Coup de barre pour la Maison Gainsbourg, en redressement judiciaire
Le 20 septembre 2023, l'antre mythique de Serge Gainsbourg, au 5 bis rue de Verneuil, ouvrait ses portes au public dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Un accomplissement pour sa fille Charlotte, propriétaire du lieu à l'intérieur conservé intact, où son père vécût pendant 22 ans et mourût en 1991.
Juste en face, au 14, se trouvent un musée qui retrace l’œuvre de l'artiste et le Gainsbarre, piano-bar.
Soutenue par des partenaires publics et la marque de luxe Saint Laurent, plébiscitée par le public, la Maison Gainsbourg affiche complet jusqu'à la fin de l'année.
Mais derrière cette façade, sa situation financière a déjà viré au rouge, comme l'a révélé L'Informé. En cessation de paiement depuis le 9 août, la société d'exploitation de l'hôtel particulier de Serge Gainsbourg et de ses annexes (SEHPSGA) a demandé un placement en redressement judiciaire, acté par le tribunal de commerce de Paris le 18 septembre, soit deux jours avant de souffler sa première bougie.
En mars 2023, le tribunal avait déjà dû statuer autour d'un litige entre les deux associés du projet - 50% chacun -, à savoir Charlotte Gainsbourg et Dominique Dutreix, promoteur immobilier via sa société Coffim, condamné à une peine avec sursis dans l'affaire Elf.
Dette d'1,5 million d'euros
Tous deux avaient pourtant validé "un accord de partenariat", en décembre 2019, convenant que Charlotte Gainsbourg ne donnerait "aucune garantie" dans l'obtention d'emprunts bancaires pour réaliser les travaux d'aménagement et les dépenses de fonctionnement de l'hôtel et du musée.
Le fonds de roulement de la SEHPSGA devait être alimenté par des "comptes courants d'associés mis en place exclusivement par Dominique Dutreix", précise l'accord, soulignant que celui-ci s'engageait à demander remboursement "lorsque les sociétés seront bénéficiaires".
Mais le tribunal relève que dès 2022, des "prélèvements litigieux" de plus de 482.000 euros sont réalisés entre M. Dutreix comme président de la Coffim et M. Dutreix gérant de la SEHPSGA, "sans la moindre notification" et contrevenant au code du commerce.
Ces opérations financières non conformes conduisent à une situation critique des comptes... au passage entachés d'irrégularités car n'ayant jamais été approuvés.
La société d'exploitation n'a pas non plus bénéficié du fonds de roulement nécessaire pour lancer l'activité, qui démarre sans payer ses fournisseurs et prestataires: gardiennage, nettoyage, syndic, électricité, expert-comptable...
La liste des impayés s'accumule et l'ardoise tombe: la SEHPSGA, "malgré un endettement bancaire à hauteur de 3,5 millions d'euros, montre une dette fournisseurs de 1,6 million d'euros" environ, comptabilise le tribunal de commerce.
Lors de la procédure, M. Dutreix a contesté certaines dettes, expliqué être en capacité d'apporter de nouveaux financements bancaires et estimé in fine que l'accord de partenariat manquait de clarté quant aux obligations des parties. Ce document est pourtant "parfaitement clair", selon le tribunal dans son ordonnance.
Les juges ont donc condamné le 28 mars l'associé Dutreix à rembourser à la société d'exploitation un montant total d'environ 1,5 million d'euros. Soit près de l'équivalent du montant des dettes à court terme, qui ont conduit à la cessation de paiements.
Quid de l'avenir de la Maison Gainsbourg, désormais gérée par une administratrice judiciaire ?
"La société est rentable mais elle a accumulé une dette ancienne liée à son démarrage et elle ne peut pas faire face à cette dette à court terme", déclare à l'AFP Me Jean Aittouares, conseil de Charlotte Gainsbourg, balayant toute hypothèse de fermeture.
"La révolution de ce dossier, c’est quand Charlotte Gainsbourg se rend compte des sommes détournées et que des créanciers ne sont pas payés", souligne-t-il.
Contacté par l'AFP, l'avocat de Dominique Dutreix n'a pas donné suite.
Le tribunal de commerce doit observer dans quelle mesure et par quels moyens la Maison Gainsbourg peut s'extirper de ce mauvais pas: il statuera sur le maintien de la phase d'observation, prévue pour durer six mois, lors d'une audience début novembre.