15.000, 100.000 euros... De "Dix pour cent" à "Emily in Paris", ces sommes folles que les marques versent pour apparaître dans les séries
"C’est très simple, il faut payer. Le rêve s’arrête quand la facture arrive." Véronique Tournet, fondatrice corrézienne de la marque de bijoux La Brune & La Blonde a le sens de la formule. Le rêve devenu réalité : un collier de sa collection Confetti, en or rose auquel s’accrochent quatre rubis et trois saphirs, au cou d’Emily Cooper.
Emily Cooper ? Le personnage principal de la série phénomène Emily in Paris, dont les quatre saisons qui racontent les pérégrinations pleines de clichés d’une Américaine dans la capitale, sont diffusées sur Netflix. "C’est une série événement. Elle a des répercussions mondiales. Je ne l’ai jamais regardée mais je connais son audience", ajoute la cheffe d’entreprise qui a longtemps hésité avant de se lancer dans le placement de produits. "C’est la première fois qu’on fait ça. Ce qui m’a fait longtemps hésiter, c’est que vous ne maîtrisez rien."
Pour obtenir ces quelques secondes d’écran, potentiellement regardées par "260 millions d’utilisateurs payants de la plateforme dans 190 pays" (chiffres Netflix), l’équipe de Véronique Tournet est passée par "Sparkles and Bubbles", une agence spécialisée. Elle fait le lien entre les marques et les producteurs de films ou de séries.
Des paillettes en voulez-vous ? En voilàEt là, des paillettes, en voulez-vous ? En voilà. Sur ses réseaux sociaux, la patronne de l’agence s’affiche en compagnie de… Brad Pitt. Rien que ça. En photo également, l’actrice américaine très en vogue qui incarne Mercredi Adams, Jenna Ortega, posant avec un parfum Dior. Sylvie Grateau, un autre personnage d’Emily in Paris, avec son téléphone pliable Samsung, qu’elle plie plus que de raison… En résumé, des stars et des marques. Et on ne sait plus vraiment qui est l’un ou l’autre.
En France, quelques agences de placement de produits se partagent ce marché qui pèse "entre 15 et 18 millions d’euros, télé et cinéma confondus", selon des chiffres dévoilés par Camille Chambault, directrice associée d’une de ces agences, lors du Production Summit, un événement dédié aux professionnels.
"Vous pouvez très bien être coupé au montage"Et derrière les paillettes, il y a tout un business. "Vous envoyez des bijoux. Nous avons fait une proposition assez large pour avoir plus de chances : six ou sept colliers, plusieurs paires de boucles d’oreilles, des bagues. Vous payez. Ensuite, vous n’avez aucune certitude. On a reçu des photos prises pendant le tournage afin de repérer les tenues sur lesquelles sont portés nos bijoux. Ensuite, il a fallu regarder toute la série pour les repérer. On a vu passer deux colliers portés par Emily et son amie Mendy, deux paires de boucles d’oreilles, une bague… On a eu beaucoup de chance, car vous pouvez très bien être coupé au montage", détaille Véronique Tournet.
Que se passe-t-il dans ce cas-là ? "Souvent, ils vous proposent d’être recasé sur un autre projet. Mais il ne faut surtout pas accepter", conseille Christian Mas, président de Sothys, une autre entreprise corrézienne qui a fait l’expérience du placement de produits. Sa plus grande réussite dans le domaine : la série française Dix pour cent, retraçant les péripéties d’agents de stars. La marque corrézienne de produits de beauté apparaît dans la première saison.
"Ils ont joué le jeu. Il y a une vraie récurrence. On est même cité deux fois à l’oral. Dans une scène, Joey Starr et Julie Gayet sortent d’un sauna et on voit très bien la plaque “Spa Sothys”. On était vraiment intégré au projet."
La rencontre entre Christian Mas et Dominique Besnehard, le créateur de la série, a beaucoup joué. "Ce partenariat a aussi permis une projection publique en avant-première, au théâtre de Brive en présence de deux acteurs." C’était il y a presque neuf ans. "On en entend encore parler aujourd’hui", ajoute le patron corrézien. La raison ? La série, initialement diffusée sur France 2, a ensuite été mise à disposition par la plateforme Netflix. "Ça a été une très bonne nouvelle pour nous."
