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Le Hezbollah, une milice politique entre Iran et Liban

Le mois de septembre 2024 a marqué une brusque escalade dans les affrontements, jusqu’alors relativement contenus ou du moins codifiés, entre Israël et le Hezbollah. Avec les explosions de milliers de bipeurs puis de talkies-walkies de membres du Hezbollah (plusieurs dizaines de morts et au moins 3 000 blessés), les bombardements massifs à travers le Liban (des milliers de cibles bombardées en quelques jours) puis l’assassinat du chef du groupe, Hassan Nasrallah, Israël a manifesté sa volonté d'affaiblir durablement le « parti de Dieu ». L’ouvrage du journaliste Christophe Ayad permet de revenir sur l’histoire du Hezbollah et ses relations avec les cinq continents.

Une milice armée inféodée à l’Iran

Depuis sa création dans les années 1980, le Hezbollah entretient des liens très étroits avec la République islamique d’Iran. Trois éléments l’ancrent directement à Téhéran. Il s’agit en premier lieu d’une organisation chiite (religion majoritaire en Iran) qui reconnaît explicitement l’autorité du Guide Suprême iranien, Ali Khamenei. De hauts dignitaires du régime iranien, comme l’ambassadeur en Syrie de l’époque, ont été directement impliqués dans la création de la milice. Par ailleurs, les premiers membres du Hezbollah ont été entraînés et formés par un contingent de pasdarans, soit la garde prétorienne du régime iranien. Depuis, le groupe est toujours financé, à hauteur de 100 à 200 millions de dollars par an actuellement, et armé par Téhéran. Enfin, le Hezbollah partage dès sa naissance les objectifs stratégiques de l’Iran en s’engageant dans une lutte permanente contre Israël et les pays occidentaux. Selon l’auteur, l’attentat du Drakkar à Beyrouth, qui coûte la vie à 58 parachutistes français déployés au Liban dans le cadre d’une mission internationale de maintien de la paix en 1983, doit se comprendre à cette aune. Il s’agit non seulement de pousser au départ les troupes françaises, mais aussi de punir Paris pour son soutien à l’Irak alors en guerre contre l’Iran.

Pour Christophe Ayad, le Hezbollah constitue « un formidable outil de dissuasion au service des ambitions régionales et internationales de l’Iran »1. Même s’il est créé dans le cadre de l’occupation israélienne du Liban (entre 1982 et 2000) et qu’il met très largement en avant sa volonté de libérer la Palestine, il sert avant tout d’assurance-vie au régime iranien. L’attitude du Hezbollah au lendemain des massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas et durant la guerre dévastatrice lancée par Israël à Gaza semble largement valider cette interprétation. Le Hezbollah a en effet affirmé publiquement son soutien au Hamas et lancé des salves de roquettes sur le nord d’Israël,provoquant le déplacement de dizaines de milliers d’Israéliens. Pour autant, il s’est bien gardé de lancer une offensive généralisée. En cela, il suit parfaitement la ligne de Téhéran.

Pièce maîtresse de l’« axe de la résistance » autoproclamé par l’Iran et ses affidés, le Hezbollah dispose aujourd’hui d’un arsenal considérable, au point d’être considéré comme l’un des acteurs non-étatiques les plus puissants au monde. Il serait doté d’au moins 150 000 roquettes et missiles de portée variable (jusqu’à 700 kilomètres pour certains), de missiles sol-mer, antichars et sol-air sophistiqués, ainsi que d’au moins 2 000 drones. Ses effectifs s’élèveraient à environ 15 000 soldats (dont 5 000 dans des commandos d’élite) avec un potentiel de mobilisation supplémentaire d’au moins 25 000 hommes. La milice a notamment joué un rôle capital dans la guerre civile syrienne, en aidant le régime de Bachar al-Assad à défendre ou à reconquérir certains lieux stratégiques. C’est dans ce cadre qu’elle a acquis une précieuse expérience militaire.

Une organisation aux ramifications internationales

Le Hezbollah est particulièrement implanté au Moyen-Orient et entretient des liens privilégiés avec différents États, en particulier l’Iran et la Syrie, comme avec d'autres groupes armés de la région, le Hamas et le Jihad islamique en Palestine, les Houthis au Yémen. Il est toutefois présent, à des degrés divers et selon des modalités différentes, sur tous les continents. Il peut ainsi s’appuyer sur l’importante diaspora libanaise (14 millions de personnes selon la Banque mondiale), puisque le pays a connu différentes vagues d’émigration vers l’Amérique latine ou encore l’Afrique depuis le XIXe siècle.

