Dans son dernier essai, Michel Lussault nous montre que mieux vivre sur Terre est possible
Depuis plus de quinze ans, avec des essais aussi marquants que L’Homme spatial : La Construction sociale de l’espace humain (Seuil, 2007), L’Avènement du monde : Essai sur l’habitation humaine de la Terre (Seuil, 2013), Hyper-lieux : Les Nouvelles Géographies de la mondialisation (Seuil, 2017), ou encore Chroniques de géo’ virale (Éditions deux-cent-cinq, 2020), le géographe Michel Lussault déploie une pensée de l’espace urbain et social qui embrasse tous les enjeux déterminants de notre époque.
Avec son nouvel essai, Cohabitons ! Pour une nouvelle urbanité terrestre, l’auteur prolonge sa réflexion autour de la nécessité, partagée par une grande partie des sciences sociales actuelles, d’inventer de nouvelles manières, plus vivables et plus enviables, de cohabiter sur Terre. D’atterrir, comme le suggérait Bruno Latour, c’est-à-dire de résister à “l’hubris des activités humaines”, qui a puissamment altéré le système Terre. Michel Lussault cherche ici “à discerner sur quel imaginaire instituant” s’appuie cette hubris, responsable de la sévérité des sécheresses, des canicules ou de la récurrence des mégafeux notamment.
Pour conjurer “l’habitabilité menacée”
À cet imaginaire dominant qui conduit à un régime déréglé d’habitation humaine de la Terre, il oppose un modèle alternatif, fondé sur “de nouvelles manières, plus vivables et plus enviables, de cohabiter”. Moins utopique que déjà à l’œuvre dans de nombreux espaces sociaux en lutte contre “les effets des forçages des systèmes biophysiques planétaires”, ce modèle s’esquisse ici ou là : chez “des agriculteurs qui, pour faire face aux contraintes environnementales nouvelles, décident de repenser leurs usages de l’eau, cherchent des semences libres de droits, limitent leur utilisation de produits phytosanitaires” ; chez des entreprises qui essaient “de décarboner leurs activités ou d’améliorer le rapport au travail et le bien-être de leurs salariés” ; chez des résidents urbains “qui organisent le partage d’espaces et la mutualisation de quelques services”.
Tout ce qui relie ces multiples expériences alternatives renvoie au concept de “communs”, levier central de la critique du capitalisme occidental contemporain. Pour conjurer “l’habitabilité menacée”, Michel Lussault ouvre d’autres perspectives réparatrices et vertueuses, qu’il synthétise dans un concept nouveau : le “géo-care”. S’inspirant d’une tradition de pensée philosophique et sociologique – le soin (le care) –, il la transpose à la question urbaine.
Michel Lussault, Géo Trouvetou des sciences sociales
Pour lui, le géo-care désigne “une manière non de sortir de l’urbain, mais bien au contraire de réinventer une urbanité, entendue comme capacité de cohabiter, en conjuguant les exigences de la réparation des systèmes biotiques et abiotiques et celles du bien-être, de la justice sociale et de l’éthique”.
En tant que relation de sollicitude et de soin spécifique, dirigée vers nos habitats et nos cohabitations, le géo-care peut soutenir nos espaces et nos sociétés humaines en décomposition. Dépliant à partir de ses expériences de terrain et de ses observations situées partout dans le monde, de Toronto à Dubaï, du Chili à Lyon, les conditions de possibilité de l’avènement de ce géo-care – “la considération, l’attention, le ménagement, la maintenance” –, Lussault entremêle dans sa réflexion des motifs à la fois éthiques, sociologiques et géophysiques. Pour nous convaincre pleinement que cette voie sera l’une des seules à pouvoir réinventer nos paradigmes en matière d’habitation.
Véritable Géo Trouvetou des sciences sociales, Michel Lussault propose avec le géo-care un concept-clé ouvrant la réflexion de manière féconde à la réinvention urbaine et au salut du monde.
Michel Lussault, Cohabitons ! Pour une nouvelle urbanité terrestre (Seuil), 256 p., 22 €.