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Qui est Safiya Sinclair, la poétesse jamaïcaine à suivre ?

Lorsque nous parlons à Safiya Sinclair, cela fait déjà plusieurs jours qu’elle est à Paris. Elle a participé à tes tables rondes au Festival America et discuté de son premier roman Dire Babylone sur la scène de la Maison de la Poésie. Dans ce récit autobiographique de plus de cinq cents pages, elle raconte son enfance et son adolescence en Jamaïque dans les années 1980 et 1990 dans une famille qui suit les préceptes du rastafarisme et a le portrait d’Hailé Sélassié (dernier empereur d’Éthiopie, considéré comme le Messie par les rastas) accroché dans son salon.

Quand on lui demande ce qu’elle constate en voyageant avec ce récit, elle nous explique être toujours étonnée du fait que “la plupart des gens pensent que le rastafarisme est central en Jamaïque, alors qu’il s’agit d’une minorité persécutée”. En la lisant, les lecteur·ices se rendent compte qu’elles et ils ne connaissent rien de ce mouvement religieux né dans les années 1930. 

J’ai grandi dans l’idée qu’une femme doit être silencieuse et obéissante

Si le roman de Sinclair est une magnifique ode à son pays d’origine, c’est aussi le récit méconnu de la place des femmes dans ces communautés. “Il y avait beaucoup de règles chez moi, explique Sinclair. Certaines sont communes à toutes les communautés rastafari, d’autres étaient spécifiques à notre foyer. Les femmes devaient couvrir leurs bras et leurs genoux, parfois leurs cheveux. Dans certaines sectes rastafari, les femmes devaient vivre isolées, ne pas aller dans la cuisine pendant leurs règles, dormir dans des chambres séparées. J’ai grandi dans l’idée qu’une femme doit être silencieuse et obéissante, ne pas porter de bijoux, de maquillage ou de pantalon, rester humble et pure, ne pas avoir d’ami·es. Et tous les rastafari doivent porter des dreadlocks, qui est un signe de vénération de Jah (Dieu dans la foi rastafari, ndlr), et suivre le régime Ital. Pas de viande, de poisson d’œufs, pas de sel ou de poivre”. 

Mais Dire Babylone raconte aussi et surtout son échappatoire par la fiction et la poésie. Sa mère, figure centrale du récit, lui transmet son amour des mots.  “Ma mère a toujours aimé la poésie et elle m’en a toujours récité quand j’en avais besoin, se souvient-elle. Quand j’avais 10 ans, j’ai dû faire pousser mes dreadlocks et j’ai subi beaucoup de méchanceté à l’école. Une copine m’a envoyé un mot pour me dire qu’elle ne voulait pas être amie avec une rasta. Ma mère m’a alors donné un recueil de poèmes en m’expliquant à quel point la poésie avait transformé son monde.” À 10 ans, elle écrit sa propre version du Tigre de William Blake et sent sa peine “s’évaporer”. “J’ai su à ce moment-là que je passerai ma vie à courir après cet émerveillement.” 

Partir pour étudier la poésie

Son talent et sa ténacité lui permettent de partir aux États-Unis pour étudier la poésie – et s’émanciper doucement du joug paternel. Dire Babylone bascule quand elle coupe enfin ses dreadlocks. “J’ai eu une vision de la femme que je serais si je continuais à suivre les règles de mon père, analyse-t-elle. Une femme brisée, silencieuse et silenciée, sans passions, sans rêves. Quand j’ai coupé mes dreadlocks, j’ai senti que je reprenais contrôle de mon corps et de ma voix”.  

Elle publie deux livres de poésie avant de se lancer dans l’écriture de Dire Babylone, dans lequel elle tisse un portrait tout en nuance de ce père souvent tyrannique, obsédé par le “Babylone” du titre, cet occident colonisateur et responsable d’un tourisme de masse qui chasse les Jamaïcain·es de leurs plages paradisiaques. Sans l’épargner, elle réussit à infuser sa prose d’une vraie tendresse. “J’ai voulu présenter le mouvement Rastafari avec le plus de nuance possible, explique-t-elle. Je raconte son histoire, ses combats, j’explique qu’il s’est formé dans un contexte postcolonial, que c’était un mouvement nécessaire pour les Noirs parce que nous vivions toujours sous les règles coloniales britanniques. Il s’agissait de se libérer et d’être en charge de son futur. C’est très positif pour moi. Mais je ne pouvais pas taire le cadre très patriarcal.

La mer en soi

Aujourd’hui, Safiya Sinclair est enseignante en Arizona. Elle travaille à un recueil de poèmes et à un roman, tous les deux autour de la Jamaïque et du réchauffement climatique. Régulièrement, elle retourne dans son pays natal, retrouver sa famille et la mer. “La mer ne me quitte jamais, explique-t-elle. Avant d’écrire, je pense toujours au rythme et à la musicalité de la Mer des Caraïbes, c’est le cœur qui bat derrière chacune de mes phrases. La musique de la mer vit toujours avec moi.”

Quand, après un silence, on lui répond qu’elle vient, presque, de nous écrire un poème en direct, elle rit doucement. Elle sait bien qu’elle est toujours, comme elle l’écrit dans Dire Babylone, “chargée de poèmes”. 

Dire Babylone de Safiya Sinclair (Éditions Buchet-Chastel, traduit de l’anglais (Jamaïque) par Johan Frédérik Hel Guedj), 528p., 25,50€. En librairie. 

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