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Emma Becker, qui vient de publier Le Mal Joli : "La passion est comme un shoot de drogue"

Emma Becker parle de sexe. Voilà, c’est dit. « À chacun de mes livres, on ressort les mêmes adjectifs “sulfureux”, “scandaleux”. » Une simplification à tort. Oui, Emma parle de sexe. Et crûment. Réellement en tout cas. Il faut être prêt à lire les détails et l’enfer d’un lavement par simple volonté d’offrir une sodomie propre à son amant. Mais il n’y a pas que cela. Ce serait bien pauvre et bien ennuyant sur 400 pages. Emma parle aussi de culpabilité, de féminisme, de dissociation du corps, de reproduction intergénérationnelle, elle parle de l’intime et de l’universel, elle parle de la maternité, de la famille. Du désir et de l’amour, ces cousins éloignés. C’est un roman qui parle de sexe, oui, mais c’est un aussi…

C’est le récit de la dissonance, de l’insatisfaction.

L’insatisfaction, oui c’est le nom que tu donnes à ce genre de relations quand tu as des enfants. Avant, tu appelles cela papillonnage. Peut-être qu’on voit sa propre finitude. Pour que l’écriture du sexe au féminin soit considérée comme noble ou intéressante, il faudrait revendiquer quelque chose, que le sexe soit porteur d’un message. Moi je voulais l'écrire tel qu’on le pratique.

C’est un roman qui est assez inconfortable pourtant à lire.

Ce n’est pas un roman tranquille. Je ne suis pas une personne tranquille. Mais on est peu à l’être. Les sentiments sont faits de milliards de nuances.

Les années passant, je me comprends mieux tout de même. Je comprends mieux que je suis incompréhensible. Et je réalise que la vie est courte. La passion est comme un shoot de drogue. Pendant un temps, tu oublies que tu te fais chier. Mais c’est un empoisonnement.

Il y a quelque chose du récit victorien.

Ce n’est pas mon truc. Mais je m’appelle Emma parce que ma mère lisait Bovary pendant sa grossesse. Donc, bon, il y a des augures. C’est un peu lourd à porter. Mais s’il y a un lien, c’est aussi parce que la situation des femmes n’a pas beaucoup changé depuis le XIXe siècle.

Dans ce récit, on a l’impression que l’amour est liberticide, alors que le sexe libère.

Bien sûr. C’est plus facile de coucher avec quinze mecs en un mois que d’être amoureux. Dans l’écriture aussi.

Quand on parle de sexe, on parle de quoi ?

Je parle avant tout de ce qu’il se passe dans ma tête. Et dans la tête des femmes. Je ne peux pas être la seule à vivre ça. Cette dissociation de l’esprit et du corps. On ne se donne jamais entièrement à un homme. Comment veux-tu qu’un homme me connaisse entièrement ? Alors qu’au fond, c’est ce que je voudrais. J’ai beaucoup donné de moi-même, j’ai beaucoup baisé. Bon, j’aime l’acte, mais je ne comprenais pas pourquoi. Je ne comprenais pas comment le plaisir fonctionne.

Il y a ce passage superbe dans le livre : « La femme, ce n’est pas ce que les hommes voient. C’est précisément, tout ce que nous sommes lorsqu’ils ne sont pas là. » L’homme est inhibiteur ? 

Le travail des femmes ne s’arrête jamais. Pourtant, un homme aime quand tu es en pyjama, tout simple. C’est un malentendu énorme. C’est pour ça que j’ai raconté longuement l’épisode du lavement. La pression qu’on se met pour une simple sodomie. Mais la tyrannie de l’érection est terrible aussi pour les hommes. On vit tous avec une image de l’autre comme un dieu et comme une malédiction.

Y a-t-il un moment où les femmes sont elles-mêmes ?

Quand elles sont seules peut-être. Et si on se sent mal seule, c’est à cause de l’image que nous renvoie la société d’une femme seule. Une femme est toujours soi et une autre. La cruauté, dans le sexe, c’est que le désir des hommes et celui des femmes ne fonctionnent pas au même rythme. Si on se masturbe, on vient en deux minutes. S’il y a un homme dans la pièce, ça devient plus compliqué.

Le récit aborde aussi le thème de la culpabilité. Immense et permanent pour les femmes. Encore plus pour les mères.

Les mères sont surtout coupables d’être trop présentes. Mais quid des pères absents. La culpabilité se transforme en syndrome du sauveur. C’est l’ultraresponsabilisation des filles. Depuis toujours.

Il y a aussi un quelque chose de la tragédie grecque. Ces conflits de responsabilités.

Sûrement parce que la dynamique entre les êtres n’a pas beaucoup évolué. Certainement que Phèdre pourrait discuter avec une fille d’aujourd’hui.

On apprend aussi dans ce livre que tu écris tes chroniques pour les journaux du groupe Centre-France au dernier moment.

(Rires) Oui, c’est vrai. À ma décharge, j’ai toujours travaillé comme ça. 

Le mal joli, d’Emma Becker, éd. Albin Michel, 416 p., 21,90 €

Propos recueillis par Simon Antony

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