La résurrection d’un pionnier du jazz, Jelly Roll Morton
En des temps point si lointains, les ondes de France-Musique servaient de véhicule à la voix d’Alain Gerber. Une voix à la fois chaleureuse et distanciée. Un ton mi-sérieux, mi-badin, parfois teinté d’ironie. L’émission quotidienne de cet éminent spécialiste mobilisait, en fin d’après-midi, des milliers d’auditeurs assidus, fidèles, passionnés. Avides de suivre les péripéties d’une manière de feuilleton que venaient illustrer des morceaux musicaux soigneusement choisis. Une façon hautement originale de découvrir le jazz à travers les musiciens phares de son histoire. Ou, pour les amateurs chevronnés, d’approfondir la connaissance de celle-ci grâce à des témoignages et anecdotes.
Le titre de cette émission devenue culte était révélateur: Le jazz est un roman. Autrement dit, rien de commun avec un cours ex cathedra ou un docte exposé de musicologie. À l’inverse, un mélange étonnant, et détonnant, où la psychologie, la fantaisie, l’imagination, l’humour faisaient bon ménage avec les données historiques avérées et l’analyse savante.
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Ce que l’on pourrait nommer « la patte Gerber » se retrouve aussi dans ses écrits, romans, nouvelles et essais. Un art unique de donner vie à ses personnages sans qu’il soit possible de tracer une ligne de démarcation nette entre réalité et fiction. Les deux sont, en effet, étroitement imbriquées.
Dans l’athanor de l’alchimiste
C’est le cas de ce roman inclassable inspiré par un célèbre musicien, Jelly Roll Morton, pseudonyme de Ferdinand Joseph Lamothe (et non LaMenthe, comme on l’a longtemps cru), musicien créole né en 1890 à La Nouvelle-Orléans, mort en 1941 à Los Angeles. Étrange personnage que ce pianiste, chanteur et chef d’orchestre. Un modèle d’hybris qui se prétendait « inventeur du jazz, créateur du stomp et du swing », formule qu’il avait fait graver sur ses cartes de visite. Il en fut, certes, l’un des pionniers dans les années 1920 et contribua, à la tête de ses Red Hot Peppers, à la renommée de sa ville natale, considérée comme le berceau du jazz. Sinon un inventeur, du moins un jalon non négligeable. Comme King Oliver, champion de l’improvisation collective, avant que Louis Armstrong ne consacre avec le génie que l’on sait l’émergence du soliste.
Un véritable héros de roman
Outre la valeur du musicien, son importance dans l’histoire du jazz est attestée par nombre d’enregistrements et aussi par la biographie que lui a consacrée Alan Lomax, Mister Jelly Roll, fruit de longs entretiens enregistrés pour la bibliothèque du Congrès.
En outre, nombre de légendes, de faits divers, de détails plus ou moins controuvés courent sur ce hâbleur haut en couleurs. Ces données, nul mieux qu’Alain Gerber n’en avait connaissance et elles ont, à n’en pas douter, largement inspiré son récit.
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L’auteur est, du reste, coutumier du fait, comme en témoigne, outre les émissions radiophoniques citées plus haut, Une année sabbatique, roman paru chez de Fallois et dont le héros est le saxophoniste Sonny Rollins. Dans Un Noël de Jelly Roll Morton, une fois encore, la magie du conteur opère. Sous sa plume, son héros prend corps et âme. Il séduit le lecteur dès les premières pages, l’entraîne dans un tourbillon – tout comme la voix du producteur de radio le menait sur les pas de Chet Baker ou de Jack Teagarden. La magie qui transportait naguère l’auditeur opère aussi sur le lecteur qui se trouve projeté dans l’univers de Ferdinand Lamothe. Lequel, à l’instar de ceux qui l’entourent, Alan ou Mabel, laquelle valait mieux qu’un cadeau de Noël de quelques dollars, revit dans ce récit. Ainsi la plume prend-elle le relais de la voix. Avec le même bonheur.
Alain Gerber, Un Noël de Jelly Roll Morton, Une aventure de l’inventeur autoproclamé du jazz Frémeaux & Associés, 132 pages
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