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Penser le 7-Octobre en exorciste

Ce qu’on a vu au lendemain du 11-Septembre et de l’attentat contre Charlie Hebdo se reproduit depuis le 7-Octobre: l’inversion victimaire, la justification de l’horreur. La barbarie terroriste a ravivé l’antisémitisme et la fascination pour le crime de masse. Il faut analyser ce soutien au mal pour mieux défendre notre humanité.


Le XXIe siècle a commencé le 11 septembre 2001. Quand l’horreur s’est abattue sur les États-Unis, on aurait pu s’attendre à une forme d’unanimité mondiale face à la folie meurtrière. De fait, le monde a réagi. Mais très vite, la solidarité a cédé la place à la relativisation. Le schéma en est toujours le même : d’abord « les torts sont un peu partagés », puis « ils ne l’ont pas volé », ensuite « ne l’ont-ils pas déclenché eux-mêmes pour justifier les représailles ? » et enfin « est-ce que ça a vraiment eu lieu ? ». L’inversion victimaire finit en négationnisme. Et l’antisémitisme ne manque jamais de coiffer le tout. Un crime de masse est autre chose qu’un crime. Il dilue la responsabilité. Il cherche à se transformer en acte de guerre, en fait historique. Il change de catégorie. Il permet à certains acteurs de réussir la prouesse de les revendiquer et de les nier dans un même élan, de féliciter Ben Laden et d’y voir un complot de la CIA. À l’ère de la post-vérité, les esprits les plus sombres peuvent goûter à la volupté des noces du sadisme et du mensonge.

Connivences et fenêtre d’Overton

Ces événements terroristes, qui constituent en réalité une catégorie tierce par rapport au crime individuel et à la guerre, cristallisent une série de lois anthropologiques et psychologiques qu’il convient de décrypter si l’on veut essayer de comprendre pourquoi le mal, lorsqu’il se manifeste avec éclat, loin de susciter le rejet général que le sens commun attend, se crée de nouveaux espaces. C’est au prix de ce travail d’élucidation que l’on peut imaginer de futures victoires de la liberté, de la démocratie, de l’humanité. La simple réaction frontale n’est pas suffisante. Si l’on n’entreprend pas cette démarche, on devra constater avec effroi que, à chaque fois, le soutien au mal sera proportionnel à l’ampleur de ce mal initial. Il ne sert à rien de se révolter contre ce scandaleux paradoxe. Il faut en détruire la logique de l’intérieur.

Les attentats que nous avons vécus en France nous ont permis de voir les mêmes processus à l’œuvre. Après le rassemblement de plus de 10 millions de personnes dans toute la France, l’émotion nationale et internationale, les relativisations n’ont pas tardé. Les « Je ne suis pas Charlie » ont fleuri et ont nourri la possibilité d’assumer une forme de connivence avec le crime. Le fameux phénomène dit de la « fenêtre d’Overton » était visible à l’œil nu : les bornes de l’acceptable dans le discours public étaient déplacées. Il y a une sorte de joie mauvaise, d’hubris particulière, pour ceux qui jouissent de voir l’indicible d’hier devenir le dicible d’aujourd’hui. Là où un tel attentat aurait dû faire réaliser davantage le caractère précieux de la liberté d’expression, il a donné au contraire pignon sur rue à ses adversaires. De fausses unanimités éphémères laissent la place à des avancées des stratèges de la barbarie. L’accoutumance à l’horreur ouvre la voie à l’accoutumance au mensonge et vice-versa.

Le 7 octobre représente l’acmé de ces logiques à l’œuvre depuis un quart de siècle. Un événement monstrueux où la commission d’actes barbares a été documentée par les barbares eux-mêmes, loin de faire reculer l’antisémitisme qui en était le moteur (les assassins ne disaient pas qu’ils massacraient des Israéliens, mais bien des juifs), lui a fait gagner de nouvelles forces, de nouveaux horizons. Un pogrom redevenait pensable. Et cela sur la terre même de l’État conçu pour tourner le dos à jamais aux monstruosités des temps anciens.

Barbarie décomplexée

En assumant de perpétrer des horreurs sans limite, des tortures indescriptibles sur des civils sans défense, en revendiquant de tuer des juifs pour tuer des juifs, le plus grand nombre possible et le plus atrocement possible, le Hamas allait plus loin que jamais. Sa logique exterminatrice ne s’accompagne d’aucune honte. Voici venu le temps de la barbarie décomplexée. Et ses soutiens dans le monde, des post-collaborateurs de la post-modernité, ont pu laisser libre cours à un antisémitisme lui aussi décomplexé par la magie de leur bonne conscience. Il est donc devenu possible, après la Shoah, malgré la Shoah, et même à la faveur de la Shoah, de faire semblant de ne pas voir l’antisémitisme quand il montre son visage hideux, de ne pas le dénoncer et même d’en justifier les ressorts et les conséquences.

Le 7 octobre n’est donc pas seulement un événement abominable où l’assassin descend les marches de l’enfer en revendiquant son inhumanité. C’est aussi un « événement total » multidimensionnel et engageant l’humanité entière. Il nous oblige à regarder le mal en face, à comprendre ce qui se joue dans les aveuglements imbéciles ou volontaires. Le 7 octobre est désespérant au titre de la nouvelle transmutation de l’antisémitisme qu’il nous donne à vivre. Mais il est un défi posé à notre conscience. Freud écrivait, dans une réponse à Einstein, publiée sous le titre Pourquoi la guerre ? : « Si la propension à la guerre est un produit de la pulsion destructrice, il y a donc lieu de faire appel à l’adversaire de ce penchant, à l’éros. Tout ce qui engendre, parmi les hommes, des liens de sentiment doit réagir contre la guerre. »

Le 7 octobre est une déclaration de guerre à ce qui fait notre humanité. Ceux qui l’ont permis ou soutenu doivent être combattus jusqu’à leur défaite qui sera une défaite des forces de mort. Mais leur plus grande défaite adviendra lorsque surgiront au cœur même de la Palestine des forces de vie, de démocratie, de concorde, capables de prendre le dessus.

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