Cette implantation internationale permet d’assurer au Hezbollah des sources de financement, en complément de l’aide apportée par l’Iran. Considéré par un certain nombre de pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne par exemple) comme une organisation terroriste, le groupe est soumis à des sanctions internationales qu’il contourne via un certain nombre d’entreprises implantées en Afrique de l’Ouest, mais aussi par le trafic de minerais précieux (comme les diamants) ou de drogues en Afrique et en Amérique latine.

Le Hezbollah perpètre également des actions terroristes à l’étranger. Plusieurs vagues d’attentats et d’assassinats touchent ainsi l’Europe et l’Amérique latine dans les années 1980-1990 : deux attentats distincts à Buenos Aires (contre l’ambassade d’Israël en 1992 et l’Association mutuelle israélite en Argentine en 1994) font en tout une centaine de morts et plus de 400 blessés. Probablement pour préserver ses réseaux et ses sources de financement, la milice évite cependant le plus souvent de commettre des actes terroristes en Afrique ou encore en Amérique du Nord.

Un acteur libanais de premier plan

Il est toutefois impossible de réduire le Hezbollah à sa seule dimension de « proxy » de l’Iran implanté dans le monde entier. Comme le montre Christophe Ayad, le « parti de Dieu » est également un acteur politique proprement libanais. À sa fondation, le Hezbollah est une milice sectaire qui entend implanter un État islamique par la force, élimine physiquement ses concurrents (les communistes, mais également une autre milice chiite baptisée Amal) et dénonce des forces politiques chrétiennes dont le poids politique serait indu. Sa quasi-hégémonie parmi les chiites du pays, patiemment conquise au cours des premières années après sa fondation, s’explique par ses capacités militaires et par la mise en place de toute une série d’organisations caritatives qui viennent en aide à une communauté longtemps marginalisée économiquement. Son discours et ses pratiques évoluent toutefois progressivement. Il intègre le jeu politique libanais en 1992 et se présente aujourd’hui comme un parti assurant la défense de tous les Libanais contre Israël, défendant de surcroît un modèle démocratique qui dépasserait les clivages confessionnels traditionnels. Il parvient d’ailleurs à nouer des alliances avec des personnalités sunnites (Najib Mikati, actuel président du Conseil des ministres) ou chrétiennes (Michel Aoun, président de la République entre 2016 et 2022).

Les victoires que le Hezbollah affirme avoir remportées contre Israël (le retrait d’Israël du Sud-Liban en 2000, la « victoire divine » dans la guerre de 2006) lui ont assuré une popularité au-delà de la seule communauté chiite. Certains Libanais demeurent toutefois très critiques envers le « parti de Dieu », l’accusant d’entraîner régulièrement le pays dans une confrontation avec Israël au prix de destructions massives. Le discours transpartisan d’Hassan Nasrallah est également mis à mal par diverses décisions du Hezbollah : par exemple, le groupe prend le contrôle par la force de la capitale en 2008, il s’investit massivement dans la guerre civile syrienne en dépit de la politique de neutralité proclamée par le gouvernement, et il sabote consciencieusement l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth depuis 2020. Plus largement, les prétentions du Hezbollah à incarner le parti des déshérités et à défendre le bien commun (contrairement aux autres partis politiques traditionnels, qui seraient clientélistes et corrompus) n’est guère audible alors que le parti contrôle de fait la vie politique du pays depuis quinze ans. Plus puissant que l’armée régulière, et disposant d’un droit de veto sur toute décision stratégique du Liban, le Hezbollah est, selon Christophe Ayad, un « État au-dessus de l’État »2.

En dépit de ce que son titre pourrait laisser penser, cette Géopolitique du Hezbollah ne se focalise donc pas exclusivement sur les relations nouées entre la milice et le reste du monde, mais permet également d’appréhender son histoire et son organisation interne. Très clair et pédagogique, l’ouvrage de Christophe Ayad présente en définitive une vision nuancée du Hezbollah et en restitue la nature fondamentalement ambiguë : le « parti de Dieu » est à la fois un acteur politique et une milice armée, un instrument de l’Iran et une organisation nationaliste. S’il est impossible, aux prémices de l’offensive majeure lancée par Israël, de prédire l’avenir de l’organisation, Christophe Ayad offre à tout le moins des clefs de compréhension quant à l’importance du mouvement au Moyen-Orient.


Notes :
1 - p. 199
2 - p. 60

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