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Sensuel et élégant, “All We Imagine as Light” consacre Payal Kapadia en grande cinéaste

Après Toute une nuit sans savoir (2021), documentaire sur la révolte et l’amour qui nous avait déjà renversé·es par son ampleur politique et romanesque, All We Imagine as Light marque les premiers pas dans la fiction de la cinéaste indienne Payal Kapadia. Le dépaysement n’est toutefois pas total. La réalisatrice arpente à nouveau les rues encombrées de Mumbai et clame son attachement encore vigoureux à la forme documentaire.

Dès son prologue, le film scrute l’agitation de la ville et se retrouve perforé de différentes voix intérieures. Les pensées et les états d’âme de ses habitant·es se chevauchent, dessinant un portrait intime de la foule, soudain plus si anonyme que ça. En son milieu éclot Prabha (Kani Kusruti), une jeune infirmière. Concentrée, elle mène à l’hôpital une existence sans embûches. Anu (Divya Prabha), sa colocataire, est plus rebelle. Leurs deux vies en miroir inversé vont finalement s’enchevêtrer au cœur d’une quête commune.

Sous le masque impassible de Prabha se cache un amour perdu, un chagrin qu’elle ne parvient pas à soigner. Les pires doutes l’assaillent : cet amour a-t-il vraiment existé un jour ? Comme dans Toute une nuit sans savoir, il est question d’un amant disparu dont le fantôme erre secrètement dans les vapeurs de l’image. Pendant ce temps, Anu voit en cachette un jeune garçon musulman qu’elle aime éperdument.

Avec ce double portrait de relations contrariées, le film suit en parallèle le début et la fin d’un amour, de ses palpitations au chagrin et à l’acceptation. Par ce chassé-croisé, la cinéaste décrit l’ample et contradictoire trajectoire du sentiment amoureux. Construit comme un diptyque de la ville à la campagne, de l’effervescence urbaine à la nature apaisée, All We Imagine as Light suit le mouvement d’une régénérescence.

Une boucle parfaite qui sonde la capacité des êtres à sécher leurs larmes, à panser leurs plaies, sans oublier ni regretter pour qui et pour quoi battait leur cœur. D’une sensualité et d’une élégance éblouissantes, le film parvient à capturer toute la matière, même la plus prosaïque (un cuiseur à riz), pour la transformer en un sublime morceau de poésie, une capsule enchanteresse qui retranscrit la fragilité émotionnelle de ses personnages. Payal Kapadia se sert de sa caméra comme d’un stéthoscope, dont elle se saisit pour mieux nous faire entendre les pulsations internes des corps.

La captation de la ville comme monstre aliénant et pourtant ensorcelant évoque les plus grand·es, notamment Wong Kar-wai. Les sens des spectateur·rices sont surmobilisés grâce à un usage prodigieux de la caméra. Laissant entrer dans le champ les multiples imprévus du réel (le surgissement d’une couleur, d’un visage ou d’un son), le film ne fait jamais système. Il ne dompte pas le monde mais l’écoute et l’observe avec une immense attention. Rarement le Mumbai d’aujourd’hui nous était apparu ainsi, enlaçant les amours en même temps qu’il exclut ses habitant·es les plus précaires. Violence implacable dont l’un des personnages fera les frais en devant quitter la mégapole pour retourner dans un petit village près de la mer.

Commence alors un second récit, plus étrange, charnel et mystique. La forêt puis une grotte permettent enfin d’accueillir la possibilité du désir d’Anu et de son jeune amant, tandis que Prabha entreprend sa lente reconstruction, notamment par une mystérieuse rencontre réveillant le spectre de son ancien amour. D’abord isolées, les deux protagonistes se rejoignent et incarnent une magnifique sororité. Dans une dernière image féérique, une petite bicoque sur la plage, aux guirlandes multicolores, enveloppe ses personnages marginalisés et devient leur ultime refuge. Un rempart fragile dressé face à la violence du monde qui les entoure.

All We Imagine as Light de Payal Kapadia, avec Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadam (Fr., In., P.-B., Lux., 2024, 1 h 54). En salle le 2 octobre.

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