Retour sur l'histoire du couteau Le Thiers, ambassadeur de la cité bitord en France et dans le monde
Sur l’établi du siège de la confrérie du couteau Le Thiers, rue Durolle, sont posés un ressort, une lame, deux côtes et deux platines. Les ingrédients principaux pour fabriquer n’importe quel couteau. Mais ce n’est pas n’importe quel couteau que nous fabriquons ce jeudi 19 septembre, parés de lunettes de protection et de nos belles devantières bleues. Nous réalisons un couteau Le Thiers, qui fête cette année ses 30 ans.
Traités de "copieurs""Le 7 novembre 1994 est une date sacrée pour tous les fabricants actuels de couteau Le Thiers. C’est ce jour que le couteau étalon, l’ancêtre des couteaux Le Thiers, fut présenté au monde, peut-on lire sur le site internet des Artisans du couteau. C’est le fruit d’une initiative collective des artisans couteliers de la région Le Thiers."Le résultat final de l'atelier.
Une initiative collective au but affirmé d’emblée : Le Thiers devra être un ambassadeur de l’activité coutelière du bassin thiernois. "Les gens ne savaient pas si l’activité subsistait encore ou si elle s’était complètement éteinte, explique Dominique Chambriard, coutelier qui m’initiera à la fabrication. Il s’agissait donc d’identifier, avec une forme particulière de couteau qui allait voyager partout en France, le dynamisme actuel de l’industrie coutelière thiernoise. Et on en avait marre d’être traités de copieurs quand, à la question de savoir ce que l’on fabriquait, on répondait : 'des Laguioles'."
Pari réussi puisque cette forme parle désormais à tous les passionnés de couteau du monde entier. "C’est une double vague inversée, une double sinusoïdale", développe Marc Blettery, président de la confrérie. L’idée, m’explique-t-on, était de créer un modèle original et moderne, mais pas trop typé afin qu’il puisse être réinterprété et décliné à l’envi.Dans l’atelier, nous restons sur un modèle classique en bois d’olivier. Après avoir ajusté les côtes en bois sur les platines métalliques (les deux principaux composants du manche, voir photo), il s’agit désormais de riveter le ressort sur les platines, puis d’y fixer les côtes.
Pour obtenir un résultat parfait, les clous doivent être martelés de telle sorte qu’ils forment un petit dôme en forme de champignon. Je suis particulièrement fière du mien, avant que Dominique Chambriard ne l’écrase d’un coup sec, pour le bien de mon couteau bien sûr. Petit sentiment de trahison cependant.
Se creuser la têteC’est l’heure où la lame rentre en jeu. Si vous avez suivi, vous savez déjà qu’elle est légèrement courbée en creux, tandis que le manche est légèrement bombé : c’est la fameuse "double vague inversée" du Thiers. Ce dessin est celui de Jean-Pierre Treille, qui confie :
Si Le Thiers existe, c’est un coup de bol. Au départ, il faisait la quasi-unanimité contre lui.
On s’enquiert des raisons auprès de Dominique Chambriard. "D’une, il est difficile de faire un nouveau couteau collectif. On n’en avait jamais fait jusqu’à maintenant. De deux, on était encore à une époque où les gens se copiaient les uns les autres. Si quelqu’un avait une super idée, souvent l’autre la reprenait. Pour Le Thiers, le concept était un peu différent dans le sens où il fallait qu’on se respecte les uns les autres, qu’on ne fasse pas exactement le même que l’autre ce qui implique de se creuser la tête. C’est pour ça qu’au début, ça a mis un petit peu de temps à démarrer. Mais tant mieux, parce que si ça avait démarré sur les chapeaux de roues, peut-être que Le Thiers n’existerait plus !"Le nôtre passe aux finitions, c’est-à-dire à la ponceuse. Quand les premières étincelles jaillissent et que l’odeur du bois emplit l’atelier, on se sent vite l’âme d’un coutelier. Jusqu’à ce que l’on ponce ses propres ongles par accident, petit imprévu qui force à l’humilité. Le produit fini est, il faut le dire, magnifique. "Mieux ça aurait été indécent", nous félicite Dominique Chambriard, que l’on ne peut soupçonner d’une quelconque impartialité.
En sortant, le coutelier retrace 30 ans d’histoire en une formule : "C’est une belle aventure". Une aventure qui permit à la coutellerie thiernoise de se faire (re) connaître, de sauver ses emplois et de fédérer autour d’un produit phare qui compte désormais plus de 600 modèles déposés. Une bien belle aventure.
Louise Llavori