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Discrimination: la recherche des causes

La procédure recommandée par le Comité pour la mesure de la diversité et l’évaluation des discriminations (le Comedd, qui a été dissous depuis) pour détecter une discrimination à l’embauche consiste à envoyer des candidatures à des offres d’emploi ne différant que par le nom du candidat, certains de consonance européenne, d’autres indiquant a priori une appartenance à une communauté ethnique ou religieuse. Cette procédure ne fait que constater une discrimination, et n’en donne pas les causes.

Critique d’une enquête

Claire Adida, David Laitin et Marie-Anne Valfort (2010) ont effectué une enquête en suivant cette procédure pour identifier les barrières à l’intégration des musulmans en France. Les candidatures étaient envoyées en double, l’une avec un nom musulman, l’autre avec un nom chrétien. Leur conclusion est sans appel : « the results confirm that in the French labor market, anti-Muslim discrimination exists : a Muslim candidate is 2.5 times less likely to receive a job interview callback than is his or her Christian counterpart » (les résultats confirment que sur le marché du travail français, les discriminations anti-musulmanes existent : un candidat musulman a 2,5 fois moins de chances d’être appelé pour un entretien d’embauche que son homologue chrétien). Les résultats de l’étude en version française « soulignent donc une réalité dérangeante : dans la République française théoriquement laïque, les citoyens musulmans issus de l’immigration rencontrent, toutes choses égales par ailleurs, des obstacles à l’intégration par l’accès à l’emploi bien plus élevés que leurs homologues chrétiens. » Cette conclusion ne fait que vérifier l’existence de la discrimination des musulmans dans l’accès au travail, discrimination que personne ne conteste. Mais il ne suffit pas de constater une différence statistique entre deux catégories de population pour en déduire une injustice (Foucart, 2007).

Les auteurs expliquent ces barrières par un ressentiment historique des chrétiens à l’encontre des musulmans : « at the same time, European states are defined by their historic nationalities, all of them in the Christian tradition, and are seen as having a special problem with Islam going back to the fall of Constantinople to the Ottomans and the reconquest of Spain in the 15th century »( Dans le même temps, les États européens sont définis par leurs nationalités historiques, toutes de tradition chrétienne, et sont considérés comme ayant un problème particulier avec l’Islam remontant à la chute de Constantinople aux mains des Ottomans et à la reconquête de l’Espagne au XVe siècle.). Si les Européens de tradition chrétienne ont un « problème spécial » avec l’islam dû aux conflits entre l’Europe chrétienne et l’Empire ottoman, les musulmans devraient avoir le même problème avec les Européens. Il y a dans le raisonnement des auteurs une asymétrie qui attribue uniquement à ces derniers la responsabilité de la discrimination, alors que le ressentiment, s’il existe, est réciproque. De plus, il n’est pas besoin de remonter au XVe siècle pour explique le ressentiment entre l’Empire ottoman et la chrétienté : le conflit a été permanent jusqu’à la disparition du premier en 1918.

D’autres raisons

La tolérance a été proposée par les philosophes du XVIIe siècle, en particulier John Locke, pour éviter les guerres de religion en Europe. Dans sa Lettre sur la tolérance (1686), il en écartait les musulmans : « Ne serait-il pas ridicule qu’un mahométan prétendit être le bon et fidèle sujet d’un prince chrétien, s’il avouait d’un autre côté qu’il doit une obéissance aveugle au moufti de Constantinople, qui est soumis lui-même aux ordres de l’empereur ottoman, dont la volonté lui sert de règle dans tous les faux oracles qu’il prononce sur le chapitre de sa religion ? » Depuis la Déclaration des droits de l’homme de 1789, la tolérance a été étendue progressivement à toutes les religions et croyances. Les juifs ont dû choisir entre la République laïque et l’orthodoxie religieuse. Les musulmans, absents d’Europe occidentale à cette époque, n’ont pas eu à faire ce choix.

Les raisons de la discrimination des musulmans sont paradoxalement la tolérance religieuse, la liberté individuelle et l’égalité en droits dans les démocraties. Ces valeurs humanistes n’ont jamais existé dans les pays musulmans : la domination musulmane y existe partout. Les pratiquants chrétiens et juifs y ont des droits inférieurs à ceux des musulmans, et les autres religions et l’athéisme y sont interdits. La domination est même parfois très violente : les Bahaïs ont été presque exterminés au XXe siècle en Iran, les femmes sont soumises aux hommes, encore lapidées en cas d’adultère, parfois même quasiment réduites en esclavage comme en Afghanistan.

Alors que les immigrés non-musulmans en provenance de ces pays trouvent en Occident un espace de liberté et d’égalité dont ils étaient privés, les immigrés musulmans perdent au contraire les avantages que leur donnait leur religion dans leur pays d’origine. Leurs difficultés d’intégration sont dues à leur passage d’une société où ils dominent sur tous les plans, à une autre qui ne leur accorde aucun privilège, et qui donne même des droits complètement opposés à l’islam : liberté d’expression, de religion, liberté sexuelle, égalité en droits, égalité des sexes, etc. Quittant un pays dans lequel ils bénéficient de privilèges, ils arrivent dans un autre dans lequel ils se sentent dominés par ceux qu’ils oppriment dans leur pays d’origine. Leur intégration culturelle est évidemment plus difficile que celle des immigrés chrétiens.

