ces subventions sont inefficientes et que leur suppression libérerait des ressources pour d’autres dépenses prioritaires. Cependant, cette approche omet souvent les conséquences sociales immédiates de telles mesures. L’énergie est un besoin fondamental, et sa cherté affecte directement le coût de la vie pour les ménages, en particulier les plus vulnérables.

La suppression des subventions énergétiques sans un filet de sécurité adéquat, peut entraîner une hausse des prix de l’électricité et des carburants, impactant négativement les ménages et augmentant les coûts de production pour les entreprises. Plutôt que de supprimer brutalement les subventions, il serait plus efficace de les cibler pour protéger les ménages les plus vulnérables, tout en encourageant les investissements dans les énergies renouvelables, pour réduire les coûts à long terme.

Dépendance aux prêts du FMI et cercle vicieux de l’endettement

Le FMI fournit des prêts conditionnés à des réformes structurelles qui visent généralement la stabilité macroéconomique. Cependant, la dépendance à ces prêts peut piéger les pays dans un cycle de dette. Les conditions exigées par le FMI, comme le maintien du déficit budgétaire en dessous d’un certain seuil, peuvent forcer les gouvernements à réduire les dépenses publiques, même lorsque ces dépenses sont essentielles pour le développement à long terme.

Au Sénégal, les emprunts externes, combinés aux exigences du FMI pour réduire le déficit, pourraient limiter la capacité du pays à investir dans des infrastructures et des services publics cruciaux, tels que l’éducation, la santé et le développement rural. Les priorités de développement doivent inclure une stratégie de financement durable, qui ne repose pas uniquement sur des prêts externes coûteux, mais aussi sur la mobilisation des ressources internes et le renforcement des partenariats régionaux.

Mise en œuvre de réformes structurelles : Nécessité d’une approche graduelle et inclusive

Les réformes structurelles prônées par le FMI, telles que la révision de la tarification des produits pétroliers et l’amélioration de la viabilité financière de la SENELEC, sont nécessaires pour la stabilité économique à long terme. Cependant, ces réformes doivent être abordées de manière graduelle et en tenant compte des réalités socio-économiques locales.

Une réforme trop rapide peut entraîner des perturbations économiques et sociales, en particulier si elle n’est pas accompagnée de mesures d’accompagnement pour les plus vulnérables. Par exemple, la restructuration du secteur de l’électricité et la révision des tarifs, doivent être conçues de manière à protéger les ménages pauvres, tout en évitant une hausse brutale des coûts pour les consommateurs. Le tarif social pour l’électricité proposé est un pas dans la bonne direction, mais il doit être suffisamment robuste pour atténuer les impacts négatifs sur les populations à faible revenu.

La nécessité d’un accompagnement plus flexible et adapté aux besoins des pays en développement

Le FMI insiste souvent sur des cibles budgétaires rigides, comme le déficit de 3 % du PIB imposé par l’UEMOA, sans toujours tenir compte des contextes nationaux spécifiques. Pour un pays en développement comme le Sénégal, des objectifs budgétaires trop contraignants peuvent entraver les efforts de développement économique et social. Au lieu d’imposer des réductions budgétaires abruptes, un accompagnement plus flexible de la part du FMI, qui permette des investissements stratégiques dans des secteurs clés tels que l’éducation, la santé, et l’agriculture, serait plus bénéfique. Les réformes structurelles devraient être adaptées pour équilibrer la stabilité macroéconomique avec les objectifs de développement durable, en laissant une marge de manœuvre suffisante aux autorités nationales.

Alternatives préconisées

• Renforcement de la coopération régionale et des mécanismes de solidarité : Les pays de l’UEMOA et d’autres régions africaines pourraient renforcer leur coopération, pour développer des mécanismes de solidarité financière, permettant de soutenir les membres en difficulté sans imposer des conditions trop rigides.

• Stratégies de mobilisation des ressources domestiques : Plutôt que de se concentrer uniquement sur la réduction des dépenses, il serait plus efficace d’améliorer la mobilisation des ressources domestiques. Cela inclut l’élargissement de la base fiscale, la lutte contre l’évasion fiscale et l’amélioration de l’efficacité de l’administration fiscale.

• Soutien à la croissance inclusive : Les réformes structurelles et les politiques de réduction du déficit, devraient être accompagnées de programmes visant à stimuler la croissance inclusive, en investissant dans les infrastructures, l’éducation, et la formation professionnelle, afin de créer un environnement économique propice à la création d’emplois et à l’amélioration du niveau de vie.

Bien que les recommandations du FMI puissent contribuer à la stabilité macroéconomique, elles doivent être adaptées aux réalités socio-économiques des pays en développement comme le Sénégal. Une approche plus flexible et centrée sur le développement inclusif est essentielle pour éviter des conséquences sociales négatives et pour garantir une trajectoire de croissance durable.





Cheikh SENE,
Économiste - Enseignant
ILEA/UCAD
Email : csene997@gmail.com

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