Le 22 septembre 2015, les premiers épisodes de la série Dix pour cent sont projetés en avant-première au théâtre de Brive. Christian Mas (Sothys) pose avec Grégory Montel, Stéfi Celma et Dominique Besnehard.
"C’est le prix du pari que vous voulez faire"Mais le placement de produits ne se passe pas toujours aussi bien. "Parfois, c’est raté. On est dans le film Möbius avec Jean Dujardin, mais on ne nous voit pas. Ça ne nous a rien apporté", poursuit-il. Alain Maes a créé Public Impact en 2010, une société qui mesure les retombées des placements de produits pour les marques. Pour lui, "le risque, c’est surtout que le produit soit critiqué. En France, c’est le réalisateur qui a tous les droits contrairement aux États-Unis où ce sont les producteurs. Ça fait partie des aléas mais je suis surpris à chaque fois : même un petit placement se voit, comme une boîte de Tic-Tac ou une San Pellegrino aromatisée dans la série Dix pour cent. Si un personnage utilise le produit, ça a encore plus de portée." Ce spécialiste estime même que "c’est un mode de communication tellement efficace que de plus en plus d’entreprises y ont recours".La diffusion de Dix pour cent par Netflix a donné une autre dimension à la série française. Une bonne nouvelle pour les marques qui y apparaissent.
Des budgets pharaoniquesElles sont d’ailleurs prêtes à payer très cher pour être associées au héros d’un film ou d’une série. "On ne peut pas trop le dire. Il n’y a pas de règle. Tout se négocie, mais on commence à avoir des trucs sympas à partir de 10.000 ou 15.000 euros. Et parfois, c’est gratuit. Cela a été le cas avec une camionnette Asepta lorsqu’ils cherchaient un véhicule publicitaire pour un film", raconte Christian Mas. Véronique Tournet a déboursé entre 5.000 et 10.000 euros pour parer de diamants et de pierres précieuses les personnages d’Emily in Paris. Un petit contrat dans le milieu. "Pour que les Avengers conduisent des voitures Audi avec sortie mondiale, soirée presse, la totale… Ce sont des budgets pharaoniques", confie Alain Maes, à titre de comparaison. "Ça peut aller jusqu’à 100.000 euros et au-delà, surtout quand c’est un projet à l’international. En fait, c’est le prix du pari que vous voulez faire. C’est toujours un coup de poker", confirme Christian Mas.
"Cela renforce la notoriété de la marque"Le président de Sothys avait aussi négocié l’apparition de la marque du groupe, Bernard Cassière, dans le film Comment c’est loin du rappeur Orelsan, sorti en 2015. "Il n’était pas encore très connu à l’époque, mais j’adorais le bonhomme et il a été hyper sport. On a validé une enveloppe, ça a pris vingt minutes. On avait envie de le soutenir." Selon Véronique Tournet, "les modes de consommation ont changé. Il faut aussi faire évoluer ses plans d’achat d’espaces (publicitaires, N.D.L.R). Et finalement, entre l’achat d’espace papier dans des magazines et le placement de produits, les prix sont assez comparables. Sauf que dans la série, vous restez. Certains vont même la regarder plusieurs fois."
Des budgets non négligeables pour les marques, mais pour quelles retombées ? La Brune & La Blonde n’a pas encore vu de cliente arriver en demandant le collier ou la bague qu’elle a repéré dans Emily in Paris. "Mais je sais que ça va arriver, assure Véronique Tournet. En revanche, ça fait très plaisir à notre communauté et à nos revendeurs. J’en entends beaucoup parler. Cela renforce la notoriété de la marque."
Trop de placements de produits, tue le placement de produitLa série Emily in Paris est une vitrine. Plus de 250 marques apparaissent dans la troisième saison, boostant ainsi les recherches en ligne pour retrouver les produits. "Il y a un moment, on ne peut pas en mettre trop, nuance Alain Maes. La légende dit qu’il y aurait plus de 300 placements de produits officiels dans Sex and the City, le film. Sur deux heures, ce n’est pas viable. Il faut que les placements de produits aient du sens. S’ils dealent avec Vittel, ils ne peuvent pas mettre Évian dans la scène suivante."
Et le public dans tout ça ? "J’ai interrogé 1.000 personnes sur leur sentiment par rapport au placement de produits. Et il en ressort que le public trouve que ça reflète la vie, assure-t-il. Pour eux, c’est normal qu’on retrouve des marques à l’écran." Faut-il encore y prêter attention…
Émilie Auffret