Protection sociale

La perte de leurs privilèges n’est pas la seule cause de leur discrimination. Les immigrés, comme les Français, profitent de la protection offerte par le droit du travail : tout licenciement doit être justifié, et est interdit ou indemnisé s’il est jugé illégal. Cette protection n’existe pas dans la plupart des pays d’origine des immigrés.

Un employeur ne peut donc prendre le risque de recruter un salarié refusant de parler avec les femmes, méprisant les homosexuels, exécrant les juifs et les athées, refusant l’autorité hiérarchique de son supérieur, ou exigeant des privilèges pour pratiquer sa religion, et dont il aura du mal à se séparer. Doit-il accepter que, pendant le ramadan, un salarié musulman pratiquant prenne un risque en conduisant un autocar ou un poids lourd, en montant sur un échafaudage, en utilisant une machine … alors qu’en cas d’accident il sera responsable des dommages que le salarié aura causés, même à lui-même ?

Le recrutement d’un musulman présente donc un risque supérieur à celui d’un non-musulman. L’employeur est placé dans une situation contradictoire : il doit assurer la rentabilité de l’entreprise, sans pouvoir se séparer sans dommage du salarié recruté dans le cas où ce dernier ne conviendrait pas. Sa démarche consiste évidemment à minimiser le risque, et donc à préférer a priori un chrétien mieux intégré à un musulman. On ne peut séparer l’intégration sociale, dans le milieu du travail, de l’intégration culturelle, dans la vie courante.

Cet effet explique aussi la difficulté de trouver un logement : la protection sociale dont bénéficie le locataire a pour réciproque les exigences parfois très exagérées du bailleur et une discrimination indirecte.

Les causes de la discrimination des musulmans dans l’emploi et le logement ne sont donc pas la croyance religieuse, mais les différences culturelles. Pour Durkheim (1922) , « la société ne peut vivre que s’il existe entre ses membres une suffisante homogénéité ». En luttant contre les discriminations, l’État retarde l’établissement de cette homogénéité et impose à la société d’accueil de s’adapter aux différences. Enfreindre la loi contre les discriminations peut coûter très cher (jusqu’à trois ans de prison et 45 000 € d’amende). On ne peut s’étonner des réactions de refus d’une partie de la population.  L’affaire de la crèche Baby Loup montre les difficultés auxquelles on aboutit (Hennete Vaucher, Valentin, 2014).

L’asymétrie de la lutte contre les discriminations

La lutte contre les discriminations est imposée aux entreprises et aux bailleurs, mais l’intégration sociale et culturelle n’est pas exigée des immigrés en France. Le refus de l’intégration n’est pas une cause d’expulsion. Pour certains immigrés vivant mieux en France sans travailler que dans leur pays d’origine, l’intégration est inutile puisqu’elle n’est pas exigée. Il apparaît par suite une minorité refusant l’intégration tout en vivant de l’aide humanitaire et sociale, alors que Locke pensait que les musulmans partiraient d’eux-mêmes des pays chrétiens : « mais ce Turc ne renoncerait-il pas plus ouvertement à la société chrétienne où il se trouve, s’il reconnaissait que la même personne est tout à la fois le souverain de l’État et le chef de son Église ? ». La protection sociale lui permet en fait de rester, de bénéficier des avantages matériels de l’État-providence en conservant ses traditions et croyances. Elle incite implicitement d’autres immigrés à suivre son exemple et favorise le communautarisme (Taguieff, 2005).

Les lois protégeant les droits des salariés et des locataires et l’aide sociale se retournent ainsi contre les immigrés qui veulent s’intégrer dans la société française : ce sont eux qui souffrent le plus de discrimination parce que cette situation crée un a priori dans la population française qui leur est défavorable.

Emmanuel Todd (2020) énonce clairement la condition à l’intégration des immigrés : « en renonçant à présenter l’adhésion à la culture française comme l’objectif assigné aux enfants d’immigrés, en ne posant pas clairement le mode de vie français comme légitime sur le territoire national on ne rend pas service aux immigrés : on leur cache les règles du jeu réelles de la société et on les empêche d’y être pleinement acceptés ».

Il y en a une seconde : en laissant des immigrés refuser de s’intégrer à la société occidentale tout en profitant de l’aide humanitaire et sociale qu’elle leur procure, on renforce le refus de la population à accepter les différences, et on crée des difficultés aux immigrés qui ne cherchent qu’à se fondre dans le creuset démocratique.


Bibliographie :

  • Adida C., Laitin D., Valfort M. -A., 2010, « Identifying Barriers to Muslim Integration in France », Proceedings of the National Academy of Sciences, 107(52), 384-390.
  • Url : https://www.pnas.org/content/107/52/22384
  • Durkheim Émile, 1922 (éd. 2013), Éducation et sociologie, Presses universitaires de France, Paris, p. 42.
  • Foucart T., 2007, « Inégalité statistique, injustice sociale et discrimination », Commentaire, n°117, pp. 115-117.
  • Hennete Vaucher S., Valentin V., 2014, L’affaire Baby loup ou la nouvelle laïcité, LGDJ Lextenso éd., Issy-les-Moulineaux, France.
  • Locke J., 1686, (trad. Jean Le Clerc, 1710), Lettre sur la tolérance, p. 32-33.
  • Url : http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.loj.let.
  • Taguieff P.-A., 2005, La République enlisée, éditions des Syrtes, Paris.
  • Todd E., 2020, Les luttes des classes en France au xxie siècle, Seuil, Paris, p.106.

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