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La solution qui permettrait aux élevages bovins de beaucoup moins polluer

« La première fois, mes voisins m’ont appelé », se souvient Jérôme Couderc. À Montsalvy, dans le Cantal, cet agriculteur élève 95 vaches allaitantes de race aubrac. C’est l’un des rares du département à faire vêler ses génisses (jeunes femelles n’ayant pas encore eu de veau) dès l’âge de 2 ans, alors que la plupart de ses collègues ont l’habitude d’attendre 3 ans pour cette première mise bas. « En le voyant au milieu des génisses, les voisins pensaient que mon taureau s’était échappé ! »

La technique d’élevage a beau surprendre, elle n’en reste pas moins alléchante. Il suffirait qu’une exploitation du Cantal sur deux adopte le vêlage précoce pour éviter, chaque année, les émissions de gaz à effet de serre d’une ville de la taille de la moitié d’Aurillac (12.147 habitants exactement).

Tout bêtement car cela réduirait le nombre de vaches. À l’échelle d’une ferme, cela reviendrait donc à se passer d’un lot de bovins… et de leurs rots, qui libèrent du méthane, le deuxième gaz à effet de serre le plus important après le CO2.

111.700 tonnes annuelles d'équivalent CO2

L’étude réalisée par la chambre d’agriculture a estimé à 24.800 le nombre de génisses âgées de 2 à 3 ans dans le Cantal. Si, demain, on divise leur population par deux, pas moins de 111.700 tonnes annuelles d’équivalent CO2 seront évitées.

Le Gaec du Moulinier élève 95 vaches de race aubrac sur 125 hectares. Photo Jérémie Fulleringer. 

« Au lieu d’avoir un lot de génisses qui ne font rien pendant un an, les nôtres sont déjà en production », explicite Claire Serieyssol, l’agricultrice associée à Jérôme Couderc. Diablement efficace pour réduire l’impact environnemental d’une ferme, le levier du vêlage précoce (à 2 ans plutôt qu’à 3 ans) supprime 14 % des gaz à effet de serre émis sur une exploitation. Attention toutefois : on ne parle là que des élevages de bovins allaitants (vaches à viande) et non pas des élevages laitiers.

Ça bloque au « coup d'œil »

Et pourtant, ça choque. Quand les collègues de Jérôme Couderc passent le voir au Gaec du Moulinier, à Montsalvy, environ huit sur dix tiquent « au coup d’œil ». Ces génisses qui attendent déjà leur premier veau « ont le dos qui lâche », observent-ils. Les puristes de l’aubrac, race rustique, ne s’y retrouvent pas.  « Vous nous verrez pas aux concours ! », lance Claire Serieyssol.

Dans le Cantal, terre « d'exil climatique », ces agriculteurs défient les sécheresses en creusant leur bassin

Mais ces réticences n’ont pas lieu d’être puisque le vétérinaire, lui, ne bronche pas. « Les vétos disent même que le vêlage à 2 ans est plus simple, rapporte l’agricultrice. Comme elles n’ont pas fini leur croissance, elles ont des bassins plus malléables. C’est physiologique. » Pour la saillie, Jérôme Couderc utilise un taureau spécial, « ultra-facile sur les génisses ». Et les associés n’envoient pas la jeune vache à la reproduction tant que celle-ci n’a pas atteint « le poids minimum » : 420, voire 430 kg.

D'un lot passe-partout à une écurie de F1

Hormis ces freins psychologiques, qu’est-ce qui bloque ? En théorie, rien, ou pas grand-chose, vu qu’il suffit de modifier la conduite de son cheptel pour passer au vêlage précoce : juste une question d’organisation.

En pratique, c’est un poil plus compliqué parce que dans le Cantal, « souvent, les génisses sont plutôt destinées à valoriser des parcelles pas très bonnes », note Sarah Lamsaif, conseillère bas carbone de la chambre d’agriculture. Pour schématiser, on dit que les éleveurs peuvent se permettre de les « oublier », même si c’est très exagéré. « Les génisses de 2 ans, c’est ton lot passe-partout : le plus facile à mener, à qui tu peux passer un moins bon foin, décrypte Claire Serieyssol. Alors que si tu bascules en vêlage à 2 ans, c’est tout l’inverse… Tu dois en faire des Formule 1 ! » C’est-à-dire qu’il convient de surveiller attentivement leur alimentation.

Petit pas pour l'éleveur, grand pas pour l'humanité ?

Sauf que « comme t’as un lot de vaches en moins, t’as moins de nourriture à rentrer », contrebalance Jérôme Couderc. Financièrement, cela porte ses fruits, sans quoi l’éleveur de Montsalvy aurait abandonné la technique depuis des lustres. « Changer les pratiques ? Pas de problème, s’exclame-t-il. Mais derrière, il ne faut pas nous rajouter trop de travail et surtout il ne faut pas toucher aux résultats économiques ! » Du bon sens paysan.

Jérôme Couderc utilise le vêlage précoce depuis des années. Photo Jérémie Fulleringer.

C’est Robert Bioulac, l’oncle de Jérôme Couderc, qui avait montré la voie en initiant son neveu au vêlage précoce, jadis avec des vaches de race salers. Un petit pas pour l’éleveur, un grand pas pour l’humanité ?

Romain Blanc

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