«La Solitude du coureur de fond» au théâtre
La Solitude du coureur de fond, d’Alan Sillitoe, au Théâtre Le Funambule, à Montmartre
Encore un petit théâtre épatant qui se distingue par une programmation originale. Prenez le Funambule, donc, à deux pas du métro Lamarck-Caulaincourt à Paris. S’y déroule en ce moment, et jusqu’au 10 novembre, un seul en scène enthousiasmant de Patrick Mons, l’adaptation d’un livre culte – presque autant que L’Attrape-cœur de Salinger : La Solitude du coureur de fond (1959), de l’Anglais Alan Sillitoe (1928-2010) – dont c’est le deuxième livre culte (rareté), après la publication, un an plus tôt, en 1958, de Samedi soir, dimanche matin.
Le cinéma se saisit très vite des deux : Samedi soir, dimanche matin est porté à l’écran en 1960 par un génie, Karel Reisz ; La Solitude du coureur de fond, par un autre, Tony Richardson, en 1962.
Cela ne s’arrêtera pas là – romans (une vingtaine), poésie, ouvrages pour la jeunesse s’ensuivront. Mais les deux premiers livres marqueront leur époque : celle des Angry Young Man (Jeunes hommes en colère) des années 50.
Parenthèse : Alan Sillitoe a gagné. Quand on entre en littérature, il faut écrire LE livre (voir Salinger, plus haut, ou Le Grand Meaulnes, ou Le Diable au corps, ou La Fin de Chéri, etc.) : Sillitoe en a écrit deux, non-négociables. Il faudrait toujours avoir CE livre – celui à écrire, le seul – en tête, lorsqu’on se mêle de littérature, et d’écriture. La rareté, la nécessité, comme critérium. Fin de la parenthèse.
Résumé de l’action. Quelle action ? Un homme, Colin Smith, « enfermé dans une maison de correction, est choisi pour représenter l’institution lors d’une compétition de course de fond ». Le directeur voudrait en faire un exemple de réhabilitation et une illustration de la qualité de son établissement.
Cela ne se passera pas tout à fait ainsi : Smith pourrait gagner mais l’Angleterre est la terre de l’habeas corpus – Smith a son libre-arbitre, et une notion précise de la dignité et de l’honnêteté, qui n’a pas grand-chose à voir avec celle des « honnêtes gens », justement.
Montherlant a beaucoup écrit à ce propos (le sport, sa morale). Sillitoe, né dans une famille ouvrière de Nottingham et qui travailla un temps en usine (à 14 ans), écrit dans une autre langue, un autre registre : réaliste, populaire, prolétarien – dans le très bon sens du terme (à l’opposé, par exemple, de celui qui pourtant passe pour un de ses héritiers, Ken Loach, le démagogue larmoyant, misérabiliste).
Patrick Mons restitue le monologue intérieur du jeune homme, Colin Smith : la course (il court presque toute la durée de la représentation) est l’occasion de l’élaboration de sa pensée, de sa conception de la liberté – et de sa libération, par les mots. Le for intérieur est son arme ; l’honnêteté, de soi à soi, son blason.
Précisons que les mots de Sillitoe, devenus ceux de Mons-Smith, illustrent deux de ses qualités insignes (il suffit de le lire – ou de venir l’écouter au Funambule) : le sens de l’observation et l’art de conter. L’humour n’est pas absent. La musique du saxophoniste Art Pepper (enregistrée par le Barcelonais Esaïe Cid) accompagne bienheureusement la représentation.
Lycéen, nous avons eu la chance de voir le vaillant Sami Frey pédaler et dire les Je me souviens anaphoriques de Georges Perec : merveille. Nous nous souviendrons – c’est dire le niveau de la représentation et de l’incarnation – de Patrick Mons, coureur aguerri et acteur distingué (l’inverse est vrai). À l’évidence, celui-ci sera de moins en moins seul. Courez donc – il faut bien commencer – le voir et l’écouter : le coureur du Funambule vaut le… détour.
La Solitude du coureur de fond, Théâtre Le Funambule (53 rue de Saules 75018). D’après Alan Sillitoe. Mis en scène et joué par Patrick Mons. Musique Art Pepper. Du 5 septembre au 10 novembre. Durée : 1H15.
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